Le parent d’élève poursuivi pour avoir agressé une enseignante à l’école Salines 6 d’Ajaccio en début de semaine a été jugé en comparution immédiate ce vendredi 17 mai. À la barre, la mère de famille a dit que sa "fille avait été humiliée". La partie civile lui a notamment reproché son "manque de remise en question". Le jugement a été mis en délibéré au 24 juin prochain.
À la barre, face à la présidente du tribunal, la mère de l’élève dit "regretter son geste et les conséquences que cela a pris", tout en se disant "soulagée que sa fille n’ait plus affaire à sa maîtresse".
Poursuivie pour "violences aggravées contre une personne chargée d’une mission de service public", Saida L. a été jugée en comparution immédiate, vendredi 17 mai, quatre jours après les faits survenus à l’école élémentaire Salines 6 d’Ajaccio. C'était le lundi 13 mai.
Ce jour-là, expose la présidente, il est reproché à la mère de famille de 44 ans "d’avoir saisi violemment l’enseignante par le bras, puis par le col et de l’avoir insultée". La scène s’était déroulée à la sortie de 16h30 "devant des enfants dont celui de l’enseignante", précise la présidente indiquant que cette dernière "s’est effondrée, traumatisée".
L’incident a entraîné "un jour d’incapacité totale de travail (ITT) ainsi que huit jours d’arrêt maladie" pour la professeure des écoles. En signe de soutien à leur collègue agressée, tous les enseignants des écoles de la ville d'Ajaccio avaient débrayé pendant une heure jeudi 16 mai.
Filmée par les téléphones portables de certains témoins, l’altercation avait pris fin après l’intervention du gardien de l’établissement scolaire.
Placée en garde à vue mercredi, Saida L., a qui il est également reproché l’usage de cannabis, avait d’abord livré ses explications aux agents de police. La présidente lui rappelle que, lors de son audition, "elle a nié la plupart des faits avant de les reconnaître en voyant les vidéos prises avec les téléphones".
La présidente fait également état de "difficultés avec son enfant qui arrive souvent en retard" en cours.
Elle mentionne également "une cellule familiale brisée après le départ du père", ainsi qu'une ordonnance du juge des familles de 2023 dans laquelle il est écrit que la mère "ne pouvait subvenir aux besoins de ses trois enfants". Certains d’entre eux suivaient des cours à domicile.
"Situation humiliante"
Dans la salle d’audience du tribunal d’Ajaccio, une vingtaine de personnes assiste aux débats. Parmi elles, l’enseignante agressée, le directeur de l’école Salines 6, des représentants syndicaux de l’Éducation nationale mais aussi des personnels du Rectorat, dont l’inspecteur académique de Corse-du-Sud. Tous écoutent et regardent attentivement la prévenue évoquer à la barre une "situation scolaire" qu'elle qualifie ''d'humiliante pour sa fille".
Longue veste verte, baskets noires, silhouette frêle et traits tirés, la mère de l’élève a parfois du mal à se contenir. La présidente la reprendra à plusieurs reprises. "Je suis épuisée psychologiquement, fatiguée par ce qui arrive et par la garde à vue", lâche-t-elle, quelque peu excédée.
"J’ai vu l’état de ma fille se dégrader depuis des mois, explique-t-elle au sujet de son enfant de 10 ans scolarisée à l’école Salines 6 depuis septembre dernier. Il y a un mal-être et l’enseignante a toujours minimisé ce mal-être. J’ai exigé au directeur d’avoir une entrevue pour mon enfant mais c’est resté sans réponse."
"Comment ça s’est passé ?", lui demande la présidente, quelque peu agacée que la prévenue n’en vienne pas aux faits du 13 mai.
"Je reconnais avoir perdu patience car j’étais devant des personnes qui me "repoussaient" à chaque fois." Selon Saida L., la maîtresse aurait notamment "humilié sa fille en brandissant une feuille lui appartenant et disant qu’elle était sale devant toute la classe".
Ça s’est passé à la sortie de l’école, devant les autres enfants.
La présidente du tribunal
Interrogée sur son agressivité, la mère de l’élève dit "avoir perdu patience". Sur son intrusion dans l’école ? "Je voulais que Mme D. (l’enseignante) explique à ma fille."
