Certains historiens d’art ont un talent très rare et précieux. Ils peuvent d'un seul regard, reconnaitre les œuvres d'art et les artistes. Ils sont des « Oeils » et sont une dizaine dans le monde. Parmi eux, Philippe Costamagna, le conservateur du Musée Fesch d'Ajaccio.
Ce samedi soir, pour la nuit des musées, de nombreuses structures insulaires ouvrent gratuitement leurs portes toute la soirée. C’est le cas notamment de la maison Bonaparte qui a voulu mettre en valeur le mobilier Charles Bonaparte, père de Napoléon.
Le musée Fesch accueille également le public jusqu’à 23 heures. C’est d’ailleurs au sein de cet établissement qu’évolue Philippe Costamagna. En plus d’être le conservateur du musée et historien d’art, il est aussi œil. En clair, il peut attribuer un tableau anonyme. Ils ne sont que quelques dizaines de personnes dans le monde à avoir une telle expertise.
Caisson thermique
Il y a une vingtaine d'années, c'est dans la sacristie de l’église de Vico, que Philippe Costamagna fait une découverte majeure et inattendue. « Il y avait un grand tableau. Et vu l’épaisseur du tableau de bois, ça ne pouvait être qu’un tableau ancien, un tableau XVe ou XVIe siècle. J’ai un peu nettoyé, là où il me semblait qu’il y avait un paysage. Et j’ai vu un paysage de Vasari », indique le conservateur du musée Fesch.
On connaissait l'existence de ce Saint-Jérôme par l'autobiographie même de Vasari. Mais sa trace avait été perdue depuis des siècles. L’œuvre est si précieuse qu'elle bénéficie aujourd'hui d'un caisson thermique de protection. « On est assez ému et on a peur de se tromper. Mais là, c’était évident que chaque détail est typique de Vasari », précise Philipe Costamagna.
Grâce à son expertise, il a également pu identifier un autre tableau représentant une scène de circoncision présenté dans l’église de Vico. « Il est assez facile à reconnaître. C’est un artiste qui s’appelle Francesco Longhi. Il est le fils d’un peintre plus célèbre qui s’appelle Luca Longhi. C’est une dynastie de peintre de Ravenne », explique-t-il.
Pas infaillible
Mais un œil n'est pas infaillible. Face à un autre tableau, Philippe Costamagna songe d'abord à une école espagnole. Il s'agira finalement d'un peintre de Bologne ayant œuvré à la fin du XVIe siècle.
Philippe Costamagna se rend volontiers dans cette église de Vico. Elle regorge de tableaux remarquables, beaucoup proviennent de la collection du Cardinal Fesch. Une dotation rendue possible au XIXe siècle sous l'impulsion d'un évêque d'origine vicolaise : Monseigneur Casanelli d'Istria.
L'historien de l'art réfute aussi parfois des attributions. Il est sollicité pour son expertise dans le monde entier. « Je suis spécialiste du XVIe siècle. Je suis catégorique sur des tableaux du XVIe siècle qui est la période que j’ai étudiée, et surtout le XVIe siècle d’Italie centrale. Après, j’ai une culture visuelle et en étant œil, on a des intuitions. Mais on ne peut pas être catégorique sur certains tableaux qui ne sont pas tout à fait de notre époque », livre Philippe Costamagna.
« On enregistre »
Dans l’église de Coggia, Philippe Costamagna et Annick Le Marrec, documentaliste au Palais Fesch, tentent de résoudre une nouvelle énigme. « On voit une forme en allant dans des musées, en allant dans des églises, en allant dans des collections, même dans des salles de vente. Et on enregistre, inconsciemment, mais on le sait dès qu’on voit une œuvre, on le range quelque part dans sa mémoire cette image. Et donc quand on est devant un tableau, on a tout ce répertoire qui ressort et on peut attribuer. Voilà ce qu’est un œil », souligne le conservateur du musée Fesch.
Pour l'instant, cette vierge à l'enfant du XVIIe siècle n’a pas encore révélé ses secrets. Mais l'historien de l'art a déjà attribué plusieurs dizaines de tableaux, notamment dans sa période de prédilection. En 2005, il a retrouvé un Christ perdu de Bronzino dans le musée des beaux-arts de Nice.