Le Corsica Sera fête le 16 décembre prochain ses 40 ans. L'occasion d'interroger ses téléspectateurs sur leurs avis et leurs attentes sur ce rendez-vous devenu incontournable de l'information de proximité.
"Corsica Sera, Bona sera". Presque 40 ans ont passé, jour pour jour, depuis le lancement de la première émission du Corsica Sera, le 16 décembre 1982. Il est alors 19h20, la page d’actualité de 20 minutes est présentée par Jean-Marc Leccia, et en guise d’invité spécial de ce grand soir d’ouverture, Sampiero Sanguinetti, l’alors rédacteur en chef.
C'est l'avènement de longues années de combats, des journalistes notamment, pour une "diffusion spécifique à l'île", et le déploiement du premier journal quotidien présenté en direct depuis la Corse.
Depuis, à l’édition d’information du début de soirée sont venus s’ajouter deux autres grands rendez-vous d’actualité, le Corsica Prima, édition bilingue du midi, et le Nutiziale, en langue corse à 20h. Mais le plus grand carrefour d’audience de ViaStella – prolongation satellitaire de France 3 qui a vu le jour le 19 septembre 2007 – reste encore et toujours le Corsica Sera, avec 52% de part d'audience, contre 18% en moyenne pour les autres journaux régionaux.
Un rendez-vous d'information référence
"C’est une référence au même titre que le Corse-Matin ou la matinale de RCFM", souffle Sébastien, la petite cinquantaine. "Tu es Corse, tu connais France 3 Corse ViaStella, et tu as déjà au moins une fois regardé le Corsica Sera, qu’on aime ce qui y passe ou pas d’ailleurs."
Enseignant dans le secondaire, il indique allumer sa télévision sur la chaîne régionale pour le 19h "quasiment tous les soirs de la semaine". Un rendez-vous qu’il suit généralement d’un œil et d’une oreille, occupé en parallèle à cuisiner le repas familial.
" Le matin, j’écoute généralement France Inter, la journée je regarde un peu les chaînes d’info en continu, donc le soir, c’est mon point information régionale on va dire."
Un rituel qu’il est généralement le seul à appliquer dans son foyer. "Ma femme n’aime pas suivre les informations, elle trouve cela anxiogène. Et mes enfants sont à l’âge où le téléphone et les discussions avec leurs amis prennent le pas sur tout le reste… Difficile de les intéresser à quelque chose si ce n’est pas sur les réseaux sociaux."
Tu es Corse, tu connais France 3 Corse ViaStella, et tu as déjà au moins une fois regardé le Corsica Sera.
Alexandre, 14 ans, collégien à Montesoro, en est l’exemple criant : quand il regarde le JT, c’est parce que ses parents ont allumé la télévision, et s’il lui arrive parfois de tomber sur des reportages d’informations – régionales, nationales ou internationales –, c’est sur Youtube ou Tiktok, et c’est "sans faire exprès".
L’adolescent le reconnaît, "c’est important de savoir ce qui se passe près de chez nous". Mais plutôt que de chercher l’information, il la laisse plus facilement venir directement à lui. "La majorité des choses que j’ai besoin de savoir, je les trouve par hasard via mon téléphone, sur les réseaux sociaux. Je suis abonné à des magazines de foot, mais c'est tout."
La fin du rituel JT
La grande messe du journal télévisé avant ou pendant le repas du soir n'a plus la côte aujourd'hui parmi les plus jeunes générations. Un point que confirme Alain*, la petite trentaine : "Ce n'est plus vraiment dans l'air du temps de s'asseoir devant la télévision à heure fixe".
Employé dans le domaine des médias, il s'astreint pour autant à regarder le Corsica sera presque tous les jours, à "90% du temps en replay sur le site internet."
Un temps d'information nécessaire pour le jeune homme, "particulièrement quand on réside dans une région dans laquelle les différences avec le Continent sont assez marquées. Même si en soit aujourd’hui, le monde dans lequel nous vivons est globalisé, la Corse par son insularité garde ses spécificités culturelles, sociétales avec des attentes de la part de la population en terme de télévision qui ne pourraient pas être en adéquation avec elle, si elle ne dépendait uniquement que d’un flux national."
L'importance d'une actualité de proximité
Alain* se dit attaché à l'importance de maintenir, encore aujourd'hui, une télévision régionale, propre aux intérêts et problématiques inhérentes à la Corse.
