Coronavirus en Corse : les pharmacies, refuge des victimes de violences conjugales

C’était prévisible : Le confinement s’accompagne d’une recrudescence des violences conjugales au niveau national. Le gouvernement a annoncé une série de mesures. Plus facile à dire qu’à mettre en place. Mais les bonnes volontés s’organisent.

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“On peut le faire. Nos pharmacies sont le lieu idéal pour devenir des refuges”.
Quand Christian Filippi, pharmacien de la plaine orientale, a entendu que son officine était appelée à devenir un pilier de la lutte contre les violences conjugales en cette période de confinement, ça lui a paru tout à fait cohérent.

“Nos pharmacies sont très accessibles, tout le temps, nous sommes à la fois des référents santé d’un territoire et en ce moment, presque les seuls commerces de proximité ouverts. C’est une annonce qui a été bien accueillie par la profession”, poursuit le président de l’association des pharmaciens de Haute Corse (APHCO). “Plusieurs confrères m’ont appelé pour me dire qu’ils trouvaient ça très bien. Il faut maintenant qu’on cerne les modalités”.
 

 

“Au moment où la femme qui peut être battue, se rend sans son mari dans une pharmacie, il faut qu'elle puisse donner l'alerte”. Christophe Castaner


Ce système d’alerte dans les pharmacies pour les femmes victimes de leur conjoint a été présenté la semaine dernière par le ministre de l’intérieur.
“Nous devons prendre en compte cet enfermement qui peut empêcher de parler dans certaines circonstances”, a indiqué Christophe Castaner lors d’une émission télévisée. “Au moment où la femme qui peut être battue, se rend sans son mari dans une pharmacie, il faut qu'elle puisse donner l'alerte”.

Dans l’hypothèse où le conjoint serait présent, le ministre a évoqué “la possibilité d’un code, par exemple : masque 19”, sur le modèle du mot de passe “Angela” que peuvent donner dans les bars les personnes se sentant harcelées ou agressées sexuellement. 
Des consignes sont données pour que les forces de l’ordre puissent “intervenir en urgence”, car la lutte contre les violences conjugales reste une priorité.
 
 

+32% de signalements de violences conjugales en zone gendarmerie

“Ce dispositif est encore plus justifié en ce moment que d’habitude, estime Christian Filippi. Avec le confinement, la peur de la maladie, on voit bien que les gens sont très énervés, ils ne comprennent pas pourquoi on n’a pas de masque, de gel, pourquoi ils ne peuvent pas acheter de chloroquine. Il y a beaucoup d’agressivité dans l’air, tout le monde est très tendu”. 

Un climat général dont on mesure déjà les effets dévastateurs, notamment en terme de violences conjugales.
Le confinement s’accompagne en effet au niveau national d’une recrudescence de ces violences. Selon les chiffres donnés par la secrétaire d’État à l’Égalité femmes-hommes, Marlène Schiappa, il y a eu pendant la première semaine de confinement (qui a débuté le 17 mars) “une hausse de +32% de signalements de violences conjugales en zone gendarmerie et de +36% dans la zone de la préfecture de police de Paris”.
 

En Corse aussi

Et en Corse ?
“Jusqu’au week-dernier, il n’y avait pas d’augmentation sensible identifiée par les forces de l’ordre dans le département, explique Dominique Nadaud, déléguée aux Droits des Femmes et à l’égalité de Haute-Corse. Mais depuis le début de la semaine, ça change. L’unité médicale a dû gérer trois nouvelles situations mardi, deux ce mercredi”.
 

Il y a beaucoup d'agressivité dans l'air. Tout le monde est très tendu - Christian Filippi


Pour cette spécialiste des violences intrafamiliales, “cette recrudescence était inévitable et c’est pour cela que nous nous sommes mobilisés dès le début du confinement”. Mobilisés pour les femmes, mais aussi pour les enfants, omniprésents dans ces situations. “Il faut savoir qu’en France, 80% des femmes victimes de violences conjugales ont des enfants. La question de la prise en charge des enfants est donc au coeur de nos préoccupations”.
 
 

Un rôle d’alerte

Reste à transposer tout cela sur le terrain. « Les autorités nous ont bien informés de la mise en place de ce système, mais nous ne savons pas comment cela va s’organiser, il n'y a pas de protocole”, note Christian Filippi, qui ne s’inquiète pas pour autant : “nous sommes déjà débordés avec le coronavirus, cela arrive très brutalement dans un contexte compliqué, mais la prévention et l’orientation font déjà partie de notre métier”.

