En 1905 partisans de la laïcité républicaine et catholiques traditionnalistes se déchirent sur fond de loi de séparation de l'église et de l'Etat. A contre-courant du débat national une poignée d'anarchistes expérimente le "Ni dieu ni maître" à Cognocoli Monticchi. La tentative tourne court

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"Beaucoup font couler l'encre à propos des médias pour les critiquer, peu font couler l'essence dans leurs locaux pour les incendier". Ces lignes issues de la revendication de l'incendie ayant endommagé les locaux de France bleu Isère dans la nuit du 27 au 28 janvier dernier par un groupuscule anarchiste ravivent la curiosité du public pour les héritiers de Proudhon et de Bakounine. En Corse, la courte épopée de l'Anarchie a élu domicile dans une paisible localité de la vallée du Taravu, à Cognocoli-Monticchi. 

"Bientôt nous créerons une cellule nouvelle de l'humanité future. Par ces temps de veulerie et de crétinisme c'est encore une belle oeuvre à tenter pour éclairer ceux qui ne savent pas". Ces mots relatés par Le dictionnaire des anarchistes de Jean Maitron sont extraits d'une lettre écrite par d'Isidore Escalaïs en février 1906. Mais ne bâtit pas la Cité du soleil qui veut...

Des sympathies pour la Commune de Paris

Isidore Escalaïs marié et père d'une petite fille est maître tourneur à Alger, Marcel Ducher y exerce lui la profession de contremaître. Par le biais de Maurice Fourrié, les deux anarchistes entrent en relation avec Louis Costa, notaire à Cognocoli-Monticchi, secrétaire de la Fédération socialiste corse. Ce dernier va favoriser l'éclosion d'une communauté libertaire, notamment en convaincant son frère François Costa, également à Alger, de mettre un terrain à disposition. Escalaïs et sa famille, Ducher mais également un certain Borgiali et son épouse vont s'installer au lieu dit Ciorfoli, à deux kilomètres de Cognocoli. 
 
"Le père de Louis Costa a participé à la Commune de Paris. Il n'a pas été fusillé mais après les événements il est assigné à résidence à Cognocoli" précise Béatrice Berland, l'arrière petite fille de Louis Costa, s'expliquant ainsi le penchant de son aieul pour l'Anarchie. Au début du siècle passé, le mouvement libertaire n'est pas encore entré en opposition frontale avec le Marxisme. "De toute façon Louis était un homme complexe, fondateur du Parti socialiste il était également francmaçon" souligne-t-elle, évoquant également les sympathies du notaire envers les idées autonomistes de l'entre deux guerres.

Outre les informations transmises par la famille Costa, l'histoire de Ciorfoli est surtout consignée dans le premier tome de Le Mouvement anarchiste en France de Jean Maîtron, paru chez Gallimard. Le grand public s'est familiarisé avec les faits grace à l'encyclopédie en ligne Wikipédia dans lequel François Berland, descendant des Costa, est un contributeur actif. Ces sources nous apprennent que les protagonistes fondent une communauté agricole centrée sur l'élevage, sont aidés par les subsides de Louis Griveau, le parrain de Marcel Ducher. Le mécène qui vit à Paris ignore tout des intentions politiques de son filleul. L'argent est prêté pour ce qui lui est présenté comme une entreprise rentable.

Une trahison conjugale

Le coeur de l'histoire se déroule entre avril et novembre 1906. Les membres de la colonie achètent huit vaches, trente-huit cochons, vingt brebis, cinquante taurillons et de la volaille en quantité : poules, canards, oies... A tel point que le parrain va finir par s'interroger sur l'opportunité d'engager de tels frais. Mais l'investisseur n'aura pas le temps d'être ruiné. Le 12 novembre 1906 Marcel Ducher s'enfuit à Bastia avec l'épouse d'Escalaïs. Le 16 novembre Borgiali s'évanouit dans la nature emportant la caisse avec lui. Les tentatives de reprise d'exploitation vont s'avérer vaines, le bétail est vendu l'année suivante afin de limiter les pertes financières pour Louis Griveau.  


Si l'événement s'inscrit dans l'histoire tumultueuse de l'Anarchie, avec une difficulté plusieurs fois éprouvée à mettre en pratique les idéaux libertaires, à l'échelle de la Corse l'expérience relève de l'anecdote. Si les Costa connaissent et divulguent volontiers l'histoire de la famille, les descendants d'Isidore Escalaïs avouent avoir pris connaissance de Ciorfoli de manière fortuite. "Je n'ai su cette histoire que très tard. Notre grand-père ne s'en vantait pas" avoue Yvette Hognat qui précise qu'à la fin de sa vie Isidore Escalaïs est devenu communiste. Même connaissance parcellaire de la part d'Eric Panis, l'arrière petit-fils. "Au cimetière d'Ajaccio, au lieu d'être surmontée par une croix la tombe de mon arrière grand-père s'orne d'une colonne brisée, le signe des anarchistes". C'est à peu près tout. Le reste a été glané sur Internet.
 

L'histoire contemporaine nous enseigne que la politique et la violence ont souvent fait bon ménage dans l'île. En revanche les mouvements anarchistes qui ailleurs en Europe sont allés jusqu'à proner l'assassinat de rois, de présidents de la République ou de ministres sont restés absents. Né de la société industrielle et du sentiment d'exploitation des ouvriers au XIXème siècle, le "Ni dieu ni maître" des anarchistes n'a eu qu'un faible écho en Corse où l'industrie ne s'est jamais développée.
 

A Cognocoli, dans le cercle amical des Costa beaucoup ont entendu parler d'une plaque gravée apposée au-dessus de l'entrée de la colonie. D'autres ont eu un vague écho de l'anecdote par une grand-mère ou un cousin, le tout étant présenté comme un évènement lointain et quelque peu incongru dans une société rurale peu encline à l'expérminentation. "C'était assez inédit, et même délirant pour l'époque, dans un petit village en Corse, résume Béatrice Berland. Un projet utopiste, mais ça a quand même eu lieu, ne fusse que quelque temps".

 
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