L'architecture frugale vise à diminuer l'impact du secteur du bâtiment sur l'environnement. Le concept a été théorisé, notamment, par l'architecte Dominique Gauzin-Müller. Cette dernière a tenu deux conférences en Corse fin avril et a accordé un entretien à France 3 Corse ViaStella.
Le concept d'architecture frugale a été lancé en 2018 par la publication du "Manifeste pour une frugalité heureuse et créative dans l'architecture et l'aménagement des territoires urbains et ruraux". Le document a été signé par près de 14.000 personnes de 85 pays.
L'architecture frugale repose sur quatre principes fondamentaux. Elle appelle ainsi à une utilisation raisonnée du sol, le respect du site et la valorisation du territoire et encourage notamment la métamorphose du "déjà-là" pour donner une nouvelle vie à des immeubles existants.
Dans le domaine de l'énergie, elle prône des solutions sobres et efficaces pour assurer le confort thermique en été comme en hiver. Les choix frugaux concernant les matériaux et leur mise en œuvre doivent être guidés par l’usage de ressources locales et la valorisation de savoir-faire artisanaux, afin de minimiser l’empreinte environnementale du bâtiment et de participer à l’essor économique du territoire qui l’entoure. La frugalité prône également la croissance et l’épanouissement des relations humaines, dans toute leur richesse. La conception de bâtiments frugaux fait souvent l’objet d’une démarche participative intégrant les futurs usagers, voire les riverains.
L'architecte-chercheur Dominique Gauzin-Müller, une des trois rédacteurs du manifeste, a tenu deux conférences, en Corse, fin avril. Elle a accordé un entretien à France 3 Corse ViaStella.
Qu'elle est la genèse du "Manifeste pour une frugalité heureuse et créative dans l'architecture et l'aménagement des territoires urbains et ruraux" ?
Dominique Gauzin-Müller : ce manifeste a été écrit par trois personnes : Alain Bornarel, Philippe Madec et moi-même. Nous travaillons ensemble depuis de nombreuses années. Un jour de décembre 2017 Alain Bornarel nous a contactés en nous disant qu'il en avait marre de son impuissance face à l’urgence climatique, qu'il fallait faire quelque chose. Nous avons réfléchi à plusieurs dénominations comme architecture durable, ou bioclimatique ou encore écoresponsable. Puis nous nous sommes accordés sur le terme de frugal, que nous trouvions plus fort.
Mais nous n'avions pas anticipé l'élan qu'allait créer le manifeste. C'est devenu un vrai mouvement et nous avons assisté à la formation de groupes locaux. Le premier a vu le jour à Nancy. La région Grand Est en compte d'ailleurs deux, tout comme la Bretagne. Le concept s'est même développé à l'international puisque nous avons des groupes à Taïwan, au Vietnam, au Maroc, en Allemagne ou encore en Autriche. On espère qu'un groupe sera créé en Corse.
Comment expliquez-vous un tel engouement ?
Dominique Gauzin-Müller : je pense que la démarche répond à une conscience écologique. Il faut savoir que le quart des signataires du manifeste est issu de la société civile. À son lancement, nous avons organisé deux rencontres dans des villes qui nous considérions comme symboliques puisque qu'il s'agissait de villes en transition, notamment Loos-en Gohelle dans le Nord. Nous avons réuni environ 200 personnes lors de ces événements et l'auditoire était composé en majorité de jeunes et de femmes.
Il y a véritablement quelque chose qui se diffuse. La ville de Bordeaux a créé un label bâtiment frugal et il y aussi des enseignants qui font travailler leurs étudiants sur les principes frugaux.
Vous avez visité des bâtiments frugaux en Corse, quels constats dressez-vous de ces structures ?
Dominique Gauzin-Müller : j'ai visité A Stazzona à Pioggiola. On peut considérer le bâtiment comme frugal. Il fonctionne avec de l'énergie renouvelable, le bâtiment est construit avec un matériau local : le pin laricio, néanmoins le bâtiment n'est pas frugal dans l'utilisation du sol puisqu'il est neuf. Mais il y a un réel changement de processus puisque c'est un projet de territoire qui apporte de la vie et de l'activité culturelle. J'ai également visité l'auditorium de Pigna répond aux quatre principes fondamentaux de l'architecture frugale.
La Corse est-elle propice à l'architecture frugale ?
Dominique Gauzin-Müller : oui, il y a un réel potentiel. Lorsque j'ai fait un tour de Corse, je me suis aperçu que beaucoup de villages étaient très bien placés, sur une crête ou en haut d'une colline. Mais à l'intérieur de ces villages, beaucoup de bâtiments sont abandonnés. Ils pourraient être réhabilités pour éviter la construction de logements neufs, qui sont souvent de médiocre qualité, tant dans l’architecture que dans les matériaux utilisés.
Le village de Pigna est un excellent exemple. Dans ce village, ils ont fait en sorte que les ruelles ne soient plus bétonnées pour retrouver la pierre. Avec certaines chaussures, ce n'est pas très agréable. Mais en cas d'orages cela permet à l'eau d'aller directement dans la terre, de rejoindre les nappes phréatiques et donc d'éviter les inondations. Il y a aussi des placettes aménagées, avec des fleurs et d’autres plantes. Il y a vraiment un gros potentiel en Corse.
Pensez-vous qu'en Corse les politiques publiques sont assez engageantes pour donner envie de se lancer dans l'architecture frugale ?
Dominique Gauzin-Müller : je ne connais pas assez la Corse pour y répondre directement. Mais je peux comparer avec d'autres régions. En Lorraine et notamment dans les Vosges, il y a des élus qui sont très engagés dans la démarche et qui utilisent au mieux leur ressource, et précisément le bois.
Des synergies ont été créées autour d'un pôle innovation bois. Ainsi, le bois utilisé est 100 % issu des forêts d'Epinal, le client est la ville d'Epinal et les professionnels qui travaillent sur les projets sont tous Vosgiens. Cela montre que l'on peut le faire. Quand il y a la volonté, on peut y arriver et lever les contraintes.
Le plus important est de parvenir à créer des synergies entre élus et professionnels qui veulent faire différemment et faire avancer les choses. Je pense aussi qu'il faut revaloriser le travail manuel pour augmenter la qualité de l'artisanat, donner une appétence aux jeunes comme ce qui est fait en Allemagne ou en Autriche où les sections professionnelles sont valorisées. Je crois beaucoup en ce respect des artisans.