C'est la première séance de l'Assemblée de Corse depuis l'assassinat d'Yvan Colonna et les possibilités d'autonomie ouvertes par la venue de Gérald Darmanin. Nous y avons assisté et vous proposons un florilège des différentes interventions.
Déroulé de la séquence politique, avec la prise de parole des présidents, et des conseillers
Marie-Antoinette Maupertuis (présidente de l'Assemblée de Corse)
"Nous tous, élus de cette assemblée, devons faire notre part de chemin. Cela consiste à travailler sur un consensus sur l'autonomie, sur un calendrier, et nous avons déjà bien progressé mais il y a encore beaucoup de travail. Nous devons nous accorder entre nous, au préalable. L'autonomie ne sera pas un artifice mais un outil qui répond aux besoins de la population corse, a la reconnaissance du peuple corse, de sa langue, mais aussi la cherté de la vie, la menace environnementale et la question du foncier.
Il faut des discussions purgées des tabous, des non-dits, des comparaisons fallacieuses, des intérêts particuliers, dogmatiques, et des lignes rouges arbitraires qui limitent inutilement les discussions".
Nous n'avons pas le droit échouer. Nous n'avons même pas le choix. Nous devons réussir.
Marie-Antoinette Maupertuis.
14h24 - reprise des débats, et ouverture de la séquence politique.
Gilles Simeoni (président de l'exécutif)
"Chaque Corse de l'île et de la diaspora, est invité à participer. Chaque homme, chaque femme de ce pays, a une clé de la solution. Et nous écrirons ensemble une page heureuse de ce pays et de ce peuple".
"Cette jeunesse qui a été le fer de lance de cette mobilisation, nous devons lui donner les moyens d'être pleinement impliquée dans ce processus. Ce que nous faisons aujourd'hui, c'est pour les adultes corses de demain, et d'après-demain".
"La reconnaissance du peuple corse est l'objet central de tout notre engagement".
"S'ouvrira à compter de la semaine prochaine un processus à vocation historique, qui doit nous permette de clore un cycle de 50 ans pour la période contemporaine, marqué par des drames, des morts, des milliers d'années de prison, des centaines de femmes et d'hommes qui se sont engagés par tous les moyens, y compris illégaux, et des deux côtés..."
"Si Paris continue de ne pas respecter les urnes, les Corses retourneront immanquablement dans la rue".
"Le conflit doit cesser, et les conditions sont aujourd'hui réunies pour que ce soit le cas".
"Le peuple corse, je le dis avec force, ce n'est pas que les nationalistes. Les idées qui ne sont pas nationalistes, en Corse, sont tout aussi respectables que les nôtres. Au-delà de la légitimité démocratique et des scores électoraux, nous ne pouvons pas construire une société dans laquelle il y aurait en Corse des gagnants et des perdants".
"La Corse s'est embrasée parce que Paris, les gouvernements successifs, les deux présidents qui se sont succédé depuis 2015, ont refusé avec obstination, mépris, cynisme, de prendre en compte le fait majoritaire. Ils ont refusé avec obstination, mépris, cynisme, de tenir compte du suffrage universel. Non pas pour accepter tout ce que les Corses demandent mais au moins pour dire qu'en démocratie on doit respecter le peuple, sa voix, et les élus qu'il désigne".
Ce qui s'est passé depuis le 2 mars trouve son origine dans le manquement aux règles fondamentales de la démocratie, un manquement dont l'Etat porte la responsabilité exclusive.
Gilles Simeoni
"Yvan Colonna n'a jamais cessé de clamer son innocence, il souhaitait continuer le combat pour la faire reconnaître. Il a été assassiné dans des conditions aussi atroces qu'incompréhensibles, et constitutives, qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas, d'un scandale d'état. Si le droit au rapprochement avait été appliqué à Yvan Colonna, il ne serait pas mort assassiné. Cela pose des questions lourdes sur lesquelles les différents responsables auront à donner toutes les explications utiles".
