Le confinement généralisé est entré en vigueur en Corse, comme partout en France, mardi 17 mars, à midi. Une de nos journalistes raconte ses journées de confinement. Ce jeudi, elle raconte la vie en cohabitation avec son chat, Monsieur.
►Pour retrouver le chapitre 1 :
Chapitre 2 : Monsieur ...
Je vais vivre la vie de Monsieur, c’est ce que j’ai réalisé mercredi matin. Monsieur, c’est mon chat. Une boule de poils qui ne quitte pas mon appartement. Pardon, son appartement, où il m’accueille en continu depuis deux jours. Lorsque, ce mardi, il a plongé sa gueule d’amour dans la gamelle remplie de croquettes tandis que l’odeur du premier café du matin venait me chatouiller les narines, j’ai pris peur. Allais-je devenir le ventre sur pattes que j’avais sous les yeux et qui irait bientôt ronronner de plaisir sur le canapé ?
Jusque-là, chaque matin, en quittant mon nid douillet pour aller travailler, je regardais Monsieur en me disant « t’as de la chance toi, tu vas pouvoir te la couler douce toute la journée ! ». Mais là, confrontée à l’obligation du confinement, il en allait tout autrement ! Qu’allais-je faire ? Me goinfrer toute la journée en me traînant du lit au canapé ?
J’ai donc décidé d’aller faire un tour sur les réseaux sociaux histoire de voir ce qui était proposé. Je suis tombée sur cette vidéo :
En fait, les coachs sportifs s’étaient visiblement donné le mot. Les modules qui encourageaient les cloitrés que nous sommes à redevenir les actifs que nous étions (à défaut de vrais sportifs) étaient nombreux.
J’enchaînais ma troisième vidéo du genre quand Monsieur a détalé multipliant les aller-retours frénétiques entre le fond de l’appartement et le salon. Cela m’a définitivement épuisée. Mais pas Monsieur, je vous rassure, lui, il a continué ses longueurs infernales à l’allure d’un TGV avant d’aller prendre l’air sur notre balcon d’un mètre carré.
Je l’ai suivi pour regarder vivre la rue quelques instants. La vie en oxymore, en silence presque assourdissant par moment. Une circulation modérée, très peu de bruit et des gens portant pour certains des masques de protection. J’ai alors repensé au message de la veille sur Facebook (doublé d’un petit mot en privé).
Sandrine évoquait ses masques, cousus mains, qu’elle fabriquait en ces temps retranchés et qu’elle distribuait gratuitement. À des personnes fragiles, à la femme de ménage de son immeuble, à des personnes contraintes de continuer à travailler.
Sandrine avait dû penser que la journaliste que je suis (qu’elle pensait non confinée) en avait l’utilité. Dans l’échange qui avait suivi sa publication, elle m’avait fait part du petit « hic » qui pouvait, à terme, freiner son élan visant à l’entre-aide : elle manquait de fil blanc (pour que ses créations soient aussi utiles que jolies). J’ai donc passé quelques coups de fils dans l’immeuble et pu récupérer (à distance) deux bobines supplémentaires.
On peut dire ce qu’on veut, cela fait du bien de se sentir utile. Quelques heures après cette collecte matinale, Sandrine, sur le chemin des courses, passait me déposer deux de ses créations au pied de l’immeuble, juste de quoi me permettre de descendre et remonter quatre étages à pied (alors, sportive ou pas ?).
Plus la journée avançait, plus je me disais que la créativité devait être le secret d’un confinement bien géré. Telle était en tout cas la conclusion qui s’imposait. Sans doute que je me sentais, malgré moi, plus créative que sportive en ces moments troublés. Justement, une photographe amateure m’avait confié, la semaine précédente, une série de photos dont je devais me servir dans un reportage.
Je décidais donc d’improviser une petite expo pour moi-même. Pour moi-même, seulement avant d’en faire profiter les autres via les réseaux sociaux, réflexe plus que jamais d’actualité. J’ai donc commencé par tirer les chaises de la salle à manger, avant de remettre en ordre les coussins dans le salon, tout ça sous l’œil perplexe de Monsieur. Combien de temps mon chat allait pouvoir me supporter ? Je me suis clairement posé la question.
Une bonne demi-heure plus tard, les clichés organisés en un savant parcours étudié de manière à pouvoir slalomer entre les meubles des deux pièces adjacentes, j’appuyais sur la touche enregistrement vidéo de mon téléphone : à ma manière, j’allais pouvoir donner un peu d’air aux gens, celui que mes allergies respiratoires ne m’accordaient pas en ce moment. Je tenais enfin une des activités susceptibles de faire tourner le cadrant de la montre un peu moins lentement et dont je vous livre le résultat en exclusivité (exclusivité qui est la panacée pour une journaliste, même confinée).
►Exposition photo virtuelle :
Images - Céline Lerouxel
Mais preuve que je n’étais pas la plus imaginative des créatives, je recevais par WhatsApp une vidéo de la très inspirée Livia Stromboni Dacquay, comédienne de son état, offrant en partage ce qui était annoncé comme « un cadeau de confinement ». Un cadeau qui fleurait bon le jardin d’Eden (de rapports humains à réinventer dans ce drôle de moment).
À défaut de cours de théâtre à la Scenina, Livia improvisait un dialogue de « création » - celle de la bible – dans son salon, en compagnie de son mari. Une chose devenait claire : comme le couple Stromboni-Dacquay, je devais inventer ma manière de vivre ma vie de « chat d’appartement ».
Monsieur, lui, n’en avait rien à faire de mes états d’âme. Je le trouvais bienheureux de ne pas vivre le monde actuel comme nous, pauvres humains. De ne pas suivre le fil d’information Facebook de France 3 pour apprendre que des gens abandonnaient leurs animaux ces derniers jours par principe de précaution (de peur d’attraper le coronavirus ?) : qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage…
Les infos, j’ai fini par les regarder hier soir à la télévision. Elles parlaient de « médecine de guerre », d’équipes médicales débordées et de choix qui deviendraient inéluctables à terme entre les vies à sauver. De comportements irresponsables. Puis un reportage est passé sur l’hommage rendu chaque jour, à 20 h, aux soignants.
►Applaudissements en hommage aux soignants à Ajaccio :
Images - Céline Lerouxel
Un peu plus de monde de soir en soir pour les acclamer au balcon. Malgré moi, je me suis demandé ce que nous avions compris de l’idée de confinement. De ce que chacun y mettait dedans, de même que dans l’idée de « déplacement nécessaire ». La gravité de la situation échappait-elle à la plupart d’entre nous ? Applaudir, c’est bien, mais sans conscience, cela ne sert à rien.
Alors, j’ai regardé mon chat. Bizarrement, au moment où je rédigeais mon papier, Monsieur se tenait droit devant la porte d’entrée réclamant une hypothétique sortie sur le palier qu’il n’obtient qu’en trompant ma vigilance. Si je ne le laisse pas sortir, c’est pour sa sécurité. J’ai souri.
Oui, j’ai souri, parce qu’il y a des moments improbables où, le service que nous pouvons rendre aux autres et à nous-mêmes, c’est justement de vivre une vie de chat d’appartement. Sans grogner. #stateincasa