Statut de repenti : Pour Bruno Sturlèse, "le dispositif doit être revu"

Président de la Commission nationale de protection et de réinsertion des repentis pendant six ans, Bruno Sturlèse a quitté ses fonctions il y a un mois. Dans un rapport, le magistrat a alerté les ministres de la Justice et de l'Intérieur sur un dispositif qui reste, selon lui, "sous-utilisé".

Après deux mandats passés à la tête de la Commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR) des témoins, Bruno Sturlèse a quitté officiellement ses fonctions le 6 février dernier.

Au moment de son départ, il a remis un rapport aux ministres de la Justice et de l’Intérieur sur le dispositif du statut de repenti.

Pour le désormais ex-président de la commission, également avocat général près la Cour de cassation, le dispositif destiné à accueillir des ex-voyous "doit être moins restrictif et plus attractif".

Face à la caméra de France 3 Corse, le magistrat dresse le bilan de ce dispositif instauré par la loi Perben II de 2004 mais mis en application dix ans plus tard, en mars 2014.

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Bruno Sturlèse a présidé la Commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR) des repentis. ©M.-F. Stefani - V. Boulay - R. Cesari

France 3 Corse : Le 6 février 2023, vous avez quitté vos fonctions de président de la Commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR) des témoins. Vous avez remis une note aux ministres de la Justice et de l’Intérieur sur le dispositif du statut de repenti. Que leur avez-vous dit ?

Bruno Sturlèse : J’ai voulu dresser à l’attention des ministres un bilan de l’emploi du dispositif du statut de repenti. J’ai souligné que c’était un outil extraordinairement efficace quand on l’utilise pour lutter contre ce que j’appelle le haut du spectre de la criminalité organisée. Quand on utilise ce statut du repenti on voit qu’on a des résultats spectaculaires.

En revanche, il m’est apparu important d’alerter les ministres sur un point. Sur les six dernières années, j’ai constaté une chose : alors que le péril lié à la montée de la criminalité violente augmentait, le recours à cet outil restait extrêmement limité. J’ai donc voulu les alerter sur ce problème en essayant de comprendre pourquoi il en était ainsi et ce qu’il faudrait envisager de faire.

Comment les collaborateurs de justice sont-ils admis ?

Par définition, il y a un critère de recrutement pour admettre une candidature de repenti : il faut que sa parole soit déterminante et essentielle pour faire avancer les enquêtes et obtenir les condamnations des personnes qui sont impliquées dans ces règlements de comptes. C’est le travail de la commission d’apprécier la crédibilité de ce que la candidature du repenti propose de révéler. On doit donc apprécier sur la base des évaluations du SIAT (Service interministériel d'assistance technique) si le candidat est crédible et va apporter une vraie plus-value dans les enquêtes.

Dans quels types d’affaires la commission a-t-elle principalement "accueilli" des repentis ?  

Principalement, on constate que ce sont dans les affaires de règlements de comptes liés aux vastes trafics de stupéfiants que nous avons eu à intervenir et à accueillir des candidatures qui ont fait progresser, dans ces dossiers, les enquêtes de façon déterminante. Elles ont même conduit à des condamnations de protagonistes dans des assassinats et règlements de comptes, notamment en Corse mais pas seulement.

Cette commission devait être la locomotive du combat contre le crime organisé. Selon vous, l’objectif est-il atteint ?

Je n’aime pas trop le terme de locomotive. Ça fait un peu "vieillot" et ça ne parle pas trop aux voyous. Je préfère parler de Ferrari. Si on veut dire que le dispositif de repenti devrait être la Ferrari de la lutte contre la criminalité organisée, je suis tout à fait d’accord avec vous. Mais on parle ici de la commission que je présidais qui, elle, n’est qu’un organe collégial qui statue sur les candidatures. Elle n’a donc pas la maîtrise des candidatures. S’il n’y a pas de candidature, elle ne statue pas. S’il y en a peu, elle statue peu. Et c’est le cas.

Concernant l’utilisation insuffisante du dispositif, je pense qu’il faut effectivement regarder sur le terrain ce qu’il se passe. Il faut susciter ces candidatures. Qui peut le faire ? Les acteurs de terrains que sont les enquêteurs, les juges et les magistrats. C’est donc de ce côté qu’il faut se tourner pour que les enquêteurs et les juges soient plus proactifs pour susciter ces candidatures.

Y a-t-il une frilosité des magistrats et des enquêteurs sur ce point-là ?  

Côté magistrats, j’ai relevé qu’un certain nombre de mes collègues sont méfiants par rapport à ce dispositif parce qu’il le trouve peut-être trop "policier". Côté enquêteurs, peut-être qu’un certain nombre d’entre eux restent plus à l’aise avec le statut d’informateur que de collaborateur de justice...

Par le passé, vous aviez déjà pointé des insuffisances sur le statut. Notamment le fait que des repentis ne peuvent pas intégrer le programme s’ils ont été condamnés pour un crime de sang...

Effectivement. Vous soulignez le caractère restrictif de la loi qui a instauré le dispositif en 2004 et qui a fait l’impasse délibérée sur le fait que l’on ne peut pas devenir repenti si l’on a du sang sur les mains. Cela est très gênant car, pour lutter contre la criminalité organisée qui commet beaucoup d’infractions liées aux assassinats, cela veut dire que vous ne pouvez pas accueillir des gens qui voudraient vous parler sur ces sujets-là.

