Marc Ollier était directeur de la maison centrale d’Arles depuis un jour lorsqu’Elong Abé a assassiné Yvan Colonna. Il a succédé à Corinne Puglierini, qui a occupé cette fonction durant toute la période où le détenu radicalisé de 36 ans a été incarcéré à Arles. Auditionnés par la commission des lois, les deux fonctionnaires ont tenté de répondre aux nombreuses questions qui se posent sur de possibles lacunes du protocole de surveillance.
Récit de l’agression
Marc Ollier, qui avait pris ses fonctions comme directeur de la maison centrale d’Arles la veille de l’assassinat d’Yvan Colonna, et qui a pu avoir accès aux images de la vidéosurveillance, résume la scène aux députés : « A 10h10, Elong Abé arrive au rez-de-chaussée. Un surveillant arrive derrière lui, ouvre la porte de la salle de muscu où Yvan Colonna se trouvait. Porte qui était verrouillée, j’insiste parce que chez nous c’est verrouillé qui est important. Il la laisse ouverte pour qu’Elong Abé puisse faire son travail d’entretien de la salle. Il ouvre également la porte du local d’entretien, qu’il laisse également ouverte. Le surveillant repart, et Elong Abé rentre dans le local d’entretien à 10h11. Il en ressort. L’agent est alors toujours dans l’aile, et puis il s’éloigne parce qu’il est appelé ailleurs. Un agent des Unités de Vie Familiale passe par là. Il va prendre son poste, et ne voit pas Elong Abé, ce qui est logique, Elong Abé est dans son local d’entretien. Elong Abé sort juste derrière lui. L’agent passe, et de lui, on en entend plus parler ».
Quand un député s’étonne de l’heure du ménage, et du fait qu’il ne soit pas fait quand il n’y a personne dans la salle, Marc Olliel révèle que, depuis le Covid, le ménage doit être fait trois à quatre fois par jour dans ces salles.
Ce matin-là, l’attitude d’Elong Abé est dégueulasse.
Marc Ollier
Suit la description, factuelle, de l’agression, telle que le directeur de la prison l’a vue sur les vidéos de surveillance. Une agression que le directeur va commenter, avec des mots durs :
« L’attitude d’Elong Abé est dégueulasse. Dans mon métier j’ai déjà vu des agressions, soit sur caméra, soit à 10, 15, 20 mètres, quand ça se passe en cour de promenade… Et ce matin-là, c’est très froid. Il rentre dans la salle, se tourne pour voir si le surveillant n’est plus là, par l’oculus, porte poussée, je dis bien, pas verrouillée mais poussée, et tout de suite il se jette sur lui, pas un mot, rien… Il n’a aucune émotion, aucune. C’est hyper agressif, c’est…. Je répèterai le mot, ce n’est pas du français correct mais j’assume, c’est dégueulasse. Voilà. Colonna n’a rien pu faire ».
Les minutes qui suivent
« Quand le surveillant-chef revient pour chercher Colonna, qui était convoqué pour un papier (document administratif ndlr) , Elong Abé lui dit « chef, Yvan a fait un malaise ». Le surveillant donne l’alerte par émetteur récepteur, l’unité sanitaire arrive au bout de 3 minutes. D’autres renforts font sortir Elong Abé, puisqu’à ce moment-là c’est un malaise. Au même moment, l’une de mes adjointes va tout de suite à la salle de crise et nous appelle, moi et ma troisième adjointe, pour nous prévenir que ce n’est pas un malaise mais une agression. Donc j’ai pris la décision tout de suite de faire mettre Elong Abé au quartier disciplinaire. Entretemps, les pompiers ont été appelés, le cœur est reparti, et à partir de là, on connait la suite ».
Manque de surveillance
Interrogé sur l’absence du surveillant qui avait ouvert la porte à Elong Abé, Marc Ollier répond : « il a la charge d’une aile de 30 mètres de long, où il y a dix locaux, et la salle de musculation est située tout au bout, à l’opposé de l’entrée de l’aile. Il a également la responsabilité des deux tiers d’une autre aile, située de l’autre côté. Autrement dit, là où il était initialement, il y avait les 30 mètres, plus le passage entre les deux ailes, avec un sas de 8 mètres de largeur… De surcroît, ce matin-là, dans l’autre aile, il y avait des intervenantes, femmes, avec des détenus qui sont condamnés pour une bonne partie à perpétuité, qui sont là pour meurtre. Donc le surveillant a prêté le plus d’attention à l’endroit où il y avait le plus de risques manifestes, plutôt que là où se trouvaient Colonna et Elong Abé, qui d’habitude s’entendaient bien ».