"Vous n’aviez pas de rendez-vous", lui fait remarquer la présidente. "Et ça s’est passé à la sortie de l’école, devant les autres enfants", prolonge-t-elle. Le substitut du procureur de la République fera état d’un "trouble à l’ordre public".
"Je suis navrée de ce qui s’est passé mais soulagée que ma fille ne voit plus cette maîtresse", dira en conclusion la prévenue.
"Pas beaucoup de regrets donc ?", lui glisse la présidente.
"Oui, que tout ça se soit passé violemment", répond la prévenue.
"Rien qui vous arrête"
Sur les bancs de la partie civile, Me Jean-Philippe Battini - représentant de l’enseignante agressée - revient sur le fait que la mère n’ait pas honoré un rendez-vous fixé par l’AEMO (Action éducative en milieu ouvert) il y a quelques mois pour une expertise médicale.
Saida L. affirme que le "médecin avait du retard" et qu’elle devait "aller chercher son enfant à l’école ce jour-là". Concernant la "phobie scolaire qu’aurait générée l’enseignante sur la fille de la prévenue", Me Battini fait remarquer qu’elle "préexistait bien avant les faits". Et l’avocat de revenir sur le passage à l’acte de Saida L. : "Même devant vos propres enfants, il n’y a rien qui vous arrête. Vous foncez vers l’objectif."
Vous répondez à toutes les questions que l’on vous pose que le problème ne vient pas de vous.
Me Anna-Maria SollacaroAvocate de la partie civile
S’ensuit un échange quelque peu tendu entre Me Anna-Maria Sollacaro, qui représente le directeur de l’école Salines 6, et la mère de famille : "Vous rentrez quand même dans l’école alors qu’on vous dit de ne pas le faire", pointe la pénaliste qui fait état d’un "manque de remise en question" :
"Vous répondez à toutes les questions que l’on vous pose que le problème ne vient pas de vous."
"Je ne comprends pas le sens de vos questions", lui dit Saida L. "Et moi le sens de vos réponses", rétorque Me Sollacaro.
"De la compréhension", plaide la défense
En défense, Me Xavier Casimiri ne "demande pas d’absoudre sa cliente mais de faire preuve de compréhension", rappelant qu'elle est "divorcée et à un casier judiciaire vierge".
"J’ai demandé de la compréhension parce que lorsqu’on est père ou mère de famille, qu'on est confronté à ce qu'on estime être une injustice vis-à-vis de son enfant, d'autant plus quand les enfants sont particulièrement jeunes, on a nécessairement une réaction épidermique, analyse Me Casimiri à l'issue de l'audience. Alors, on veut protéger ses enfants et c'est normal. Encore faut-il savoir le faire. Et manifestement, dans ce cas-là, ma cliente n'a pas su le faire, c'est-à-dire qu'elle aurait pu avoir des relais. Mais c'est vrai que parfois, lorsque l'on discute avec l'administration, on est confronté à des portes closes, ce qui entretient en fait cette absence de discussion, de possibilité de discussion, et une certaine animosité à l'égard du personnel de la fonction publique. Là, cela aurait pu être désamorcé bien avant. Cette situation traînait depuis plusieurs mois et ma cliente a dégoupillé, comme je l'ai indiqué au tribunal, sur ce qu'elle a estimé être une nouvelle injustice qui a été faite à son enfant."
Pour l’avocat de la défense, "cette plaidoirie et les réquisitions des autres partis ont permis de mettre les choses sur la table et de calmer un petit peu la situation" : "Il y avait une crainte de la part du milieu éducatif qu"il n'y ait pas de sanction. La sanction, elle y sera, mais il faut quand même qu'elle soit adaptée à la gravité de l'agression."
À l'encontre de Saida L., le représentant du ministère public a requis 12 mois de prison totalement assortis d’un sursis probatoire de deux ans, avec l’obligation pour la prévenue de suivre des soins, une interdiction d’entrer en contact avec l'enseignante, d’indemniser la partie civile et d’effectuer un stage de citoyenneté.
Le jugement a été mis en délibéré. Le tribunal rendra sa décision le 24 juin prochain.
D’ici là, a rappelé la présidente, la prévenue "reste sous contrôle judiciaire avec interdiction de se rendre aux Salines et d’entrer en contact avec l’enseignante".