Le hashtag, lancé comme un cri de ralliement sur les réseaux sociaux la semaine dernière, se propage dans le monde. La Corse n'est pas épargnée, et les témoignages se succèdent. Ce lundi matin, l'île, après un week-end de confessions glaçantes de ses enfants, se réveille sonnée.
C'est peut-être une voisine, une camarade de classe, un collègue, la serveuse qui, tous les matins, nous amène notre café.
C'est peut-être le jeune homme qu'on croise régulièrement au bureau de tabac, et dont on essaie d'attirer, désespérément, le regard.
C'est peut-être notre petite copine. Notre cousin. Notre mère. Notre nièce.
C'est peut-être notre fils, ou notre fille.
Je découvre #Iwas et mon coeur saigne pour toutes ces victimes, mais je ne suis pas étonnée, la Corse n'est pas épargnée, malgré le mythe du "indè noi, a sai on respecte les femmes" et du coup il est encore plus dur de parler !
— Léa Poggioli (@PoggioliLea) June 5, 2020
Forza, curagiu, è amore à tutte e mio surelle !
Des dizaines, et très probablement bien plus, de garçons et de filles de cette île ont été abusés sexuellement, touchés, violentés, pénétrés, souillés, humiliés, sans qu'on ne leur demande leur avis.
#IwasCorsica
On ne sait si c'est par pudeur, par crainte de regarder la vérité en face, par envie de croire que, chez nous, ce n'est pas comme ailleurs.
Mais personne, ou presque, sur l'île, n'avait rien vu venir.
#Iwas . De mes 6 à mes 14ans. C’était le cuisinier de mon père et je ne pouvais pas parler car j’étais tétanisée et je ne voulais pas faire « d’histoires ». Ce n’est pas vous le problème, c’est eux. Parlez c’est, important. Ça ne devrait pas exister.
— sgiò de peretti (@mcdeperetti) June 6, 2020
Ce n'est pas un détail, une lubie des réseaux sociaux qui, dans quelques jours, sera chassée par une poussée de fièvre internet d'un autre genre.
C'est un phénomène qui, par sa naissance, son éclosion, et sa propagation exponentielle, rappellent #Metoo.
Catharsis
Ce week-end, ont fleuri sur Twitter des hashtags d'un genre nouveau, les #Iwas.
Suivis d'un nombre, que très vite, on devine être un âge.
#Iwas a été lancé aux Etats-Unis mardi dernier, et c'est un point de ralliement pour les victimes d'agressions sexuelles du monde entier, qui sont invitées à partager leur histoire.
Immédiatement, le hashtag s'impose en Corse, et les statuts commencent à affluer sur Twitter.
La rédaction de France 3 Corse lance un appel sur les réseaux sociaux, demandant que les personnes vivant en Corse et concernées nous contactent, afin d'écrire un article sur un phénomène qui prend de l'ampleur de minute en minute.
La réponse a été bien au-delà de nos attentes.
En une heure, nous avons reçu plus d'une quarantaine de réponses.
Impossible de tout mettre dans l'article que nous avons publié samedi, et que vous pouvez lire ci-dessous.
Depuis, nous continuons de recevoir des témoignages, sur notre boite mail, encore et encore.
Et sur les réseaux sociaux, où est né le hashtag, c'est plus impressionnant encore.
Au point que #IwasCorsica a été lancé hier.
@iwascorsica #Iwas 10. J'ai enfoui le tout dans ma mémoire. Ça a resurgi à mes 30 ans. Je l'ai confié à mes parents à 40 ans. J'ai confronté mon agresseur à 41 ans. La honte a alors changé de camp !!
— Maxime Fieschi (@maxime_fieschi) June 7, 2020
Des filles, en large majorité, et des garçons, souvent encore jeunes, qui avaient entre 15 et 20 ans au moment où ils ont subi une agression sexuelle.
Mais également des mères de famille, des adultes qui vivent avec ce poids depuis des années, et n'en avaient jamais parlé avant l'apparition de #Iwas.
— nana (@MatteiAna_) June 7, 2020
Rester prudents, mais entendre. Malgré tout.
Bien sûr, il convient d'être prudents, dans ces cas-là.
Il n'est nullement question de remettre en cause la parole, et encore moins la souffrance, des victimes.
Mais ce genre de phénomène réveille toujours son lot d'affabulateurs ou de mauvais plaisantins, attirés par la lumière.
Alors c'est vrai, nous avons émis des doutes sur quelques rares témoignages. Et nous avons préféré ne pas prendre de risques.
Mais d'autres, beaucoup d'autres, étaient frappants. Souvent d'une sécheresse éprouvante, sans fards, comme s'il fallait mettre des mots, et ces mots crus, pour redonner sa réalité à un drame qui avait été si longtemps refoulé.
Des témoignages accompagnés, parfois, de captures d'écran d'échanges SMS qui ne laissaient guère de place au doute.