Pour revoir le système de surveillance, il faut des budgets.
Marc Ollier
Les députés avancent la possibilité d’une surpopulation, ou d’un manque d’effectifs. Et la réponse du directeur de la maison centrale d’Arles est mitigée. « On n’est pas surpeuplé, et c’est pareil dans toutes les maisons centrales. En l’occurrence, à Arles, il y a 140 places, et on avait 130 détenus le 2 mars. En ce qui concerne l’effectif, il y avait 145 surveillants ce jour-là, sur un effectif théorique de 151. 18 premiers surveillants, sur les 17 prévus, et 10 officiers, comme prévu. Mais les hommes sont les hommes, et on a un taux d’absentéisme assez important. 50 jours en moyenne par an et, par agent. Et cela, nous devons le prendre en compte. Ça fait 30 à 35 agents en permanence de moins chaque jour, si on fait une moyenne. Et c’est énorme. On couvre les postes avec des heures supplémentaires… »
Les caméras
Concernant le système de surveillance par caméras, Marc Ollier et Corinne Puglierini confirment les propos de Laurent Ridel, directeur de l’administration pénitentiaire, lors de la première audition de la commission des lois. Et l’impossibilité, selon eux, en raison du nombre de caméras et du rôle des postes, de tout surveiller en permanence.
Marc Ollier ne nie pas que la mort d’Yvan Colonna soulève des questions. « Concernant les caméras, le système date de 2009, et est en cours de modernisation. On doit en fait l’évaluation à cette occasion. Faut-il de nouvelles mesures ? Faut-il revoir le système ? Faut-il revenir au passé, avec les surveillants qui sélectionnent, à la main, la caméra 1, la caméra 2 ? Il y en a 280 à Arles. Ce serait complètement aléatoire. Je pense que le système est le moins mauvais. Après, nos systèmes vidéo sont sans doute à revoir. Mais pour les revoir il faut des budgets, soyons clairs. La pénitentiaire ne peut pas sortir des budgets de sous les fagots ».
La maintenance
Une maintenance du système informatique a eu lieu le matin du 2 mars, au moment de l’agression, empêchant l’accès aux images. « Il a fallu débrancher les ordinateurs, durant une à deux minutes, avant de les rebrancher. Mais ça ne change rien, au fond. Les écrans des postes de surveillance font 1 mètre sur 60 centimètres, et comportent 9 petits écrans sur lesquels défilent toutes les images des 200 caméras, les appels de portes, les erreurs d’alarme, les chemins de ronde, les zones interdites aux détenus… Avec neuf écrans, et des images qui défilent en permanence, impossible de détecter quoi que ce soit. » Marc Olliel précise que les travaux ont débuté en septembre dernier, et que ce type d’opérations est régulièrement effectué.
Blasphème
Michel Castellani, le député de la première circonscription de Haute-Corse, s’aventure hors des questions techniques pour interroger les deux directeurs d’établissement sur leur sentiment personnel, et leur demande s’ils pensent qu’Yvan Colonna aurait pu proférer un blasphème, comme l’affirme Franck Elong Abé. Marc Olliel prend la parole: « De ce qui apparaît dans tous les comptes-rendus, ça ne me paraît pas très crédible. C’est quelqu’un qui était très ouvert à des détenus musulmans, à tout ce que vous voulez, même ceux qui ne partageaient pas les mêmes opinions que lui… Je n’ai pas de preuves, mais vous me demandez mon sentiment, et moi pense que non. Le blasphème, c’est une excuse. »
C’est pas crédible. C’est pas crédible…
Marc Olliel
Marc Olliel marque une pause, avant de reprendre la parole. « Si vous voulez mon sentiment, je vais vous dire pourquoi Elong Abé a agressé Colonna ! Ce n’est pas votre question mais j’ai envie de le dire, donc je me permets de le dire… Elong Abé, jusqu’au 2 mars, qui en avait entendu parler ? Aucun de vous. Les djihadistes veulent être connus. C’était le cas pour le 11 septembre. Et ça a fait quelques dégâts. Ils ont aussi fait ça à Paris. Qu’est-ce qu’il pouvait faire pour être connu, et pas être un petit dhjihadiste inconnu parmi des centaines en France ? Agresser un surveillant, le tuer ? Y a déjà eu des tentatives de meurtre. Les médias en auraient parlé deux ou trois jours. Agresser le directeur ? Possible. On en aurait parlé trois ou quatre jours. Et sinon qui ? Le plus connu sur la prison. Yvan Colonna. C’est mon sentiment, c’est mon impression, je n’ai pas de preuve, mais que Colonna ait blasphémé ou pas, peu importe. Qu’il lui ait dit « si Dieu existait y aurait pas la guerre …. »
