Depuis l'annonce de l'extension du pass sanitaire, ils sont nombreux, en Corse comme partout en France, à chercher des solutions alternatives à la vaccination contre le Covid-19. Des stratagèmes pas toujours fiables et parfois risqués.
Ils étaient près de 114.000, samedi 17 juillet, à manifester en France contre l'extension du pass sanitaire et la vaccination obligatoire pour le personnel de santé. En Corse, ces manifestations ont rassemblé près de 900 personnes à Ajaccio et 500 à Bastia, toutes bien décidées à clamer leur opposition à ce qu'elles qualifient de "dictature sanitaire".
Des manifestants de toutes les professions et de tous les âges, pour lesquels la sortie de crise épidémique ne se fera pas au moyen des vaccins.
Alors que le pass sanitaire est élargi dès le mercredi 21 juillet aux lieux de loisirs et de culture, et à partir du mois d'août dans les bars, restaurants, cafés, maisons de retraite, hôpitaux ou encore transports longue distance, certains Français s'organisent déjà pour contourner les réglementations bientôt en vigueur.
Fausse injection, vraie attestation
"Au lendemain des annonces d'Emmanuel Macron, pendant que les gens se ruaient sur Doctolib pour réserver leur créneau de vaccination, j'ai contacté mon médecin traitant, raconte Pascal*, qui réside en Haute-Corse. Je lui avais déjà parlé de mes doutes, et il n'est lui-même pas militant pour la vaccination. Il m'a réservé un rendez-vous et je suis reparti presque comme je suis arrivé, sans injection mais avec une attestation première dose."
Bien sûr, j'aurais préféré ne pas avoir à faire ça [...], mais à décision gouvernementales liberticides, solutions regrettables.
Le praticien, explique Pascal, a "jeté" la dose qui lui était destinée. "Il m'a dit qu'il en était un peu contraint, pour faire les chiffres ronds et qu'on ne se pose pas de questions." Un gâchis qu'il assume entièrement. "Cette dose-là, dans tous les cas, elle m'était réservée. Que je décide de la prendre ou pas, c'est mon choix. Bien sûr, j'aurais préféré ne pas avoir à faire ça et trouer au passage un peu moins les caisses de l'Assurance maladie, mais à décisions gouvernementales liberticides, solutions regrettables."
Un stratagème que cette infirmière libérale rencontrée dans une manifestation anti-pass sanitaire à Bastia envisage également d'employer.
"On en discute avec plusieurs de mes collègues. Ce n'est pas quelque chose dont je suis fière, mais le président ne nous laisse pas le choix. C'est ça ou perdre notre emploi." Une position partagée par bien des soignants présents dans les rangs des manifestants.
“Je n’ai rien contre ceux qui se font vacciner, je ne veux juste pas qu’on me l’impose”, indique Leila, aide-soignante. La jeune femme n’exclut pas de démissionner si l’obligation vaccinale des soignants n’est pas retirée. “J’aime mon métier, mais j’aime encore plus ma vie.” pic.twitter.com/KOVjOzWBj2
— France 3 Corse (@FTViaStella) July 17, 2021
Contactée, l'Agence régionale de santé confirme avoir eu des remontées de centres de vaccination et de médecins de personnes qui "essaieraient de les soudoyer pour ne pas avoir l'injection". "Ce sont uniquement quelques cas, heureusement, mais c'est une démarche très grave, qui est punissable par la loi", avertit l'Agence, qui regrette ces agissements.
QR code acheté et QR code partagé
Pour Sébastien*, le passage par la case médecin n'est même pas nécessaire. Ce quarantenaire entend faire usage du QR code figurant sur le pass sanitaire de membres de sa famille qui ont déjà été vaccinés. Peu de chance, estime-t-il, que les contrôles à l'entrée des lieux de restaurations ou de loisirs aillent au-delà d'un simple coup d'oeil, et impliquent une vérification d'identité.
Même point de vue pour Stéphane*. Cet étudiant à l'Université de Corte indique avoir "des contacts" en capacité de lui fournir un faux pass sanitaire, moyennant une petite centaine d'euros.
Une facture qui pourrait encore s'alourdir s'il venait à être contrôlé : l'usage d'un QR code frauduleux est répréhensible par la loi.
La peine encourue pour faux et usage de faux s'élève à trois ans de prison et 45.000 euros d'amende. Le détenteur d'un faux certificat peut en outre être poursuivi pour mise en danger de la vie d'autrui s'il est par la suite diagnostiqué positif au Covid.
Plus encore, il est impossible d'obtenir un QR code falsifié sans que ce dernier ne soit créé par un professionnel de santé. Interviewé dans le journal de 20 heures de TF1 le jeudi 15 juillet 2021, David Sygula, expert en cybersécurité, a détaillé qu'on ne peut pas "cracker le QR Code, donc on est soit sur un QR code 100% faux qui ne marchera pas, ou alors sur une personne qui rentre de fausses informations dans une vraie base de données".