Encore 1 #Iwas 16 je l’ai échappé belle en négociant menaçant mais bcp + tard j’ai appris pour d’autres filles
— Isabella (@IsaHC2B) June 7, 2020
Type du village + vieux
Raté mon bus m’a proposé m’accompagner au lycée
En fait bifurque chemin maquis essaie de me violer
J’ai eu des marques aux poignets 1 semaine
Une réelle prise de conscience ?
La réaction a été à la hauteur du choc provoqué par ces témoignages.
Près de 200.000 personnes ont lu l'article en moins de trois jours.
Et il a été partagé des milliers de fois.
La classe politique, elle aussi, a dû ouvrir les yeux sur un mal trop longtemps tu, en Corse comme ailleurs.
#Iwas Depuis quelques jours, ils sont des dizaines à avoir brisé le mur du silence. Notre île est loin d’être épargnée et il nous faut regarder cette réalité en face, par respect pour les victimes. https://t.co/5FrOsju8Ev
— Laurent Marcangeli (@LMarcangeli) June 7, 2020
Avec #iwas des dizaines de femmes et d’hommes osent prendre la parole, parfois des années après les faits.#Bastia n’est pas épargnée et nous devons prendre en compte cette réalité dans nos politiques publiques. Bravo pour votre courage. https://t.co/fWnewAyBHz
— Pierre Savelli (@PierreSavelli) June 7, 2020
Le père, le mari, le fils, le frère que je suis, est attristé par ces témoignages abjects et honteux.
— Jean-Charles ORSUCCI (@OrsucciJC) June 7, 2020
Tout mon soutien à ces trop nombreuses victimes pour leur courage. https://t.co/CYvs2pGqFK
Il est à espérer que des actes et des décisions politiques à la hauteur de l'indignation suivront.
Un désir de revanche qui préoccupe
Pour éviter, à l'avenir, qu'avec la libération de la parole, vienne le goût de la revanche.
Après des années à se taire, à subir, à faire comme si de rien n'était en croisant son bourreau, le témoignage ne suffit pas à toutes les victimes.
Certaines, comme Olivia, voient cette prise de parole comme une catharsis, qui va leur permettre de tourner la page :
"J'ai une vie, des enfants, et je me sens libérée d'un poids. Je ne sais pas si ce sera plus facile à vivre demain, mais le fait de garder ce secret, c'était en avoir honte, d'une certaine manière. Et rien que ça, c'était dégueulasse..."
Mais d'autres, comme Santa, veulent obtenir réparation :
"Ces porcs continuent de faire les beaux en boîte, comme si de rien n'était. Moi, je veux qu'ils paient. Et qu'ils aient peur, surtout. Pour pas qu'ils fassent la même chose à une autre meuf."
Sur Twitter, un groupe s'est constitué, qui recense les victimes.
Et le nom de leurs agresseurs.
Les deux filles qui l'ont créé, et que nous avons contactées, nous affirment qu'il y a déjà près de 100 noms...
Une démarche qui pourrait se retourner contre les instigatrices, et leur coûter cher...
Elles s'exposeraient à être condamnées pour diffamation, si les personnes citées les attaquaient en justice. Pour ne pas être condamnées, il faudrait qu'elles prouvent leur «bonne foi», en produisant une «base factuelle suffisante», ou la preuve de la vérité de ses accusations.
Prouver sa bonne foi
La démarche soulèverait un autre problème.
Elles pourraient, en faisant confiance à des personnes mal intentionnées qui auraient répondu à leur appel, jeter en pâture au public le noms de supposés agresseurs, innocents, mais à qui d'autres personnes auraient voulu nuire, en mettant à mal leur réputation.
Dans une île comme la Corse, où tout le monde se connaît, les conséquences pourraient être lourdes...
Je pense à tous les violeurs de Bastia qui doivent être en sueur et je suis heureux
— Maxime (@maximebiaggi) June 6, 2020
La honte change de camp ??
Léa est l'une des filles qui a rejoint ce groupe.
Et pour elle, ce sont des dommages collatéraux :
"C'est vrai qu'il y a ce risque, mais tant pis. Il peut y avoir des victimes innocentes, mais nous, on est toutes des victimes innocentes ! Et ça fait des années que ça dure ! Il faut peut-être en passer par là pour que ça cesse, de violer des meufs comme on va boire un coup... C'est peut-être le seul moyen..."
Toute la complexité d'une question, celle des agressions sexuelles, est résumée par cette situation.
Longtemps, les autorités n'ont pas semblé y porter toute l'attention qu'elle méritait.
Si les choses ont commencé à changer, nombre d'hommes et de femmes qui ont subi ce type d'agression peinent à croire à la justice, et à aller porter plainte. Persuadés qu'on ne les écoutera pas. Et que rien n'aboutira...
Même si vous ne souhaitez pas porter plainte , faites le , vous ne savez pas si vous n allez pas changer d’avis ? ce sont des elements qui vont vous aider dans tous les cas #Iwas
— CIDFF HauteCorse (@CidffH) June 7, 2020