En Corse, en 2018, six biens confisqués à la grande criminalité ont été revendus lors d’enchères publiques pour un montant qui dépasse 2,4 millions d’euros sans que les citoyens en soient informés. Au contraire, en Italie, tout est fait pour communiquer au maximum autour de ces ventes.
En 2018, pour la première fois en Corse, six biens ont été vendus pour un montant qui dépasse les 2,4 millions d'euros. C’est un quart du montant national des ventes de 2017 : 8,3 millions d’euros.
Entre autres biens, une villa appartenant à Jean-Luc Germani, baron du grand banditisme insulaire, située dans le contrebas des collines de Talasani. Elle a été saisie en 2014, puis confisquée par jugement en 2016.
141 mètres carrés, quatre pièces, trois chambres, 3 000 mètres carrés de jardin. L'État l'a vendue en novembre dernier via un spécialisé de notaires de Perpignan. Mise aux enchères 219.000 €, « partie » à 285.000, plus bas que le prix du marché.
Cette mission est conduite par l’agence de gestion des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) depuis 2011. « Ça fait partie de la réponse pénale. Confisquer le patrimoine du délinquant, c’est aussi lutter contre la récidive et signifier que personne n’a vocation à garder le produit du crime », explique Anne Kostomaroff, directrice générale de l'AGRASC.
Informer les citoyens
Mais il est encore difficile, notamment en Corse, de connaître de quels dossiers judicaires sont issus ces ventes. Informer les citoyens pour ancrer, au plus près du terrain, l'idée que l'argent du crime et son blanchiment ne paient plus serait la prochaine étape. « Je souhaite créer un site internet auquel auront accès l’ensemble des citoyens. Ils pourront, en temps réel, savoir que l’agence a procédé à la vente de tel bien, confisqué par telle juridiction dans tel dossier. Il faut faire quelque chose d’incontestable, de très informatif, de très pédagogique, mais ça va être fait », soutient Anne Kostomaroff.
D'autres modèles existent. En Italie, la confiscation et l'information au public sont indissociables. D'autant que depuis 1996, les biens confisqués ne sont non pas vendus, mais mis à disposition du secteur associatif.
Camorra
En Campanie, Casel Principe, 20 000 habitants, a été la ville siège des clans les plus violents. Elle est actuellement celle qui a pris le plus d’initiatives sociales avec les biens confisqués au grand banditisme.
Une des maisons de la commune était celle d'Egidio Coppola, alias Brutus, puissant camorriste. C'est maintenant un centre culturel à la mémoire de Don Peppe Diana, prêtre abattu de cinq balles dans la tête dans sa sacristie, mais aussi des 350 autres victimes innocentes de la Camorra en Campanie.
Arrestations, procès gigantesques et réguliers, depuis les habitants disent que l'air n'est plus le même. « Désormais, on parle, et on se départage : d'un côté les camorristes, d'un autre les gens "bien". On est en sécurité parce qu'on sait où on est, les personnes savent ce que tu fais, qu'ils ne doivent pas te faire des problèmes pour rien, on se reconnaît entre gens qui luttent, comme moi. On a de la force ensemble », indique Marialaura Dibiase, responsable du comité Don Peppe Diana.
Insertion
Une transformation que viennent aujourd’hui étudier des groupes venus d’Italie et de l’Europe entière. En Italie, la loi a donné priorité à l’'insertion sociale pour les projets des biens confisqués.
Cette revendication est portée par un fort mouvement citoyen anticamorra dont, à Casel di Principe, le maire Renato Natale. Dans son très sobre bureau, il compte près de 70 biens confisqués et une centaine d’emplois créés dans le secteur associatif. « Tout ce qui a été réalisé dans les biens confisqués a permis la naissance et la croissance d’un pan de l’économie sociale et solidaire, fondée sur la coopération et pas sur l’oppression. C’est par essence une alternative à l’économie criminelle qui avait fini par pénétrer toute notre vie sociale », souligne-t-il.
Mais si la méthode est bonne, il reste un énorme travail pour renforcer la culture de la légalité. « Les camorristes ici il n'y en a plus, mais la mentalité camorriste oui. Tu sais la mentalité de faire confiance à qui pourrait te protéger, d'être contre l'État, si tu te fais voler de passer par des "amis", d'aller demander ce que tu dois voter. Cette mentalité, elle reste encore, et il faudra des années pour l'extirper, à travers ce système de biens confisqués tous ensemble nous essayons de déjouer cette mentalité », estime Dimitri Russo, maire de Castel Volturno, commune où de nombreux projets sont en cours.
Car dans certains cas, les anciens propriétaires camorristes ont usé de menaces, d’intimidations ou de sabotages pour que les programmes ne voient pas le jour. Selon le journaliste Sergio Nazzaro : « L'action de la magistrature, des forces de l'ordre cela a été très important, ils les ont arrêtés [les camorristes] mais maintenant, il faut continuer avec la société civile, les policiers et les magistrats ne peuvent pas tout faire, il faut que ce soit la société, les citoyens qui doivent promouvoir une société meilleure. »
Le dernier bilan des « biens libérés » des mafias en Italie compte plus de 12 000 immeubles dont la moitié dans les territoires du Sud entre Sicile et Campanie.
Boîte à outils
Pour ce reportage, nous avons rejoint un voyage d’étude de l’association française Crim’halt, présidée par Fabrice Rizzoli qui connaît bien la Corse et que nous avions interviewé pour le premier volet de nos sujets. Ce voyage était organisé pour mieux connaître le dispositif italien de confiscation des biens mafieux.15 personnes ont participé à ce séminaire itinérant : des membres d’associations de lutte contre la précarité, contre le mal-logement, un chercheur en sociologie, l’ancien délégué adjoint à la délégation interministérielle à l'économie sociale (DIES), des journalistes indépendants et aussi le maire de Linguizzetta récemment salué par Anticor.
Le titre de l’étude était « culture contre Camorra ». Sur place, c’est le Comité Don Peppe Diana, mouvement de lutte anticamorra qui nous a permis de rencontrer la plupart des gens cités dans le sujet. La zone que nous avons traversée, entre Casal di Principe et Castel Volturno, a été largement décrite dans le livre de Roberto Saviano Gomorra en 2006.
Depuis, les principaux clans camorristes ont été arrêtés, mais les habitants et maires que nous avons rencontrés mènent toujours une la longue bataille sociale et culturelle.
Florence Antomarchi.