La voix de Marc Ollier se brise. Le directeur de la maison centrale d’Arles laisse échapper un sanglot, avant de s’en excuser. Et de poursuivre : « C’est pas crédible ! C’est pas crédible… Franck Elong Abé voulait se payer quelqu’un de connu. Excusez-moi je suis ému, je ne connaissais pas Yvan Colonna, mais c’est un être humain, quoi ! »
10 jours sans directeur d’établissement
Marc Olliel avait pris ses fonctions le 1 mars 2022. La veille de de l’assassinat d’Yvan Colonna. Auparavant, c’est Corinne Puglierini qui était à la tête de l’établissement pénitentiaire. Elle a quitté ses fonctions le 17 février 2022. Et la commission des lois s’inquiète d’une vacance de la direction qui aurait pu être préjudiciable. Marc Olliel répond : « entre le 18 février et le 1er mars, Il n’y avait pas de chef d’établissement à la centrale d’Arles, mais l’équipe de direction est composée de quatre personnes : le chef d’établissement, une adjointe, et deux autres collaboratrices. L’adjointe est quelqu’un qui a beaucoup de métier, qui tient la route, et qui connait bien l’établissement puisqu’elle est en poste depuis 3 ou 4 ans. L’établissement était couvert. Un intérim de cette nature, relativement court, est assez fréquent dans la pénitentiaire durant les campagnes de mutations. Et il n’y a eu aucun changement dans le mode de gestion d’Yvan Colonna et Elong Abé. Ils sont restés au mêmes postes, et il n’y a pas eu d’incident, rien de particulier ».
Lorsque la trentaine de députés présents abordent le passé d’Elong Abé, et toutes les questions concernant son séjour à Arles, c’est donc à Corinne Puglierini qu’ils s’adressent en priorité.
Le parcours d’Elong Abé à Arles
Les questions concernant le statut de terroriste islamiste de Franck Elong Abé, et son traitement à la maison centrale d’Arles, où exerçait un travail rémunéré, ont soulevé beaucoup d’interrogations depuis le 2 mars dernier. Corinne Puglierini a donc retracé, dans le détail, le parcours du détenu de 36 ans, arrêté en Afghanistan en 2012, depuis son arrivée à Arles en 2019: ·
- Isolement
« Sa période d’isolement a duré six mois et demi, il est sorti du quartier d’isolement le 30 avril 2020. Le quartier d’isolement est géré par une brigade de surveillants, et les personnels, tous les jours, font des observations sur le comportement des personnes détenues qu’ils côtoient au quotidien. Pendant son temps en quartier d’isolement, concernant monsieur Elong Abé, les observations les plus récurrentes sont « discret, calme, correct, aucune demande, poli, courtois, il aime discuter avec le personnel, se rend régulièrement à la boxe ». Les observations n’ont pas fait état de difficultés particulières concernant son comportement. « Pour toute personne détenue à l’isolement, chaque début de semaine, une équipe d’encadrement se réunit pour voir s’il y a lieu d’appliquer un protocole de gestion. Pour monsieur Elong Abé, au début, vu les éléments en notre possession, on avait pris des précautions, avec la présence de trois personnels plus un gradé pour entourer chaque ouverture de porte et assurer ses déplacements. Petit à petit, compte tenu de son bon comportement, ce protocole a été revu à la baisse ».
Patience, écoute, et aucun signe d'énervement.
Corinne Puglierini
· - QSI
« A la maison centrale d’Arles, il existe un petit quartier spécifique d’intégration (QSI), une particularité que l’on ne retrouve pas forcément dans d’autres maisons centrales. Il peut faire figure de sas, avant une réintégration éventuelle en détention ordinaire. Pour monsieur Elong Abé, cette période a duré 9 mois et demi. On a pris en compte son parcours pénitentiaire émaillé d’incidents, et il nous fallait du temps pour apprécier la sincérité de son comportement sur le long terme. Sur ces neuf mois et demi, il a continué à avoir un comportement, pas vraiment exemplaire, mais qui ne révélait pas de sa part une problématique d’attitude ni envers le personnel ni envers d’autres personnes détenus . Il a, petit à petit, été autorisé à aller au niveau du plateau sportif, y compris une fois par semaine en collectif avec un petit groupe d’autres détenus, ce qui permettait de voir son attitude avec d’autres personnes détenues. Il a intégré également une formation professionnelle de plusieurs mois, une formation jardins espaces verts, qui est encadrée par un formateur. Après 9 mois et demi de QSI ou de nombreuses audiences ont été organisées, et sur la foi d’observations quasi-journalières, particulièrement riches et éclairantes, on a prévu un retour en détention ordinaire de monsieur Elong Abé ».
