Journal de bord d'une confinée à Ajaccio : maman je t'aime

Le confinement généralisé est entré en vigueur en Corse, comme partout en France, mardi 17 mars, à midi. Une de nos journalistes raconte ses journées de confinement. Ce vendredi, elle aborde ses "nouvelles" relations avec sa mère. 

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► Pour retrouver le chapitre 2 :  

  • Chapitre 3 : Maman(s)

Je ne vois pas ma mère. Ne cherchez pas, je ne me suis pas disputée avec elle, je ne suis pas une fille ingrate, je n’ai pas de panne de voiture, je ne suis pas débordée, mais je ne vois pas ma mère.

Je lui donne même des ordres maintenant. Le premier, dimanche dernier : « non, maman, mesure de protection ou pas, tu n’iras pas voter ». Elle a dû sentir au ton de ma voix que je ne rigolais pas.

 

Je ne vois pas ma mère, donc, parce qu’elle a 77 ans et que je ne veux pas être son facteur de contagion le plus important. Lundi matin, l’heure du confinement se faisant clairement sentir, je suis partie faire des courses pour elle (j’avais maintenu mon interdiction de sortie à ce genre d’exercice aussi) et, en les ramenant dans cet appartement où j’ai grandi, pour la première fois de ma vie, je n’ai pas franchi le seuil de la porte. J’ai déposé les sacs sur le paillasson avant de sonner, elle a ouvert en se lavant les dents (ma mère a le don de l’accueil de circonstance, c’est comme une seconde peau) puis elle est restée, comme je le lui avais demandé, dans son hall d’entrée. De mon côté, je m’étais positionnée à l’autre bout du long palier. 
 

Réflexe de Pavlov


On a tchatché deux minutes (c’est un peu compliqué une brosse à dents dans la bouche) et je suis partie. Ce qui n’a pas changé, c’est qu’elle est sortie sur la terrasse (sans lâcher sa brosse) pour me faire « coucou », au moment où je rejoignais le parking de l’immeuble. C’est un rituel, on se fait « coucou » des escaliers extérieurs jusqu’à la voiture à chaque visite.  Il peut faire -3 degrés dehors, ma mère sort quand même me faire un signe de la main, c’est comme un reflexe de Pavlov.

Une fois dans mon véhicule, j’ai claqué la portière, glissé la clé dans le neiman et pris le volant à deux mains : jamais, depuis mon adolescence capricieuse, je n’étais partie de chez elle, sans embrasser ma mère. J’ai alors ressenti un sérieux pincement au cœur mais me suis ressaisie : les temps n’étaient pas aux embrassades et cela valait aussi pour les gens qu’on aime. « A plus forte raison pour les gens qu’on aime » me suis-je dit pour mieux me convaincre,  « surtout lorsqu’il ont dépassé un certain âge». C’est dur de ne pas embrasser sa mère.

 

Tout le trajet, j’ai réfléchi à ce que j’allais pouvoir faire ces prochaines semaines pour vaincre son isolement, convaincue, comme tout le monde, que le confinement serait annoncé le soir même par le président de la République. A peine rentrée à la maison, j’ai donc appelé mon frère, exilé avec sa famille sur le continent. C’est sa fille de 11 ans qui m’a répondu. Je lui ai alors expliqué que je comptais sur elle pour téléphoner beaucoup plus souvent à sa minana adorée ces prochaines semaines, et, en FaceTime de préférence. « Tu sais, c’est important, parce qu’elle est seule, qu’elle ne va pas pouvoir sortir et que je ne pourrai pas passer la voir pour manger avec elle non plus. Je croise beaucoup trop de monde dans mon travail, alors, ce n’est pas prudent». J’ai appris le soir même de la bouche de mon frère que ma nièce avait appelé sa grand-mère dans la foulée et était restée une heure et demie au téléphone avec elle. Quatre jours plus tard, elle continue a l’appeler régulièrement de son propre chef.

 


L'intention de biaiser


En temps normal, ma mère n’est pas une personne à la vie sociale débordante.  Elle se rend à son cours de gym deux fois par semaine mais, au delà, ne se mélange pas trop. Sa fille (c’est de moi dont il s’agit), occupe son espace vitale de temps en temps et ça lui suffit. Par contre, elle marche énormément. Il n’est pas rare de la voir revenir de l’autre bout de la ville à pied. D’ailleurs, au moment où je l’avais quittée ce lundi, elle avait prévu d’aller faire un tour dans son quartier, aération nécessaire que je lui avais concédée en lui imposant de se tenir loin des gens. Pas difficile, les alentours sont très calmes.

