"Sans la participation active des agents de la Collectivité de Corse en charge du nettoyage et de l’entretien des locaux, aucun établissement ne pourra de fait rouvrir dans le respect du protocole sanitaire", déclare la rectrice. L'Assemblée de Corse a voté pour une rentrée en septembre.
"Rouvrira-t-on le 18 ? C’est une bonne question. Si vous trouvez quelqu’un qui a la réponse, ça m’intéresse". Le propos peut sembler ironique, mais l’incertitude d’Andres Mattei-Govi est réelle. Comme tous les chefs d’établissements du secondaire de Corse, le principal du collège Saint-Joseph de Bastia se retrouve entre le marteau et l’enclume : d’un côté, l’Education nationale a fixé la réouverture des collèges au 18 mai, de l’autre, la collectivité de Corse a reporté cet événement à septembre."Nous sommes dans le flou total", explique celui qui est aussi le représentant en Corse du Snupden (syndicat national unitaire des personnels de direction de l’Éducation nationale). "En tant que personnel de l’Éducation nationale, je dois mettre tout en œuvre pour accueillir les élèves le 18 mai. Nous sommes des fonctionnaires d’État, nous obéissons à notre ministre. Sauf que pour ouvrir, il faut appliquer le protocole sanitaire, il faut aussi des enseignants, et des agents d’entretien qui dépendent de la collectivité."
L’Assemblée de Corse a dit : septembre !
Or, ces mêmes chefs d’établissement ont reçu lundi 11 mai un courrier de l’Exécutif les informant qu’en vertu du principe de précaution, "la réouverture générale des collèges et lycées ne pourra intervenir qu’en septembre 2020".Ce courrier fait écho au vote de l’Assemblée de Corse du 7 mai dernier. Dans son article 4, la délibération adoptée précise que l’Assemblée de Corse prend acte de "la proposition du Conseil Exécutif de Corse tendant à ce que la réouverture générale des crèches, des écoles, des collèges, des lycées et de l’Université de Corse n’intervienne qu’en septembre 2020."
Délibération de l'assemblée de Corse approuvant la sortie progressive du confinement
Tout semblait clair. Sauf que depuis, de très nombreux parents d’élèves de l’île ont reçu des messages ainsi rédigé : «conformément aux décisions gouvernementales, le collège sera en mesure d’accueillir les élèves de 6e et 5e à compter du 18 mai dans le strict respect du protocole sanitaire».
« Une marque évidente de mépris à l’égard des institutions corses »
De quoi embrouiller considérablement les idées des parents. De quoi, aussi, déclencher la colère du président de l’Assemblée de Corse. Dans un communiqué co-signé par Petru-Antone Tomasi, le président du groupe Corsica libera, Jean-Guy Talamoni appelle à respecter "le vote de l’Assemblée de Corse". Rappelant que «les murs de ces établissements appartiennent à la Collectivité et que les personnels techniques, indispensables à leur fonctionnement, font partie des agents de la Collectivité», il estime que les courriers adressés aux parents «constituent une violation de la décision de l’Assemblée et une marque évidente de mépris à l’égard des institutions corses issues du suffrage universel.»L’autorité de l’Education nationale prévaut
Qui a raison ? Dans cette affaire, force est de constater que plusieurs réalités se superposent. En droit, "c’est l’autorité de l’Éducation nationale qui prévaut", explique Fabien Hoffman, maître de conférence en droit public à l’université de Corse."Ça ne fait aucun doute, sauf que dans le cas actuel, personne, du côté de l’État ne souhaite engager de bras de fer. L’idée du gouvernement, c’est vraiment de trouver une solution consensuelle. Les écoles primaires ont servi de test. L’Éducation nationale avait la main, mais l’instruction du premier ministre sous-entendait qu’aucune procédure ne serait engagée contre les maires qui refuseraient d’ouvrir les écoles. Les préfets devaient trouver des solutions en négociant. Personne ne finira devant le tribunal administratif".
Cette gestion de crise, toute en diplomatie, est liée à la multiplicité des risques. "Il faut composer avec la peur que les enfants ne retournent pas à l’école et soient déscolarisés. Mais aussi avec la peur économique que les parents ne puissent pas reprendre le travail. S’y ajoute la peur que les enseignants fassent valoir leur droit de retrait et bloquent l’établissement."