Paul Quastana (Core in Fronte)
"On ne peut arriver là haut que si l'on a sorti ici un consensus qui va au-delà de la majorité absolue, avec tout le monde, y compris le groupe de Laurent Marcangeli C'est un problème qui va pas se régler en quinze jours. Il va y avoir des tas de commissions..."
Jean Biancucci (Fa Populu Inseme)
"En ce qui regarde le peuple, la langue, la terre, nous ne renoncerons jamais. Jamais. Une fois qu'on aura dit cela, on peut envisager de dialoguer. Puis de négocier, et d'avancer point par point".
Jean-Christophe Angelini (Avanzemu)
"Si on reste à isopérimètre, et qu'il ne s'agit ici que de décentraliser un peu plus ou un peu mieux, de donner un point de TVA, de traduire un acte en langue corse, ou d'instituer une réforme de je ne sais quel outil, office, agence, chambre des territoires, que sais-je, alors je pense qu'il vaut peut-être mieux ne pas commencer. Disons-nous qu'il n'y a pas de solution sans la reconnaissance du peuple corse, sans autonomie législative, et qu'il n'y a pas de solution, à la lumière de ce qui est arrivé à Yvan Colonna, tant que les gens resteront en prison, et de la même manière qu'ils ont fait partie du problème pour l'Etat, ils devront faire partie de la solution".
"Nous entrons dans ce processus avec souci de transparence, de loyauté, de franchise, et s'il pouvait nous aider à converger un tant soit peu autour d'un certain nombre de thématiques, il n'aurait pas vu le jour pour rien".
"Il n'y a pas d'antinomie ou de dichotomie, entre la lutte pour ce peuple et son droit à un développement économique, social, fiscal, raisonnable et ambitieux. Pour nous, dans la négociation qui s'ouvre, intégrer ces sujets-là au même titre que nos fondamentaux est capital".
"Nous y arriverons si le mouvement national se respecte, et si le peuple corse se rassemble. Et le peuple corse, ça a été dit, ce ne sont pas que des nationalistes, fussent-ils d'un côté ou de l'autre de cette hémicycle. Il faut que nous nous respections et que nous nous écoutions. Je veux croire, en incorrigible optimiste, qu'il existe un chemin pour la volonté".
Paul-Félix Benedetti (Core in Fronte)
"Je crois qu'aujourd'hui on n'est pas dans une logique de rapports de force. Moi je crois qu'aujourd'hui, les rapports de force, j'ai eu à les subir, et j'ai eu à les exercer. Je voudrais que personne n'ait eu la vie que j'ai menée. N'ait eu à prendre les décisions que j'ai eues à prendre. N'ait eu à assumer les choses qui ont été faites. On ne peut pas laisser ceci en héritage. On a besoin de construire aujourd'hui un processus de paix. Mais la première des paix c'est la paix des Corses entre eux".
Paris nous tend la main, ou Paris nous tend un piège.
Paul-Félix Benedetti
"On a tellement de rage, on a tellement de haine, contre l'injustice qui a été faite à la Corse depuis deux siècles et demi, cet avenir qu'on nous a gâché, cette île qui aurait du être un paradis méditerranéen, et qui est en état de léthargie. Ce peuple qui aurait dû rayonner..."
"L'histoire d'Yvan Colonna, c'est l'histoire d'une fracture. C'est histoire de deux mondes. Et ça veut dire qu'il faut qu'on solde, de manière définitive et posée, tout ce qui nous oppose à la France, en se servant de tout ce qui nous rapproche. Je crois que c'est l'heure du solde. L'heure de la mesure politique, avant qu'il ne soit trop tard, avant que ne se réveillent des volontés de rupture"
"Ce dont la Corse a besoin aujourd'hui c'est d'un projet commun. Ca peut être le projet commun de la Corse et de la France, où ça peut être le projet commun des Corses entre eux. Et ça peut être les deux projets".
"Aujourd'hui il nous appartient d'être lucides .De comprendre que les manifestations dans la rue, ce sont des manifestations d'adhésion à la Corse. C'est un appel du coeur pour dire : "trouvez une solution"".