Car c’est bien dans ce registre que se situe l’intervention des pharmaciens.
“Il ne s’agit surtout pas de les substituer aux partenaires spécialisés, précise Dominique Nadaud. Les pharmaciens ont un rôle d’alerte uniquement. Pour qu’ils puissent l’assumer, nous allons les outiller : leur donner tous les numéros utiles, répondre à leurs besoins, être en appui”.
 

Les pharmaciens ont un rôle d'alerte uniquement - Dominique Nadaud


Pour le reste en pratique, pas de difficultés : “depuis l’élargissement de nos missions, nos pharmacies disposent déjà d’un espace isolé, intime que nous utilisons par exemple pour le vaccin contre la grippe. Un espace qui respecte tout a fait la confidentialité” précise encore Christian Filippi.
Sur le continent, le dispositif a déjà été utilisé par des femmes en détresse cette semaine, à Nancy et à Concarneau.
 
 

Points d’accompagnement en centre commercial

Pour étoffer son dispositif, le gouvernement a aussi prévu la mise en place de “points d’accompagnement éphémères” dans des centres commerciaux pour accueillir les victimes.
“Comme il est plus difficile de se déplacer, nous faisons en sorte que les dispositifs d'accompagnement aillent aux femmes", a expliqué Marlène Schiappa dans un entretien au Parisien.

C’est en région parisienne que ces installations se font en premier, dans des locaux "permettant la confidentialité, mais assez vastes pour accueillir les femmes en respectant les mesures barrières".
Dès cette semaine, un de ces points a été installé dans le Val d’Oise. Ensuite, le dispositif devrait être déployé à Dijon, Rennes, Lyon... Avec l’objectif d’atteindre "une vingtaine de points dans les prochaines semaines".
 

Mais pas forcément en Corse. “Ces points sont mis en place sur le continent par un gestionnaire de centres commerciaux. Cela implique d’avoir des locaux, du personnel.... En Corse, il faut voir si c’est possible, car cela nécessite, pour accueillir ces femmes dans ce cadre, un investissement des associations spécialisées qui sont déjà sollicitées et n’ont que de très faibles effectifs”, indique Dominique Nadaud.
 

Financement de nuitées pour favoriser la décohabitation

En revanche, la Corse va bien bénéficier du million d’euros débloqués par le gouvernement pour aider les associations sur le terrain, mais aussi des fonds prévus pour financer des nuitées d'hôtel et ainsi éloigner les femmes des hommes violents.
Au niveau national, il est question de 20 000 nuitées.

“L’idée, et c’est ce qui est nouveau au-delà du financement, c’est de privilégier la décohabitation. Cela veut dire que ces nuitées d’hôtels peuvent être utilisées pour la victime, femme et enfants, ou bien pour l’auteur des violences. Car il ne s’agit pas de le laisser à la rue dans ce contexte, mais de l’évincer du domicile, si c’est la meilleure solution pour les victimes”

Empêcher le huis-clos familial de devenir un enfer, sans déroger au confinement... 
Une gageure pour tous les foyers; une question de survie là où les abus et la violence ont déjà fait leur lit.



L'année dernière, nous avions recueilli le témoignage de victimes de violences conjugales :
 


 
Informations utiles
Pour signaler des violences conjugales ou appelez à l’aide vous pouvez composer le 17, le 112, mais aussi le 3919, ou encore le 119 pour les violences concernant les enfants.
Ou envoyer un sms au 114.
Numéro vert régional (Cidff Haute-Corse) 24 heures/24 tous les jours, anonyme et gratuit : 0800 400 235
Numéro vert mis en place la collectivité de Corse pour signaler des violences conjugales pendant le confinement 0 800 084 185

Prise en charge médicale 24 H/24 et 7Jours/7
Unité hospitalière mobile dédiée aux violences sexistes et sexuelles du CH de Bastia
Maintien des suivis par téléphone. Les consultations se font sur sites délocalisés et selon les besoins :
au commissariat de Bastia
dans les brigades de gendarmerie
dans chaque PTS (Pôle Territorial Social ex Utis) de la CDC : Ile-Rousse,Lucciana, Bastia, Ghisonaccia, Moriani, Corte
à la DDCSPP2b si nécessaire
Contacts :
Par téléphone:  06.06.84.31.08.89 et  06.19.85.59.83
par courriel : dr.balle@orange.fr et unite.lutte.violence@ch-bastia.fr

Si vous êtes témoin ou victime, vous pouvez également effectuer un signalement sur la plate forme gratuite et anonyme : arretons.les violences.gouv.fr.
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