"C’est un outil économique et de production non négligeable. Et ça reste le reflet des Corses sur leur propre société. Ça montre également que notre région, malgré sa petite taille, a les compétences et la formation nécessaire pour avoir sa propre télévision."
Appréhender l’information sous un prisme micro plutôt que macro a naturellement du sens, même s’il est indispensable de ne pas se cantonner qu’à cette approche.
Une télévision de proximité qui permet aussi "d'être au cœur des réalités du quotidien", estime cet autre jeune homme, 26 ans, salarié dans une entreprise insulaire. "C'est un format qui a fait ses preuves. Appréhender l’information sous un prisme micro plutôt que macro a naturellement du sens, même s’il est indispensable de ne pas se cantonner qu’à cette approche."
Lui voit aujourd'hui dans le journal télévisé tel qu'il est produit par France 3 Corse ViaStella un "vrai outil de valorisation culturelle et linguistique", mais appelle de ses vœux à ne pas "perdre sa mission originelle, l'information au profit d'une trop grande politisation. Ce n’est pas le rôle d’un média que de façonner une opinion publique, aussi politique soit-elle."
Trop politisé
Des rendez-vous d'information parfois trop politisés, c'est justement l'opinion de Sandra, 72 ans. Habitante du centre-ville de Bastia, elle assure avoir longtemps été fidèle au Corsica Sera et au Corsica Prima, mais s'en être détournée, depuis maintenant une dizaine d'années. "Je ne retrouve plus le côté authentique et de chez nous que j'y aimais avant. C'est devenu trop francisé, on a l'impression parfois que c'est à la botte des politiques du gouvernement."
Marc-Antoine, la quarantaine, pense lui le contraire : "Le JT et les reportages sont trop en faveur des nationalistes, c'est un fait. Ce n'est pas que le cas de ViaStella, c'est pareil pour RCFM et Corse-Matin." Il faut, je pense, réfléchir à la façon dont nos médias régionaux interagissent avec nos élus régionaux. Ce ne sont aujourd'hui fort heureusement pas des outils de communication, mais à ne pas y faire attention, cela pourrait le devenir."
L'appel à de nouveaux formats
Face à une modification de la consommation médiatique, quelles pourraient être les pistes d'évolution du Corsica Sera, et plus globalement de l'information produite par France 3 Corse ViaStella dans son ensemble ?
"On pourrait peut-être bousculer le Corsica Sera et sortir du format JT classique, avec un présentateur ou une présentatrice qui déroule les nouvelles et les sujets, en imaginant un format plus long sous forme de « Talk Show d’actualité » avec les journalistes, chroniqueurs, invités. C’est un format qui marche assez bien sur les chaînes nationales, et si l’on revendique une spécificité ce serait vraiment une différenciation et une cassure encore plus importante avec les autres chaîne du réseau France 3", souffle Alain*, l'employé dans le domaine des médias.
En rajeunissant les journalistes, ou en consultant plus souvent des jeunes pour leur demander ce qu'ils attendent, cela pourrait peut-être mieux permettre de les toucher.
"Il faudrait plus de contenus en résonnance avec les jeunes, qui s'intéressent à des sujets qui les touchent plus personnellement, réfléchit Sébastien, le professeur et père de famille. La politique, la culture, c'est important, évidemment, mais pour l'ensemble, ce ne sont pas des sujets concernants pour eux. En rajeunissant les journalistes, ou en consultant plus souvent des jeunes pour leur demander ce qu'ils attendent, cela pourrait peut-être mieux permettre de les toucher."
Une idée continuée par Emilie et Lisa, 15 ans, et lycéennes. "Moi je ne regarde pas la télévision, jamais. On fait tout sur le téléphone. Mais il y a des médias qu'on voit des fois sur Snapchat ou TikTok, comme Hugodécrypte ou Brut, et du coup on s'y abonne et on les suit."
En clair, résument-elles dans leurs mots, il est grand temps de s'adapter à l'air du temps et de rejoindre les nouveaux réseaux sociaux, avec des contenus pensés pour ces derniers, et donc adaptés dans leur format et leur durée.
"Je ne pense pas que les journaux télévisés ont une date de péremption, rassure Anne-Marie, salariée de la fonction publique. Et encore moins le Corsica Sera, parce que nous sommes tous attachés ici à l'information de proximité. Pour moi, ce n'est même pas une télévision régionale, c'est quelque part ma télévision nationale."
Corsica Sera, un journal télévisé devenu institution, et certainement amené, lui aussi, à continuer de connaître de nouvelles évolutions.