Josepha Giacometti (Corsica Libera)
"L'autonomie, ce ne peut être que le pouvoir législatif. Sinon ce n'est pas une autonomie, c'est une décentralisation améliorée, un statut modifié, ce n'est pas de l'autonomie. L'autonomie c'est, pour nous, le pouvoir d'agir".
Il n'y a pas de tentative de putsch, monsieur le président.
Josepha Giacometti
"Nous croyons à la paix, nous la voulons. Et la souhaitons à vos côtés. Il n'y a pas de manipulation, ou de tentative de putsch, monsieur le président."
"Je voudrais faire cesser une petite musique où d'un côté il y aurait les élus porteurs de la voie de l'apaisement, et de l'autre, les aigris, revanchards qui se nourrissent déjà de l'échec, et même de pire. Qui manipulent. Qui sont cachés derrière les combats de rues. Il n'y a aucune aigreur de ma part et des miens. Ce que nous disons, et nous l'avons dit avec constance depuis 2018 alors que nous étions dans la majorité, il faut engager un rapport de forces. Quand je parle de rapport de forces je parle strictement de politique."
"Nous voir revanchards, c'est nous voir bien petits, collectivement. Cela voudrait dire que les victoires auxquelles nous avons participé, ce serait les discréditer, les délégitimer. Jusque-là ces victoires étaient électorales, et je ne les amoindris pas, elles étaient importantes. Mais ces victoires devaient devenir politiques. Et la revanche ne peut pas être celle d'un camp contre un autre. La revanche, nous l'auront collectivement, et elle sera dans le rire de nos enfants".
Laurent Marcangeli (Un soffiu novu)
"Nous sommes, mes chers collègues, dépositaires de bien plus de devoirs que de droits. Un devoir d'exemplarité vis-à-vis des générations futures, quelques soient les convictions qui nous animent".
"Je ne suis pas allé présenter mes condoléances à la famille Colonna, alors que je les connais. Et que je les respecte. Parce que je suis ce que je suis. Et que des gens qui ne les connaissaient pas étaient susceptibles, peut-être, dans la situation de tension dans laquelle nous nous trouvons, de créer polémique. Est-ce normal ? Je vous parle de moi, au-delà de l'élu, du maire d'Ajaccio... Ce n'est pas normal, mes chers collègues. Ca ne devrait pas exister".
"Je ne suis pas nationaliste. Ai-je le droit ? A travers ma modeste personne ce sont des milliers de femmes et d'hommes qui se posent la question aujourd'hui. Et c'est un problème de démocratie, fort, vigoureux, qu'on peut voir aux portes d'un collège ou d'un lycée quand ceux qui veulent entrer étudier ne peuvent pas le faire. Et c'est une réalité que nous ne devons pas, aujourd'hui, nier".
C'est un problème que certains n'osent pas dire ce qu'ils pensent, lorsqu'ils ne sont pas d'accord. Il n'y a pas le parti du Bien, et de l'autre le parti du Mal".
"Les débats que nous avons nous concernent, mais ne concernent pas tout le monde. Et c'est une source d'inquiétude. Beaucoup de nos concitoyens, dans nos communes, dans nos villages, dans nos villes, sont très loin, excessivement loin de ce que nous pouvons dire ici. 40 % des Corses n'ont pas voté, lors des dernières élections. Alors qu'à une époque, on se battait, pour voter".
"C'est de tout le peuple qu'il faudra attendre la réponse. Si vous souhaitez, et nous le souhaitons, que les Corses et que la Corse se prononcent de manière claire et distincte pour une évolution future, il faudra convoquer le peuple corse, par référendum. Il ne faut pas en avoir peur, il ne faut pas le redouter. C'est indispensable, afin de nous orienter vers une voix, parce que ce ne sont pas les élections territoriales de juin dernier qui ont donné un mandat territorial à qui que ce soit pour mener des réformes de ce type. c'est notre conviction, et nous la défendrons bec et ongles jusqu'à la fin du processus."
Il faudra consulter le peuple corse par référendum.
Laurent Marcangeli
"Le mot d'autonomie ne nous fait aucunement peur, que les choses soient bien claires".