J’avais donc dénoncé ce que j’appelle un vice rédhibitoire d’origine de la loi de 2004 et j’avais alerté les ministres dès 2018. J’ai ensuite rappelé ce problème en 2020. À la suite de ces alertes, je sais que les services ont travaillé sur les évolutions nécessaires pour remédier à ce vice important et très gênant. Visiblement, les travaux des services sont restés dans les tiroirs du ministère…

Est-ce la seule explication au caractère limité du statut de repenti ?

Non. Il y a d’autres raisons. C’est ce que j’ai également souligné dans mon rapport aux ministres. J’ai essayé d’analyser l’ensemble des raisons qui font que le dispositif reste sous-employé ou sous-utilisé. Je crois qu’il ne faut pas s’interdire toute analyse. Vous parlez de frilosité, j’appelle cela des freins culturels. Effectivement, il faut travailler sur ces freins culturels mais il y a aussi le dispositif lui-même qui doit être revu. Il date de 2004. À cette époque, la criminalité n’avait pas le même visage qu’aujourd’hui. Il faut adapter le dispositif à l’évolution de la criminalité. Je crois qu’il faudrait que notre dispositif soit moins restrictif dans l’accueil des repentis et plus attractif pour susciter plus de candidatures.

Comment rendre ce dispositif moins restrictif ?

Il faut admettre plus largement l’éligibilité au statut. Y compris lorsque vous avez du sang sur les mains. Il faut être pragmatique : si vous permettez d’éviter d’autres assassinats ou du racket en donnant des informations capitales sur le fonctionnement d’une organisation criminelle et des personnes impliquées dans ces crimes, il n’y a pas de raisons de ne pas prendre en compte la parole d'un individu condamné pour un crime de sang.

Il faut aussi réfléchir sur la promesse d’indulgence pénale que l'on fait aux repentis. Ce qui motive les personnes qui intègrent le dispositif, c’est d’obtenir une protection pour échapper à un risque de mort mais aussi une promesse d’indulgence : c’est-à-dire que l'on collabore à la vérité judiciaire et, en échange, on a une forte réduction de peine. Et là-dessus, je pense que la loi mériterait d’être améliorée parce qu‘elle ne me paraît pas suffisamment attractive dans certains cas.

"Il faut être plus convaincant sur le volet indulgence pénale qu’il faut accorder de façon plus sûre aux candidatures des repentis."

Bruno Sturlèse

Le statut a pu donner lieu à certains couacs. Un article du journal Le Monde a notamment mentionné que certains collaborateurs de justice ont été sanctionnés plus lourdement que le principal accusé dans un important dossier de trafics de stupéfiants…

Les couacs, cela reste marginal, même si ça peut faire beaucoup de mal à l’image du dispositif auprès du candidat. Je pense qu’il faut afficher plus clairement dans la loi le fait que l’indulgence pénale que l’on promet sera effective. Actuellement, c’est une promesse faite dans le temps. Le jugement du repenti intervient souvent des années après. Ceux qui ont fait cette promesse ne sont pas ceux qui vont décider du sort judiciaire du repenti. À mon avis, il faut regarder un peu ce qui se fait à l’étranger et être plus convaincant sur le volet indulgence pénale qu’il faut accorder de façon plus sûre aux candidatures de repenti.

Parmi les anomalies qui se sont produites, une personne a notamment été exclue du programme. Cela a-t-il porté préjudice au statut ?

La vie de repenti est quelque chose de difficile à vivre. Il y a  donc forcément des difficultés qui surgissent au quotidien. La commission suit donc chaque programme et peut-être amenée, lorsqu'il y a non-respect des engagements pris au départ, à prendre des sanctions. Cela peut aller jusqu’à la sortie du programme. C’est-à-dire que l’on ne protège plus et on ne s’occupe plus de la personne. C’est arrivé à quelques reprises. Mais pour exclure quelqu’un d’un programme, c’est qu’il y a eu des manquements très graves, notamment soit parce que le collaborateur de justice ne respecte pas le protocole destiné à assurer sa sécurité, soit parce qu’elle met en danger les gens qui le protègent.

Vous avez donc adressé un rapport aux ministres de la Justice et de l’Intérieur. Pensez-vous que l’obstacle principal à la promotion de ce statut soit l’inertie politique ?

Pendant mon mandat, j’ai pu observer ce péril lié à la montée en puissance d’une violence extrême et toujours sans limites qui repose sur la terreur et l’omertà et qui peut même s’apparenter à une emprise mafieuse dans certaines parties de nos territoires. Justement, parce que j’estime que le statut de repenti est un outil privilégié et extraordinairement efficace pour lutter contre ce type de criminalité, il faut absolument promouvoir ce dispositif. Mais il faut le rendre moins restrictif et plus attractif. Et tout ça ne peut pas se faire sans une volonté politique.

À titre personnel, j’ai trouvé les ministres de la justice et de l’Intérieur étonnamment silencieux depuis un certain nombre de mois. Il y a urgence à réagir et à se saisir de ce dossier pour réarmer notre pays afin d’être plus efficace dans la lutte contre cette criminalité organisée et ces dérives mafieuses très préoccupantes. Au-delà des ministres, le parlement serait légitime à se saisir de ce dossier puisque c’est lui qui a adopté ce dispositif il y a 20 ans. Il pourrait très bien vouloir en faire une évaluation politique approfondie et objective pour voir si, comme je le pense, il faut le faire évoluer.

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