Compétences partagées
Si le sujet est épineux, c’est aussi en raison de la loi, en l’occurrence , celle du 22 janvier 2002, selon laquelle les compétences en matière de collèges et lycées sont partagées entre les services de l’État et la collectivité de Corse. Cette dernière possède les murs, alloue des subventions de fonctionnement aux établissements chaque année, et fait autorité sur les adjoints techniques territoriaux des établissements d’enseignement (ATTEE), les agents chargés du nettoyage et de l’entretien. Des agents dont la présence est rendue particulièrement précieuse dans ce contexte de risque épidémique.La situation particulière née de la loi du 22 janvier a été rappelée jeudi lors de la session de l’Assemblée de Corse, par Jean-Martin Mondoloni, président du groupe per l’avvene : «Attention à ne pas laissez croire que nous serions indépendants sur le sujet, on est dans un partage de compétences avec les services de l’État». Ce jour-là, celui qui est aussi proviseur de lycée avait ajouté : «au-delà, nous ne sommes pas prêts, le protocole sanitaire fixe un tel niveau d’exigence que personne ne peut réellement l’appliquer.»
Aucune réouverture sans agents d’entretien
De fait, le casse-tête de la mise en ouvre des règles sanitaires, est bien le premier souci des chefs d’établissements. Parce que le protocole de 53 pages qui leur est imposé est très complexe, mais aussi parce que le dispositif sera fonction du nombre d’élèves accueillis, corrélé au nombre d’enseignants..... et enfin au nombre d’agents d’entretien.Le rectorat a même fait ce mardi soir de la participation de ces agents une condition sine qua non de la réouverture. «Sans la participation active des agents de la Collectivité de Corse en charge du nettoyage et de l’entretien des locaux, aucun établissement ne rouvrira dans la mesure où le protocole sanitaire ne pourra y être appliqué strictement», explique Julie Benetti, la rectrice de l’académie de Corse . "Ma priorité absolue est de garantir la sécurité de nos personnels et de nos élèves. J’ai adressé en ce sens un courrier au président du Conseil Exécutif ce jour."
Un Président de l’Exécutif que sollicite aussi le Snupden - le syndicat des chefs d’établissements a lui demandé par courrier des éclaircissements - ainsi que le président de l’Assemblée de Corse et celui du groupe Corsica libera. Dans leur communiqué Jean-Guy Talamoni et Petru Antone Tomasi lui demandent, "conformément à ses prérogatives, notamment de chef du personnel, de faire appliquer strictement la décision de l’Assemblée de Corse, et de rétablir ainsi pleinement la crédibilité des institutions corses et du vote de ses élus". Une affaire à suivre.
[Mise à jour le 13/05 à 9h50 : Dans un communiqué envoyé aux rédactions ce mercredi, l’exécutif de Corse rappelle que la décision de la Collectivité de Corse est "en cohérence avec l’avis du Conseil scientifique institué par le Président de la République et celui du comité consultatif scientifique Covid-19 de Corse.
"Les collèges et lycées n’ont pas ouvert le 11 mai, et n’ouvriront pas le 18 mai", précise le communiqué ", ajoutant que les "Les personnels adjoints techniques territoriaux des établissements d’enseignement (ATTEE), qui dépendent de la Collectivité de Corse et sont placés sous l’autorité hiérarchique du Président du Conseil exécutif de Corse, continueront d’intervenir selon des modalités inchangées par rapport à la situation antérieure au 11 mai (présence pour assurer la continuité pédagogique telle qu’elle était prévue en période
de confinement)."
Une commission mise en place par l’exécutif devra établir définir les réponses à apporter aux élèves que cette décision mettrait en difficulté. L’Assemblée de Corse statuera fin mai sur l’organisation de l’offre éducative pour ces élèves pendant le mois de juin.
La rentrée générale, elle, aura lieu en septembre.]
Consulter le communiqué du 13 mai, transmis par la Collectivité de Corse
[Mise à jour le 13 mai à 16h30 : dans un communiqué envoyé ce mercredi, la rectrice de l’Académie de Corse, Julie Benetti déclare prendre "acte de la décision du Conseil exécutif de Corse de proposer une réouverture générale des établissements en septembre 2020." selon elle, cette décision prise "sans concertation" "ne sera pas sans conséquences pour nos élèves". "Sans la participation active des agents de la Collectivité de Corse en charge du nettoyage et de l’entretien des locaux, aucun établissement ne pourra de fait rouvrir dans le respect du protocole sanitaire", reconnaît-elle.]
Consultez le communiqué envoyé le 13 mai par la rectrice de Corse