SNCM: une commission d’enquête pourquoi faire ?

L’assemblée nationale s’est prononcée, à l’unanimité le mercredi 12 Juin pour la création d’une commission d’enquête parlementaire sur "les conditions de privatisation de la Société Nationale Maritime Corse Méditerranée" (SNCM). Quelles en sont les enjeux ? 

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Cette décision fait suite à une proposition du député (PRG) Paul Giacobbi, Président du Conseil Exécutif de l’assemblée de Corse, déposée avec plusieurs de ses collègues. La constitution de cette commission devrait être connue rapidement et Paul Giacobbi pourrait la présider.

Cette annonce arrive huit ans après les faits, mais le jour même d’une réunion de travail tendue entre les actionnaires de la SNCM et les syndicats, qui s’est déroulée à Paris.

Une privatisation et des questions

En Septembre 2005, le gouvernement annonce la privatisation de la SNCM. Cette opération représente une double surprise. Dans les mois précédents, il avait été question de "l’arrivée d’un opérateur industriel" au sein d’une compagnie qui serait restée largement publique.

Le scénario sera tout autre. Le ministre des Finances, Thierry Breton  et celui des Transports, Dominique Perben, annoncent une privatisation totale et l’achat par le fond d’investissement Butler Capital Partners (BCP). 

Ce plan, considéré comme violent, par les organisations syndicales, déclenche une grève dure, qui va mener la compagnie au bord du gouffre. Le gouvernement se contredit et met de l’eau dans son vin.

Le gouvernement propose alors un nouveau tour de table. Il y a bien un "opérateur industriel", c’est CONNEX (qui deviendra VEOLIA), 28%. La surprise vient de l’actionnaire majoritaire. C’est le fond d’investissement Butler Capital  BCP, 38%, toujours présent. L’État conserve 25%. Le personnel complète ce tour de table avec 9%. 

La principale surprise vient de la présence d’un fond d’investissement, étranger au monde des transports. L’intention spéculative parait évidente à bon nombre d’observateurs. 

L’autre interrogation est déclenchée par la forme choisie par le gouvernement. Le Premier Ministre, Dominique de Villepin, parle d’un "appel d’offre" en direct à la télévision. Mais, il n’y a jamais eu d’appel d’offres. 

Un représentant de l’État, au sein du Conseil d’Administration de la compagnie publique gère le dossier. La banque HSBC est désignée pour envoyer une série de lettres à des acheteurs éventuels. On ne connait pas, à ce jour, les critères de choix qui ont prévalu.

BCP, un fond d’investissement rentable

Butler Capital Partners va acheter ses parts, à l’État, pour un montant de 13 millions d’euros. En 2008, BCP revend sa participation à VEOLIA TRANSVED en faisant au passage "la bascule": l’opérateur industriel débourse 73 millions d’euros. BCP tire donc un bénéfice de 60 millions.

Mais quel bénéfice la SNCM tire de cette opération ? Selon les observateurs du monde maritime, aucune, et même bien au contraire. Non seulement, "l’opérateur industriel" aurait pu obtenir, tout de suite cette part pour le montant initial (13 M€), mais durant ces trois ans les repreneurs ne vont pas développer un investissement industriel très agressif.

Les 60 millions payés par VEOLIA à  BCP on "manqué pour des investissements industriels dans la SNCM". C’est l’avis du rapport parlementaire (page 9) qui va demander, en 2013, la création d’une commission d’enquête.

Une commission…  huit ans après

Mieux vaut tard que jamais ? Le 5 Juin 2013,  le député Paul Giacobbi dépose un rapport (N°1053) "Tendant à la création d’une commission d’enquête sur les conditions de privatisation de la Société Nationale Corse Méditerranée". 

Création adoptée, par l’assemblée, le 12 Juin: à la lecture de ce rapport, on découvre des interrogations soulevées huit ans avant. "Pour quelle raison le Parlement qui représente le peuple actionnaire de la SNCM n’a-t-il été à aucun moment consulté ou même simplement informé ?" (page 10). 

Par parenthèse, certains personnels et observateurs du dossier ont du mal à croire que l’Exécutif de l’assemblée de Corse de l’époque n’ait pas été informé.

Le rapport enfonce le clou: "on a décidé de privatiser la SNCM après que l’État eut lancé une véritable campagne de torpillage de la société, notamment en parlant de déficit chronique alors qu’elle était encore bénéficiaire en 2003".

