Incapacité de se projeter dans l’avenir, inquiétudes professionnelles, besoin de décompresser et profonde solitude : avec la pandémie de Covid-19 et les mesures restrictives qui en ont découlé, les troubles de stress et les syndromes dépressifs ont fortement crû au sein de la population.
"Mon travail, ma vie sociale, mon estime de moi, je pense que j’ai tout perdu avec ce virus."
Pour Antoine, 31 ans, l’arrivée de la pandémie de Covid-19 en France a fait l’effet d’un "tsunami". Au soir du 17 mars 2020, lorsque le président Emmanuel Macron annonce le premier confinement, Antoine travaille depuis deux mois en tant que cuisinier dans un restaurant de la région bastiaise. Un emploi au noir, faute d’avoir pu trouver mieux depuis son retour sur l’île de beauté, après plusieurs années passées en région Provence-Alpes-Côte-D’Azur, une séparation, et "l’envie de tout plaquer".
"Ça n’a pas traîné : la semaine qui a suivi, mon patron m’a téléphoné pour me dire que c’était fini, il n’avait plus besoin de moi."
"J'ai très vite eu le sentiment d'être complètement isolé"
Sans ressources et sans possibilités de faire appel aux droits chômage, Antoine se retrouve aussi sans amis proches ou mêmes connaissances à qui se confier. "En venant vivre en Corse, j’ai laissé la famille qui me reste à Marseille, et je n’ai pas eu le temps avant le confinement de faire de vraies rencontres. La maison où j’habite est un peu reculée, donc je n’ai pas de voisins proches avec qui sympathiser… J’ai très vite eu le sentiment d’être complètement isolé."
Du mois de mars au 11 mai, date de levée du premier confinement, Antoine s’enfonce dans une dépression. "Sans personne à qui parler et sans emploi pour me changer les idées, c’était vraiment dur. Mon seul refrain, matin, midi et soir, c’était les chiffres Covid, avec le nombre de morts et de personnes en réanimation."
Les mois d’été offrent une petite pause au trentenaire, qui profite de la levée partielle des mesures restrictives pour rendre visite à sa sœur et ses neveux sur le continent. "J’ai même téléchargé des applications de rencontre, et commencé à postuler à nouveau, pour des emplois déclarés cette fois. Dans les deux cas, ça n'a rien donné, mais je me sentais un peu plus optimiste."
Je me disais : à quoi bon ? Avec le virus, j’avais le sentiment d’avoir tout perdu, de n’avoir aucune perspective d’avenir, et que ça n’irait jamais mieux
Une accalmie de courte durée : fin octobre, le second confinement est annoncé, et Antoine, déjà très fragile mentalement, "s’effondre". Autrefois énergique et adepte de course à pied, le jeune homme passe jusqu’à six jours de suite allongé sur son lit sans se nourrir ni se laver. "Je me disais : à quoi bon ? Avec le virus, j’avais le sentiment d’avoir tout perdu, de n’avoir aucune perspective d’avenir, et que ça n’irait jamais mieux."
Début janvier 2021, Antoine se décide finalement à faire appel aux services d'un psychologue. "Je suis suivi à raison d’une séance par semaine. C’est dur, parce que je me sens très faible, j’ai perdu une vingtaine de kilos, et je n’ai souvent ni l’envie ni la force de me lever. Même si je sors de chez moi, il n’y a rien ni personne qui m’attend, et tout est fermé. C’est difficile dans ces conditions de se dire qu’on va faire des efforts pour aller mieux."
Même si je sors de chez moi, il n’y a rien ni personne qui m’attend, et tout est fermé. C’est difficile dans ces conditions de se dire qu’on va faire des efforts pour aller mieux.
Explosion des troubles dépressifs
Le cas d’Antoine n’est pas isolé. Depuis plusieurs mois, des professionnels de santé avertissent des dangers de la crise sanitaire et des mesures restrictives qui en ont découlé sur la santé mentale des Français.
En novembre dernier, Santé Publique France indiquait ainsi qu’entre fin septembre et début novembre, le nombre de personnes dans un état dépressif a doublé de 10 à 21 %. Au même moment, une étude la fondation Jean Jaurès, en partenariat avec l’IFOP, alertait que 20% des personnes interrogées avaient déjà sérieusement envisagé de se suicider. Parmi ces dernières, 27% avaient déjà fait une tentative ayant entraîné une hospitalisation.
"La crise sanitaire du Covid-19 a révélé la vulnérabilité psychique de nombreux Français", déclarait, le 17 novembre dernier le directeur général de la santé, Jérôme Salomon.
Une analyse que partage un psychologue installé en Corse-du-Sud, qui préfère rester anonyme. "J’ai de nouveaux patients, souvent très jeunes, qui viennent me voir depuis quelques mois parce qu’ils ont développés des nouveaux troubles anxieux, parfois même suicidaires, très rapidement. J’ai des jeunes de 20 ans à peine qui me disent ne plus trouver de sens à leur vie, d’avoir le sentiment de gâcher leurs meilleures années. Un autre a développé une forme de phobie sociale par crainte de contracter le virus."
J’ai des jeunes de 20 ans à peine qui me disent ne plus trouver de sens à leur vie, d’avoir le sentiment de gâcher leurs meilleures années.
Dans le même temps, plusieurs de ses patients réguliers"d’avant-crise" ont également montré des signes inquiétants de "régression".
"Des personnes que je suis depuis des années retombent dans des schémas dont nous étions parvenus à nous défaire parce qu’ils sont seuls et qu’avec tous les bars, restaurants et autres fermés, ils n’ont pas d’exutoires autre que la famille, s’ils ne vivent pas seul, et le boulot. Dans ces conditions, leur temps de détente devient inexistant, ils ne peuvent plus souffler. Une patiente avec deux jeunes enfants qui travaille depuis chez elle en télétravail m’a dit ne jamais avoir aussi peu bougé, et pourtant se sentir épuisée, parce qu’elle ne tient plus mentalement."
Un mal-être qui pourrait s'amplifier
Martine Casanova-Respaud, psychopraticienne à Porticcio, indique de son côté avoir reçu six nouveaux patients venus consulter en raison de la crise sanitaire.
"Pour quatre d’entre eux, nous sommes dans un travail face au deuil lié à la pandémie, qui génère de la peur et de l’angoisse. Pour les deux autres – deux étudiantes – ce sont des troubles d’anxiété avec la crise, et du mal-être lié à leur inactivité en raison du confinement puis des couvre-feux." "Ce sont des personnes qui se sentent prises au piège avec ma maladie, qui ressentent de la lassitude, et ont beaucoup de difficulté à se projeter dans l'avenir dans cette situation."
Plus inquiétant encore, "le nombre de personnes en souffrance psychologiques aujourd’hui pourrait encore rapidement grandir dans les prochains mois et les prochaines années", s’inquiète le psychologue en Corse-du-Sud. "C’est tout du moins la direction vers laquelle on semble malheureusement s’orienter."
Qui contacter en cas de besoin d'un accompagnement psychologique ?
L'association SOS Amitié propose des écoutes "anonymes, bienveillantes, gratuites et confidentielles", assurées par des bénévoles pour ceux qui en ressentiraient le besoin. La ligne est disponible 24h sur 24, et 7 jours sur 7 au 09 72 39 40 50. Pour plus d'informations, consulter le site internet : https://www.sos-amitie.com/.