Le Festival Cine Donne se déroule jusqu'au 26 mars à Bastia, Biguglia, L'Île-Rousse et Porto Vecchio. Un événement qui met les femmes à l'honneur dans son programme et dans les thèmes qu'il aborde. L'ancienne garde des Sceaux, Christiane Taubira, est la marraine de cette troisième édition. Nous l'avons rencontrée.
France 3 Corse Via Stella : En quoi est-ce important que des enfants aient accès aux livres, à la musique ?
Christiane Taubira : Les livres, la littérature d'une façon générale, dans tous les styles, la musique, la poésie aussi, c'est le monde, c'est l'univers, c'est une planète sans limites. Donc le fait que les enfants y aient accès le plus tôt possible, c'est cela l'importance des lieux publics : cela met à égalité, d'une certaine façon, les enfants qui disposent de fonds documentaires, de livres, de petites cinémathèques à la maison, avec les enfants qui n'ont pas tout cela et qui ne grandissent pas dans une famille dont le capital, le patrimoine culturel permet l'accès à ces lieux-là.
Ces lieux publics permettent à tous les enfants de se retrouver ensemble et de pénétrer des univers qui laissent de la place pour l'imagination, des univers d'ailleurs, des univers de rêve, des univers complètement imaginés ou imaginaires, tout cela arme les enfants d'une façon inimaginable. Parce que cela ouvre leurs propres capacités d'invention. Et puis, c'est une forme de socialisation.
Il y a une autre dimension à cet évènement : celle de la place des femmes. Est-ce important, selon vous, que les enfants y soient sensibilisés ?
Je trouve que c'est juste une norme, que des petites filles et des petits garçons grandissent en sachant que l'intelligence, les capacités scientifiques, l'imagination, les aptitudes mentales, les aptitudes intellectuelles sont équivalentes. Elles ne sont pas liées au genre, elles ne sont pas liées au sexe.
Le problème c'est que dans la société tout entière, à tous les coins de rue, il y a des signaux, des choses qui font qu’on va rappeler aux petits garçons qu'ils sont supérieurs. Donc c'est bien que les médiathèques leur rappellent que nous sommes tous les mêmes et que la différence est dans les efforts que nous faisons, dans l'intelligence que nous investissons, dans notre sensibilité aux autres. Les différences sont individuelles, et pas de genre.
En tant qu'ancienne garde des Sceaux, femme politique et femme noire, vous avez aussi subi du harcèlement, parfois des insultes. Face à cela, quelle attitude adoptez-vous ?
Je ne veux pas de relation bilatérale avec les injurieux et les insulteurs, qui sont parfois des femmes. D’ailleurs, dans mon cas, j’ai eu beaucoup d’insultes racistes. Il y a eu aussi des insultes sexistes. Ces personnes-là ne sont pas à la hauteur de mon dialogue à moi. En revanche, il s'agit de faire barrage, de faire rempart, de ne pas laisser passer, donc saisir la justice éventuellement, mais aussi symboliquement leur montrer que je suis là, dans l'espace public.
Mais c'est vrai que c'est d'une grande violence et qu'on ne peut pas se contenter de tenir bon, soi, de tenir tête, soi. On doit se dire qu’il y a des personnes qui ont un autre tempérament, un autre caractère, des vulnérabilités, et nous devons donc faire rempart pour protéger ces personnes vulnérables. Non pas de façon maternaliste ou paternaliste, mais parce que ce n'est pas juste, et que les combats politiques et éthiques, c'est pour la justice, pour le droit, pour la liberté, pour l'égalité. C'est pour cela que nous nous battons.
Aujourd'hui, si vous étiez à nouveau ministre de la Justice, quelles seraient vos propositions pour faire évoluer les choses ?
Je ne vais pas faire de la politique-fiction : incontestablement, je pense que nous avons un arsenal législatif qui devrait normalement permettre de protéger les femmes, et les personnes qui sont exposées à ces violences-là.
Mais au-delà des lois, il y a les politiques publiques. Est-ce que nous mettons les moyens pour que les lois soient vraiment applicables et qu'elles protègent les personnes qu'elles doivent protéger ? Je crois que, évidemment, il y a peut-être encore quelques “trous” législatifs à combler. Mais il y a surtout des politiques publiques.
C'est-à-dire ?
On doit arriver à prononcer que l'on veut éradiquer les féminicides. Est-ce qu'on dit qu'on va le faire dans 5 ans, dans 10 ans ? Nous ne voulons pas vivre dans une société où les femmes sont exposées, du fait de leur genre, dans le lieu souvent où elles sont censées être le plus en sécurité, au domicile familial, à perdre leur vie.
Mais il faut créer les conditions pour que, avant cela, les femmes aient par exemple, la liberté de partir au moment où elles sont en alerte. Les associations qui les accompagnent, qui les reçoivent et qui les aident à s'héberger réclament depuis 3,4,5 ans, un milliard d'euros pour assumer correctement les missions qu'elle se donnent.
On doit avoir cette ambition-là. Je crois qu'elle est concevable et accessible. On a donné plus d’un milliard d'euros à des causes économiques et financières, notamment des exonérations fiscales. On a donné plus qu’un milliard d'euros à des causes qui ne sont pas aussi essentielles pour nous toutes et tous.
Le reportage de Maia Graziani et Enzo Giugliano :