Chat-renard de Corse : les prochaines étapes pour la reconnaissance de cette (probable) nouvelle espèce animale

Tandis que la biodiversité s’éteint, que chaque jour des espèces animales et végétales disparaissent, des chercheurs travaillent à la classification d’une nouvelle espèce : le ghjattu-volpe, ou chat-renard de Corse. S'il est reconnu, il pourrait devenir une espèce protégée.

"On a révélé au monde une espèce à laquelle personne ne croyait !" s’exclame Pierre Benedetti, chef de l'unité de gestion des espaces naturels et de la faune sauvage terrestre de Corse. "Evidemment ça ne s’est pas fait comme ça. On a eu beaucoup de contradicteurs voire d’opposants à la démarche."

En juin 2019, l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), dont fait partie Pierre Benedetti, annonce le recensement d’une nouvelle espèce : le ghjattu-volpe, le chat-renard de Corse. Jusqu’à cette officialisation, seuls les bergers en parlaient : "Ils racontaient que ces chats forestiers s'attaquaient aux mamelles de leurs brebis et chèvres. C'est à partir de ces récits, transmis de génération en génération, qu'on a commencé nos recherches", raconte alors Carlu-Antone Cecchini, chargé de mission chat forestier à l’ONCFS. 

Mais pour faire reconnaître une nouvelle espèce par la communauté scientifique, le temps est long. Surtout quand le sujet d’étude se montre quasi-insaisissable.

Un animal discret

Dans la réserve de chasse et de faune sauvage de l’Ascu, le chat-renard se promène en toute discrétion. "Nous sommes dans un site qui lui convient. On a du rocher, donc des abris, du milieu forestier, donc des proies, on a aussi des cours d’eau et nous sommes relativement éloignés des grands circuits humains. Donc ce territoire lui offre de la tranquillité", détaille Pierre Benedetti.

Depuis 2008, chercheurs et naturalistes traquent la bête pour l’observer. Des cages et des appareils photos infra-rouges ont été installés dans les forêts insulaires, certains spécimens ont été capturés grâce à des appâts et parfums spécifiques, élaborés par Pierre Benedetti.

Une fois relâchés, neuf d’entre eux ont été suivis grâce à des colliers gps. "Ils font des déplacements beaucoup plus importants que ce qu’on avait imaginé", commente Frédéric Sanchis, inspecteur de l’environnement à l’unité de gestion des espaces naturels et de la faune sauvage terrestre : "Ces animaux parcourent des distances très importantes et peuvent aller à des altitudes très élevées. Certains chats partent de 300 mètres pour aller à jusqu'à 2000 mètres."

Les chats comparés

L’analyse de l’animal, passe aussi par des prélèvements de sang et de poils, pour le comparer à ses semblables.

Depuis son laboratoire, Sebastien Devillard, maître de conférences au laboratoire de biométrie et de biologie évolutive à l’Université Claude Bernard Lyon 1 explique : "On extrait son ADN et ensuite on va séquencer cet ADN  pour établir la carte d’identité génétique de l’animal. Ces informations sont toutes mises en commun. On a réuni des cartes d’identité de chats forestiers continentaux, de chats domestiques continentaux, de chats de Sardaigne,  de chats corses domestiques et de chats forestiers corses pour faire un seul ensemble d’individus. Ensuite, on a cherché les différences entre ces individus."  Ainsi, les scientifiques découvrent que le chat-renard de Corse est différent de ses congénères, même s’il est génétiquement proche des chats sauvages de Sardaigne.

Les spécificités du ghjattu-volpe sont aussi scrutées dans le passé : "On a analysé un grand nombre d’ossements archéologiques. Et on a vu qu’à partir du néolithique, ces sous-espèces qui étaient spécifiques aux différents territoires ont commencé à bouger. Donc les êtres humains se sont déplacés avec des chats, détaille Eva Maria Geigl, directrice de recherche à l’institut Jacques Monod, CNRS Université de Paris. Le chat sauvage de Corse pourrait être un témoin fossile vivant de cette époque, il y a 7000 ans, où l’animal n’a pas encore été transformé. Donc on analyse des génomes de chats dits sauvages européens, mais on analyse aussi, et ça c’est nécessaire, les chats anciens. On va les comparer parce que ce sont nos références, d'une certaine manière, et on va voir à quoi ressemble le génome de chat sauvage corse."

Témoin d'une époque préhistorique

"Malgré cette douzaine d’années de recherches, il reste beaucoup de choses à approfondir, constate Pierre Benedetti. Quelle densité de chat-renard y a-t-il en Corse ? Quel est son régime alimentaire ? Quel est son indice et son mode de reproduction ? Pour l’instant la question essentielle c’est de  prouver de façon scientifique qu’il existe. Nous en sommes convaincus. On a beaucoup d’éléments, mais ce n’est pas encore totalement probant. Quand nous aurons fini les analyses pour déterminer sa carte génotypique, on aura l’élément majeur qui nous permettra de le placer dans l’arbre du genre. Donc de savoir de quelle espèce il est issu et quel a été son chemin évolutif."

Pour le ghjattu-volpe, la route est longue vers la reconnaissance. Les membres du programme scientifique lancé par l'OFB espèrent publier un article synthétisant leurs recherches d'ici 2022 et engager dans la foulée une procédure pour faire classifier le chat-renard. Ce sera alors à l'International Institute for Species Exploration (IISE) de choisir si le chat-renard peut faire son apparition dans le classement des espèces. Chaque année, il n'en choisit que dix, parmi les 18.000 découvertes. Mais le chat-renard de Corse, on l'a vu, est habitué aux chemins semés d'embuches.

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