"Nous voulons participer activement, et positivement, à ce processus. Et nous voulons prendre la place qui est la nôtre, celle d'un groupe qui représente un Corse sur trois. Nous le ferons avec respect, et vigilance, vis-à-vis de vous, et vis-à-vis de l'Etat".
Romain Colonna (Fa populu inseme)
"Il y a un travail énorme qui nous attend, notamment dans le choix des domaines sur lesquels nous voulons intervenir, sur la justification de ce choix, sur la déclinaison, bloc de compétences par bloc de compétences, sur le transfert des moyens humains et financiers".
"Il y a quelque chose qui est sûr, c'est que l'Etat a parlé d'un processus à dimension historique, et ce dont je suis certain, c'est que l'histoire conflictuelle s'écrit à deux. Nous sommes partie prenante de ce conflit, et c'est à nous, Corses, sans hiérarchie, de rendre ce moment profondément historique. Ce n'est pas à l'Etat de le dire pour nous".
"Partout en Méditerranée, en Europe et au-delà, l'autonomie est la règle. Depuis le début de cette histoire, on nous oppose l'exception. Or, en quelques auditions, on a pu se rendre compte que l'autonomie était possible, dans le cadre français".
Jean-Félix Acquaviva (Fa Populu Inseme)
"Je crois qu'on peut imaginer, pour ceux qui croient en Dieu mais aussi pour ceux qui n'y croient pas, la trajectoire d'Yvan Colonna à un chemin de croix. Il a été martyrisé, et le déroulé de son assassinat n'est pas un déroulé commun, dans le temps, dans la souffrance, dans tout ce que cela ouvre de questions".
17h30, Gilles Simeoni (président du conseil exécutif, pour la clôture des débats)
"L'Assemblée de Corse, aujourd'hui, vient d'envoyer à Paris, de façon évidente, mais surtout à celles et ceux qui ont perdu un être cher, à celles à ceux qui attendent le droit au rapprochement et la libération conditionnelle, à celles et ceux qui vivent dans cette île, à celles et ceux qui, Corses de la diaspora, en ont été éloignés... L'Assemblée de Corse vient d'envoyer un formidable message de responsabilité et d'espoir".
"Le processus que nous allons discuter n'a pas vocation à organiser la sécession ou l'indépendance. Il y a des indépendantistes, ils ont aujourd'hui une position politique qui est me semble-t-il d'un état d'esprit de responsabilité majeure. Ils disent qu'ils acceptent la perspective d'une autonomie, et le verdict des urnes. Et si les Corses décident de ne pas aller vers l'indépendance, ils accepteront la décision des Corses. Qui peut critiquer cela ? Et en sens inverse quel démocrate pourrait avoir la prétention, si demain les Corses devaient décider d'aller majoritairement vers l'indépendance, de dire que ce choix est illégitime ou par principe écarté ?"
"S'il reste des incompréhensions à purger, au sein de la famille nationaliste, des désaccords à traiter, des problèmes à discuter, nous avons vocation à le faire, et d'autant plus vite que nous avons devant nous la perspective d'une occasion historique".
"Je ne pense pas qu'il faille aujourd'hui cliver la corse entre les nationalistes et ceux qui ne le sont pas. Ce n'est pas la manière dont nous pensons qu'il faut construire cette société, et pour nous, cette nation".
"J'ai été heureux que chez toutes et tous, chez les nationalistes, et chez ceux qui ne le sont pas, et à qui nous reconnaissons bien volontiers et de façon définitive le droit absolu de ne pas l'être, sans que cela infère quelque différence entre nous, du point de vue de l'attachement à la Corse... J'ai été heureux que vous ayez dit les mots que je m'étais interdit de prononcer pour Yvan Colonna. Patriote, militant, un homme, un citoyen, un père, un fils, un frère. Ces mots-là vous les avez eu toutes et tous et ils permettent de prendre la mesure exacte, sans mauvaise interprétation, de la façon dont nous avons partagé la douleur et le chagrin de celles et ceux qui l'ont pleuré".
"Nous savons que le chemin sera long, qu'il est parsemé d'embûches et d'incertitudes".