Tout ça, c’était donc, avant le confinement, mais il faut que je vous raconte l’après. Parce que, en fait, c’est là que ça devient ingérable.  Là que vous prenez conscience de toute la patience dont ont dû faire preuve vos parents durant votre adolescence. Vous avez retenu que ma mère était partie se promener la veille du premier jour de confinement ? Eh bien, figurez-vous que, le lendemain, dans l’après-midi – donc, après 12h, parce que, hors confinement, c’est pas drôle – elle avait besoin d’aller jusqu’aux bornes de tri sélectif installées à 100m de chez elle.  

 

Il est évident, qu’en l’espace d’une soirée, ce qui ne justifiait pas de déplacement la veille devenait « nécessaire ». Je précise que ma mère a une terrasse qui lui permettrait d’accueillir six mois de tri sélectif vu la quantité de produits conditionnés qu’elle consomme quotidiennement. Donc, quand elle parle du tri, vous sentez clairement l’intention de biaiser. Une adolescente, je vous dis ! Et là, vous savez que vous n’allez pas pouvoir hausser le ton, parce que, la réalité « bis » du coronavirus, c’est qu’il va falloir être patient pour tout ! Même dans vos relations à distance avec votre mère.

Donc, nécessité (concédée) faisant loi – avec toutes les recommandations d’usage, vous imaginez bien – je finis pas lui dire, « ok, jusqu’au tri (dans un quartier non passant), mais n’oublie pas ton papier de sortie ».  Là, je retiens ma respiration quelques secondes en l’entendant rétorquer, « quel papier ? Ah oui, le papier… Mais là je vais jusqu’au tri, c’est pas loin ! ». Il y a des fois où le téléphone aide bien. J’ai pu épargner à ma mère l’expression de crispation naissante sur mon visage pour lui répondre de ma voix que j’espérais la plus calme, « maman, à chaque fois que tu sors, il te faut ce papier ». Je n’ose vous décrire ma tête lorsqu’elle m’a renvoyé agacée, « mais enfin, là, je vais pas loin, et puis si j’ai un contrôle, je leur montre le sac avec le tri , ils sauront que je mens pas». C’est du bons sens à toute épreuve, je le lui accorde, mais la réalité en manque parfois. Et il y a la règle.
 

Principes dissuasifs


Ces fameuses règles que nos parents ont essayé de nous faire passer lorsque nous étions enfants. Je me rendais compte que, dépassé un âge certain,  l’idée devait germer de les contourner, comme un retour de boomrang assumé. Et, je vous assure que ma mère, par son éducation, n’est pas une rebelle. Ou du moins elle l’ignorait jusque-là.  Elle a choisi son moment pour le devenir…

Dans la foulée de mes arguments sécuritaires, les principes dissuasifs des jours suivants - « maman, l’amende de sortie sans papier est passée de 38 à 135 euros » - ne semblaient pas plus avoir de prise sur elle ! « C’est une voix privée, il n’y a pas de contrôle ici ».  Je me suis clairement dit que, si la situation perdurait, il allait falloir faire dans la dentelle pour communiquer. D’autant que, pas plus tard qu’hier, elle a recommencé en m’affirmant pouvoir faire ses courses toute seule, avant un repli salutaire : « mais pour l’instant, j’ai besoin de rien ». Je sais qu’elle a abdiqué même si elle me tient tête pour la forme.
 

Ma mère ne supporte pas que je lui dise ce qu’il faut faire mais je le fais parce que c’est ma mère. Je sais qu’elle comprend. En fait, sa réaction sa rébellion s’explique : indirectement, par mes injonctions, je la destitue de ce rôle de protection qui lui est dévolue en tant que maman.

Et, comme beaucoup de mamans, elle se fiche bien de ce qui peut advenir d’elle pourvu que ses enfants aillent bien. Tant que cette idée la tient, elle reste vivante et l’idée du coronavirus (ou, indirectement, d’un confinement obligé) ne peut rien contre elle. Là, c’est moi qui doit comprendre.

Et vous, ça se passe comment avec votre maman?

#StateInCasa

 
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