Sur ce point, on peut s’étonner qu’il ait fallu huit ans pour découvrir ce que tout le monde savait et que nous avions écrit et dit sur le site et les antennes de France 3 Corse ViaStella.  Nous décrivions, à l’époque, ce que le rapport dit en 2013, "pourquoi avoir parlé de +déficit chronique+  à propos d’une société qui était, en tout cas jusqu’en 2002, convenablement capitalisée, équilibrée en exploitation, avec un résultat net clairement positif et un chiffre d’affaire en croissance dans un secteur très porteur, celui du fret et du transport des passagers en Méditerranée" (page 11).

Avant même le début du travail de la commission, le rapport "constitutif estime que +l’intérêt général+ semble +avoir été sacrifié au profit d’intérêts particuliers+".

On ne peut être plus clair. Le problème, c’est qu’il s’est passé huit ans. Durant cette période, comme avant, la compagnie n’a cessée d’être "torpillée" par une série de décisions ou de non décisions.

Absence de moyens ou de volonté ?

Si le rapport déplore, justement,  que l’argent utilisé par VEOLIA pour racheter les part de BCP  aurait pu servir à "des investissements industriels",  on peut se demander avec le recul si c’était seulement un problème financier ou une stratégie d’ensemble.

Le "deal" était-il réellement de "booster" la SNCM ou bien d’accompagner, voir d’organiser son déclin ?  Sur un marché concurrentiel, c’est la seule compagnie qui ne soit pas passée "à l’offensive" malgré la présence d’un opérateur industriel puissant.

Quel rôle a joué l’État dans son partenariat avec VEOLIA ? Il sera intéressant de voir si les parlementaires vont jusqu’au bout de cette question.

Il y a une volonté claire de maintenir la SNCM à flot

                                             
La Caisse des Dépôts (CDC) possède 50% de VEOLIA TRANSDEV qui possède elle-même 66% de la SNCM. C’est dire si le poids de l’État dans la compagnie est important. Surtout si on rajoute les 25% détenus, en direct, par l’État.

Dans le journal Le Monde daté du vendredi 14 Juin 2013 le Directeur Général de la CDC, Jean Pierre Jouyet, également Président de la Banque Publique d’Investissement (BPI) s’exprime dans un entretien consacré à la croissance. Une question lui est posée sur les intentions de BPI vis-à-vis de la SNCM.

Pour J. P. Jouyet "il appartient d’abord à VEOLIA Environnement", dont la filiale TRANSDEV détient 66% de la compagnie, "de décider de l’avenir de l’entreprise. Mais nous devons y réfléchir et trouver une solution intelligente où l’État, VEOLIA et les collectivités concernées prendraient leurs responsabilités". 

Selon Le Monde, J.P. Jouyet  assure qu’"il y a une volonté claire des pouvoirs publics de maintenir la SNCM à flot".  Le Monde poursuit sur la décision de Bruxelles (remboursement de  220 millions). Cette décision "a soudé le camp français".  J.P. Jouyet conclut le chapitre SNCM "ma conviction est qu’il faut un peu de temps, jusqu’à la fin de l’année".

Contactés par France 3 Corse ViaStella, plusieurs acteurs du dossier se montrent prudents. "C’est une avancée par rapport aux positions des mois précédents". Mais, "il ne faut pas se contenter d’une simple interview".

Quels seront les actes, concrets, pour confirmer cette "volonté claire" ?  Il serait intéressant de les connaître… rapidement.

La guerre des trois n’a pas eu lieu

Avec trois compagnies maritimes subventionnées, sur un marché réduit, on aurait pu s’attendre à une offensive de "l’opérateur industriel" de la SNCM.  La "machine de guerre" VEOLIA ne s’est jamais réellement mise en marche, face à la concurrence. 

Les derniers gains (près de 250.000 passagers repris entre 2010 et 2012) cachent mal le manque de moyens consacrés à une concurrence féroce.

Depuis le premier plan de privatisation avorté, les spécialistes du domaine maritime sont convaincus que le plan réel était et demeure la reprise des cargos de la SNCM par la Méridionale (CMN), propriété du groupe STEF.

Ce scénario est abordé dans le journal Libération du 27 septembre 2005 et dans le quotidien Les Echos du même jour.

Pourquoi viens-tu si tard ?

Cette commission d’enquête parlementaire arrive alors que la SNCM n’est plus dans la situation du début des années 2000. Même si la compagnie demeure solide et même si, une fois de plus, certains s’échinent à noircir le tableau. 

A part à la morale et/ou à l’expression de la "vérité", en quoi cette commission peut-elle aider la SNCM à sortir de la situation dans laquelle elle se trouve ? Une situation visiblement due à des choix politiques, si on en croit le rapport.

Certains observateurs du dossier craignent que le "politique" cherche d’abord à se dédouaner.
Nous avons vu que, une fois de plus l’État est divisé et ne fait pas montre d’un grand esprit offensif, jusqu’à preuve du contraire.