Une information confirmée par l'Agence régionale de santé : "le QR code est infalsifiable : il renvoie à un dossier personnel qui comprend notamment la date de naissance." L'identité réelle du détenteur du pass sanitaire est donc à priori systématiquement vérifiée. La fréquence des contrôles doit elle être augmentée, selon la préfecture de région.
Pas de quoi désarçonner Stéphane, l'étudiant cortenais, pour autant. "C'est risqué, mais moins que mettre ma santé en danger. Je ne compte pas partir loin en voyage dans tous les cas, juste profiter avec mes amis dans des bars et restaurants que je connais et qui me connaissent déjà."
Infection volontaire
Troisième option privilégiée par une partie des frileux à la vaccination : contracter le Covid-19. Le pass sanitaire concerne ainsi également les personnes récemment rétablies de la maladie - et donc à risque "limité", selon le ministère de la Santé, de réinfection -, sous condition de présentation d’un résultat d’un test RT-PCR ou antigénique positif datant d’au moins 11 jours et de moins de 6 mois.
Les messages de recherche de personnes positives au virus et disposées à bien vouloir le transmettre fleurissent sur les réseaux sociaux depuis plusieurs jours.
Des appels qui s’apparentent parfois plus à de la plaisanterie : à la manière d’une petite annonce d’agence matrimoniale, "Cherche femme ou homme pour passer la nuit avec moi. Positif ou positive Covid uniquement. Test PCR ou antigénique requis. Non-sérieux s'abstenir". Ou façon escapade touristique : "le premier qui me refile le Covid il part avec moi à la Réunion tous frais payés".
Mais qui sont dans d’autres cas tout à fait sérieux. Solal, la quarantaine, raconte avoir interpellé dans ce but "au moins 50 fois" ses abonnés Instagram et Twitter au cours des derniers jours, sans succès jusqu’ici. Même situation pour Lionel, qui propose lui depuis peu une "rémunération" à qui voudra bien le contaminer.
À l'inverse, quelques uns proposent leurs "services" : "Positive au Covid depuis ce matin, donc les amis qui veulent éviter de se faire vacciner, c’est le moment de m’inviter aux soirées", écrit cette internaute, quand un autre marchande ses germes au plus offrant, "paiement Paypal ou bitcoins acceptés".
Six mois de "tranquillité"
Certains sont déjà parvenus à leurs fins : c’est le cas de Sylvie*, 33 ans. La semaine dernière, cette assistante commerciale a ainsi sollicité ses amis Facebook, dans une publication expliquant sa volonté d’être infectée pour bénéficier de "six mois de tranquillité".
Pas de chance, un de ses proches est bien positif au Covid, mais celui-ci réside en région parisienne. Impossible pour la jeune bastiaise de faire l’aller-retour en si peu de temps. Une autre connaissance lui propose de la mettre en contact avec un couple d’amis de Balagne. Ces derniers sont alors cas contact et dans l’attente des résultats de leurs tests de dépistages. Bingo, ils reviennent positifs.
L’objectif, c’était d’attraper ça naturellement, donc je ne les ai pas forcés à me tousser dessus, mais on s’est fait la bise, on restait ensemble sans masque, on partageait les bouteilles d’eau…
"Ils se sont montrés très compréhensifs et m’ont proposé de passer chez eux, à condition que je ne l’ébruite pas. L’objectif, c’était d’attraper ça naturellement, donc je ne les ai pas forcés à me tousser dessus, mais on s’est fait la bise, on restait ensemble sans masque, on partageait les bouteilles d’eau…" Après deux jours passés en leur compagnie, Sylvie est dépistée positive au coronavirus.
La trentenaire en est aujourd’hui à son quatrième jour d’infection. "J’ai un petit rhume et je me sens un peu fatiguée, mais à part ça, tout va bien. Je suis surtout très soulagée. Je n’ai pas confiance dans les effets secondaires du vaccin."
Pour Sylvie, le dénouement est plutôt heureux : outre de légers symptômes, la trentenaire est en bonne santé, et pourra bientôt télécharger son pass sanitaire. Mais le jeu n’était pas sans risque : même sans facteurs aggravants [publics âgés, maladies chroniques, obésité ou encore tabagisme, ndlr], il est possible de développer une forme aigüe du Covid ou d’être atteint d’une forme "longue" de la maladie.
Selon une étude menée pendant la première vague épidémique en Norvège et parue dans la revue Nature Medicine le 21 juin dernier, la moitié des personnes de 16 à 30 ans placées à l’isolement après un diagnostic positif au Covid souffraient toujours de symptômes persistants 6 mois après leur infection.
Des signes cliniques qui allaient de la perte du goût et/ou de l’odorat (28% des cas) jusqu'à une fatigue (21%) et des troubles respiratoires (13%), en passant par une concentration amoindrie (13%) et même des troubles de la mémoire (11%).
*les prénoms ont été anonymisés