· - Détention ordinaire
« Il a été affecté au bâtiment A, et donc là aussi, l’intégration s’est faite correctement. Monsieur Elong Abé, depuis son arrivée à Arles a régulièrement demandé à pouvoir travailler. Les premières demandes ont été refusées. Quand il y a une demande de participation à une activité, ou une demande d’emploi, ces décisions sont prises en commission pluridisciplinaire unique. A partir du mois de septembre 2021, monsieur Elong Abé a obtenu le poste d’auxiliaire sport au niveau du rez-de-chaussée du bâtiment A. Quand la décision a été prise, on pouvait toujours s’appuyer sur les observations qui nous remontaient des surveillants, et ce, jusqu’au drame du 2 mars. Il était fait état, dans ces observations, que l’intéressé s’appliquait au niveau de son emploi, qu’il n’y avait aucun reproche à lui faire et qu’il donnait entière satisfaction ».
Le passage en quartier d'évaluation de la radicalisation
L'une des failles apparentes du parcours d'Elong Abé, c'est l'absence de passage en QER, ou quartier d'évaluation de la radicalisation. Certains éléments ont laissé croire qu'Elong Abé a refusé de se prêter au jeu, et qu'il a pourtant bénéficié de ces améliorations de conditions de détention. Corinne Puglierini dément : « deux mots sur comment accorder un temps de liberté à quelqu’un qui n’était pas coopératif pour faire une évaluation au QER… Ce n’est pas qu’il n’était pas coopératif, ce n’est pas lui qui prend la décision pour aller au QER ». La logique, pourtant, est d’évaluer systématiquement les détenus TIS. « Si tant est que l’attitude, et pas la volonté rende cela possible, au vu des troubles du comportement que la personne pouvait avoir. Et là, effectivement, la question s’était posée à plusieurs reprises et il avait été acté que ses troubles du comportement ne permettaient pas cette orientation. Et dans ces cas-là, le relais est pris au niveau local, notamment par le biais des psychologues de la mission de lutte contre la radicalisation violente. Je veux bien préciser qu’il ne faut pas croire que rien n’est fait ».
Dissimulation
La question de la dissimulation de ses intentions, se pose alors. Corinne Puglierini, là aussi, détaille la procédure : « monsieur Elong Abé, en qualité de radicalisé mais aussi de DPS, était soumis à un régime de prise en charge individualisé particulier, qui se traduisait par des observations quotidiennes, des entretiens très réguliers, des fouilles de cellule approfondies. Il a aussi eu, au cours de l’année 2021, des entretiens avec une psychologue de mission de lutte contre la radicalisation violente, qui a pu également se faire une opinion. Une dissimulation est toujours possible, mais à travers les mesures de sécurité mises en place le concernant, les regards croisés que nous avions, le temps que nous avons pris pour étudier l’évolution de son comportement dans un sens comme un autre, rien ne nous a permis de déceler une tentative de dissimulation de sa part ».
Marc Ollier confirme : « J’ai été voir les personnels du Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation, juste après l’agression devenue meurtre. Et tant la conseillère d’insertion et de probation que l’assistance sociale m’ont dit que rien ne laissait supposer ce qui s’est passé. Il était agréable, ancré dans son autosuffisance, il savait tout, mais il n’était pas violent, pas agressif, il jouait au charme. »
Elong Abé semble s’être calmé par miracle en arrivant à Arles.
Laurence Vichnievsky
La députée Laurence Vichnievsky, du Modem, commentera cette description, au micro, au cours de l’audition : « compte tenu du parcours de ce garçon, qui semble s’être calmé par miracle en arrivant à Arles, il justifiait beaucoup de précautions, et on a l’impression que vous le considériez comme un détenu presque classique ».
Une phrase qui résume à elle-seule les interrogations de nombre d’observateurs, en Corse et ailleurs, au fur et à mesure que les enquêtes en cours apportent de nouveaux éléments sur les événements dramatiques de cette matinée du 2 mars.
Les députés corses, sans surprise, se sont montrés plus offensifs dans leurs interventions, à l'image de Jean-Félix Acquaviva, qui n'a pas hésité à parler de préméditation, voire de possible assassinat commandité :
La famille d'Yvan Colonna, de son côté, a fait savoir par l'intermédiaire de ses avocats qu'elle attendait "des explications sur les nombreux manquements".
Retrouvez l'intégralité de l'audition sur le site de l'Assemblée nationale.