Des syndicalistes, des personnels et des observateurs craignent que le débat actuel sur l’arrivée d’un nouvel "opérateur industriel" ne cache un plan simple et ancien, la reprise des cargos mixtes de l’ex SNCM par la CMN.

Ce nouvel "opérateur industriel" existe-t-il et la volonté de le trouver est-elle là ? Pourquoi faire aujourd’hui, dans de plus mauvaises conditions, ce que l’on n’a pas fait hier alors que "l’opérateur" existait ? 

La réponse à ces questions ne se trouve pas dans une commission parlementaire, mais dans deux réunions "décisives" entre les actionnaires de la compagnie (VEOLIA, l’État et les syndicats).

La première s’est tenue discrètement le mercredi 12 Juin, à Paris. Elle ne s’est pas particulièrement bien déroulée. Le plan d’objectifs "minimalistes", déjà abordé en Mai dernier, serait maintenu.

Mercredi, les syndicats se sont vu présenter un plan qui, d’office, ne prévoie pas la continuité du service des cars ferries, en 2014. C’est ce que certains syndicalistes appellent "le plan qui offre les 500 000 passagers que nous transportons par ferry, à la concurrence".

L’autre réunion, présentée comme "ultime" se tiendra le 20 Juin, toujours dans la capitale. Le climat social est tendu. Plus que jamais les préavis de grève pour le 27 Juin sont maintenus. Les syndicats demandent "une véritable réunion des actionnaires" (VEOLIA, État, personnels), pour la veille de la réunion du 20 Juin.

A cette date, on saura sans doute si l’État a vraiment recherché une solution "industrielle" qui préserve "la pérennité de la compagnie", ou bien si le politique se réfugie derrière une commission parlementaire.

Un mandat "strict"​

Les parlementaires ne vont s’intéresser qu’à la privatisation de la SNCM. Lors de l’examen en commission, un député du groupe Gauche Démocrate et Républicaine , Gaby Charroux a proposé "d’étendre l’objet de la commission à l’examen de l’utilisation des aides apportées par l’État au titre de la Continuité Territoriale et de l’utilisation des fonds publics par la compagnie Corsica Ferries". 

Cette extension est rejetée par le rapporteur Paul Giacobbi au nom "d’une définition stricte du champ de nos investigations".  La gauche rejette donc une proposition d’un député communiste. Comme l’avait déjà fait la majorité de droite en 2010, lors d’une demande similaire.

La relance ou la fin d’une époque ?

Le pavillon français est en difficulté. Toutes les compagnies de ferries qui naviguent entre la Corse et le continent français sont confrontées à des pertes financières.

Pourtant, comme en 2005, les députés font ce qu’ils reprochent, visiblement à juste titre, au gouvernement de l’époque. Ils concentrent leurs observations sur "les difficultés de la SNCM". Elles sont réelles mais, une fois de plus, on fait l’impasse sur les autres concurrents.

Des impasses, il n’en manque pas.  Il y a quelques mois, le gouvernement se vantait d’avoir trouvé une solution sur les lignes transmanche, pour l’ancienne compagnie public SEA FRANCE, devenue MY FERRY LINK.

Aujourd’hui les dossiers de la SNCM et de MY FERRY LINK se ressemblent de plus en plus.
L’ancienne compagnie d’État a été placée en liquidation et "relancée", sous une forme de SCOP, avec seulement trois navires et un fort dégraissage.

Malgré cela, l’autorité britannique de la concurrence vient d’interdire un port anglais à la petite compagnie française. 

In fine, ces histoires se ressemblent. Sur le transmanche, le ministère des Transports a publié un communiqué. Cela ne pèse pas bien lourd face au système mis en place. Tout aussi léger avait paru le communiqué gouvernemental suite à la décision de Bruxelles sur la SNCM.

Quelle volonté ?

Une compagnie publique affaiblie, mise en liquidation judiciaire, puis en partie renflouée par le biais d’une petite compagnie, le temps de faire illusion. Aussitôt fait, voila un écueil ultra libéral posé sur la route de MY FERRY LINK par les concurrents britanniques érigés en juge et partie.

Le principe énoncé, au départ, est une concurrence "facteur de toutes les vertus". Et à la sortie, on est au bord du naufrage avec moins de compagnies, donc moins de concurrence sur les lignes transmanche, mais avec plus de chômeurs.

Tout cela sous les yeux d’un État qui clame sa bonne volonté, mais qui semble n’y pouvoir pas grand-chose. Toute ressemblance avec un scénario déjà tourné en Sardaigne et se préparant en Corse ne serait que pure coïncidence.
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