Depuis la mi-mars, et l'instauration du confinement dans le pays, l'une de nos journalistes raconte ses journées. Ce mercredi, on redécouvre Ajaccio à travers les yeux de sa "grande soeur".
►Retrouvez le chapitre 48 :
Chapitre 49 : La révélation de l’autre
Je l’appelle « grande sœur » parce qu’elle est petite et me couvre de ses conseils bienveillants. Elle veille à prendre soin de moi dans ces moments de vie où je m’oublie complètement. Elle habite pas très loin de chez moi, mais je ne l’ai recroisée que la semaine dernière dans le quartier. Elle faisait la queue devant le magasin Bio.
La reine des marques…
La dernière fois que j’ai fait une sortie avec « grande sœur », c’était en fin de soldes d’hiver. Elle est incollable sur les marques, les formes, les matières. Rien à voir avec une fashion victim, juste quelqu’un qui aime le beau en toute discrétion. Ce jour-là, elle a essayé une veste en maille dont elle adorait la façon au même titre que la couleur.Elle s’est regardée dans la glace mais n’a pas parue convaincue, elle a dit, « je suis trop petite, essaie-là, toi ». Effectivement, elle tombait bien, je l’ai achetée (en « pestant » contre elle de me faire dépenser de l’argent ). La semaine suivante, je mettais cette veste pour la seconde fois lorsque j’ai revu « grande sœur ». Je l’ai taquinée, « tu as eu du nez de me faire acheter cette pièce, tu as vu comme elle bouloche… après, tu peux être la reine de la revente sur Vinted avec tes articles de bonne facture ». J’ai levé les bras pour lui montrer la catastrophe.
Elle a pris un air contrit avant de rigoler, « ben, toi aussi, tu n’as qu’à avancer les bras en l’air, comme ça, plus de frottements et plus de bouloches ». Il y a peu, j’ai remis la veste (de marque, je précise) pour sortir faire des courses, mes anciens voisins que j’ai croisés dans la rue n’ont pas pu s’empêcher, « ah, tu as des-inhumé du placard la veste du village ! ». Voilà, je dois à « grande sœur » ce genre d’aventure (et de réflexion).
Quand je l’ai croisée sous un masque relevant son large front, je lui ai demandé ce qu’elle avait fait de son confinement (mon dieu, j’avais écrit « déconfinement » avant de rectifier ). Qu’elle télé-travaillait, je le savais déjà, par contre, qu’elle prenait régulièrement des photos pour les partager ensuite sur Instagram, je n’étais pas au courant. Je n’ai qu’une page inactive sur « Insta ».
On a regardé ensemble sur mon téléphone comment trouver la sienne puis je lui ai dit en la quittant que j’irai plus tard « visiter » sa galerie. Ce n’est donc qu’en soirée – et après quelques manipes infructueuses pour communiquer - que j’ai découvert son monde. Des photos, sans filtre, qui parlaient de notre quartier. Je me rendais compte que j’avais souvent beaucoup de mal à situer les lieux (pourtant tout proche) qu’elle partageait avec ses abonnés.
Avec ses abonnés mais aussi avec « Ajaccio Tourisme » qui avait lancé une sorte de petit concours pour mettre en valeur la ville en période de « state in casa ». Je sais que « grande sœur » n’utilisait que son téléphone pour les photos, s’efforçant de trouver de nouvelles perspectives, de fenêtres en balcons de son appartement. En restant à la maison, donc.
Cela peut paraître bête, mais j’adorais l’idée de redécouvrir mon quartier sous cet angle. On regarde chaque jour un paysage familier sans réaliser qu’il nous échappe complètement. Un peu comme les gens que l’on envisage sous leur trait dominant et qui nous sont révélés autrement durant ce confinement.
J’ignorais que « grande sœur » aimait scruter de son œil des morceaux de notre « patrimoine » quotidien (mais le savait-elle, elle-même, avant ce confinement ?). J’ai fait défiler les photos, pour réaliser qu’elle avait pris le pli de se balader un peu aussi pendant son heure impartie de sortie. Bizarrement, l’un des clichés me transportait dans un endroit familier de mon enfance : le quartier des étrangers.
Je ne sais pas pourquoi, mais la façade photographiée pas très loin de mon actuel « chez moi » me ramenait au bâtiment de l’évêché qui jouxte l’église du sacré cœur où j’allais apprendre mon catéchisme. Sans doute qu’une réminiscence du passé venait se poser là, rassemblant les souvenirs sur une autre façade en vase communiquant.
J’ai su un peu plus tard, que « grande sœur », aussi, ressortait ses souvenirs. Des livres oubliés depuis des années dans une bibliothèque. Celui sur les « Mémoires d’un caniche » m’a beaucoup fait rire. « Grande sœur » m’a dit, « j’attends mes aquarelles, j’ai toujours rêvé de faire de la peinture ». J’ai eu l’impression qu’il y avait comme une renaissance pour certains dans ce confinement. Cette phrase du « j’ai toujours eu envie de, mais je ne l’ai jamais fait avant » est revenu souvent dans le propos des gens autour de moi (amis, collègues, connaissances).
J’ai découvert de « grande sœur », un autre univers au travers de ses envois successifs. J’ai revisité (grâce à elle) le « Roman de Renard », visionné de petits films anciens et découvert sa passion du documentaire, durant ces derniers jours. Presqu’une révélation. Et, à aucun moment, nous n’avons parlé chiffon (même si parler chiffon avec elle est beaucoup plus profond qu’une simple histoire de shopping).
Je suis retournée me balader dans mon quartier pour deviner ces façades que j’avais vues sur les photos et que je n’arrivais pas toujours à situer. J’en ai fait comme une chasse aux trésors. Aujourd’hui, j’attends avec beaucoup d’impatience les peintures de « grande sœur ». Je suis curieuse de savoir quel sera son sujet.
Et je me dis que le shopping du moment, on aura décidemment été le faire dans d’autres partie de nous-même, durant ce confinement.