A 28 ans à peine, Lucien Marsicano est devenu le rouage indispensable de l'Association du Sport Automobile bastiaise, qui organise ce week-end la 53e ronde de la Giraglia. Avec un redoutable mélange de passion, d'audace et de rigueur, il a offert une nouvelle vie à l'ASA. Nous l'avons rencontré à la veille de l'épreuve.
Jeudi matin, sur la Place Saint-Nicolas. Malgré quelques rares rafales de vent, les Bastiais ont pris place en terrasse, pour profiter du soleil printanier. Et ne semblent pas dérangés outre mesure par le bourdonnement du moteur du chariot élévateur qui manœuvre au pied de la statue de Napoleon. A quelques mètres, Lucien Marsicano, lunettes de soleil et casquette kaki, fait les cent pas le long de l'allée du 173e, téléphone à l'oreille. Depuis plus de six mois, le vice-président de l'Association du Sport Automobile bastiaise travaille sur l'organisation de la 53e Ronde de la Giraglia . Mais, depuis la veille, le compte à rebours a vraiment débuté.
Cadence infernale
Le lendemain, tout devra être prêt pour accueillir les presque cent équipages en lice pour la légendaire course insulaire. Et la Place Saint-Nicolas, où est traditionnellement installé le parc fermé, sera méconnaissable. Mais ce n'est pas la seule chose à mettre en place : "il y a aussi le parc d'assistance de l'Arinella, et..."
Le jeune homme de 28 ans est de nouveau interrompu par son téléphone. C'est lui qui centralise tout, qui prend les décisions, et qui tranche quand un problème se présente. C'est lui qui est en contact avec les commissaires et le directeur de course qui arrivent par bateau du continent, qui s'assure que les vigiles sont briefés pour assurer la sécurité du public, qui vérifie que les extincteurs, les radios, les matériels sont acheminés et réceptionnés dans tout le Cap Corse... Alors, sans surprise, depuis l'aube, ça n'arrête pas de sonner.
C'est un stress énorme. Il y a tellement d'argent en jeu...
Lucien Marsicano
"Le plus chaud, c'est maintenant", rassure Lucien Marsicano. "A partir de demain, ce seront des gens extérieurs à l'ASA qui prendront la suite. Le PC course encadrera l'épreuve, on a fait appel à des gens compétents, et on fait entièrement confiance à nos équipes".
Pour autant, le vice-président de l'ASA restera sur le qui-vive. La responsabilité d'une course telle que la Giraglia est énorme. "Les gens croient souvent que ça se résume à fermer une route et à lancer les voitures," raconte-t-il avec un sourire las. "Mais c'est un stress énorme. Il y a tellement d'argent en jeu ! Le budget de la Giraglia, c'est 160.000 euros. On ne peut rien laisser au hasard. Le moindre détail négligé peut tout faire s'effondrer".
Le coup de foudre, à 12 ans
Lucien Marsicano lui-même était loin d'imaginer tout cela, lorsqu'à l'âge de douze ans, il tombait amoureux de la course automobile, après avoir accompagné sa mère sur le bord de la route, pour voir passer son premier Tour de Corse.
"J'ai adoré ça ! J'ai commencé à faire des photos de rallye, et puis j'ai très vite acheté une petite caméra, pour faire des vidéos. De fil en aiguille, j'ai créé mon site internet, où on retrouvait l'actualité de tous les rallyes. J'avais 15 ou 16 ans, je pense. Il a eu un certain succès, il rassemblait près de 7.000 personnes", précise Lucien, toujours fier de ses premiers pas, une dizaine d'années plus tard.
Sans surprise, on lui propose bientôt de prendre part à une course, en tant que copilote. Il n'a même pas encore son permis de conduire.
"Je me suis dit pourquoi pas... Ma famille n'était pas vraiment rassurée, surtout mon père, qui n'était pas du tout rallye ! Mais au fil des courses, ils se sont faits à l'idée. Ca allait mieux".
Après quelques rallyes sur le siège passager, il prend enfin place derrière le volant, pour deux rallyes.
Quand on peut se lancer, il faut se lancer. Et vivre ses rêves. Avec les moyens qu'on a
Lucien Marsicano
Mais très vite, il va céder au chant d'autres sirènes. En 2015, Lucien apprend que l'ASA Bastiaise ne va pas très bien financièrement. Il commence par "donner un coup de main, bénévolement". "Et puis a couru le bruit que Daniel Baldassari, le président de l'époque, qui l'est toujours aujourd'hui, cherchait à former une équipe autour de lui pour reprendre l'association".
A ce moment-là, Lucien Marsicano n'a que 20 ans. Mais il ne se pose pas de questions. "Je suis quelqu'un d'assez... Le travail me fait pas peur, voilà. Quand on peut se lancer, il faut se lancer. Et vivre ses rêves. Avec les moyens qu'on a".
Se nourrir du passé pour innover
Le résultat est au-delà de ses espérances. "Dès la première année, le président nous a fait une confiance totale. Et c'était une sensation incroyable. Quand on a la passion, c'est un cadeau immense. On pouvait faire entendre notre voix sur le parcours, sur la com'..."
La com', c'est une des choses qui ont participé au renouveau de l'ASA Bastiaise. La vieille association investit les réseaux sociaux, les médias, et rajeunit considérablement son image. "Pour évoluer, il faut parvenir à mêler l'expérience de ceux qui sont là depuis longtemps, et les idées de la jeunesse", affirme le vice-président, qui nous annonce que des caméras seront embarquées dans les voitures durant cette Giraglia, et que les images seront diffusées sur les réseaux sociaux.
Mais cet engagement de tous les instants fait une victime : la carrière de coureur automobile de Lucien. "Au début, j'ai essayer de continuer les rallyes, mais je n'avais plus le temps". Le jeune homme souffle : "ça me manque un peu mais c'est pas si terrible. Et puis je n'ai pas dit mon dernier mot. Autant, l'année prochaine, je me loue une voiture et j'en fais un !"
L'organisation, ou le burn out
A 28 ans à peine, Lucien Marsicano est également élu à la ligue corse du sport automobile. Et en semaine, il travaille comme gestionnaire à la rémunération à la Collectivité de Corse. Un emploi du temps peut paraître effrayant.
Lucien en sourit, tout en répondant, par quelques gestes précis, à un bénévole qui, de l'autre côté de la place Saint-Nicolas, lui demande de quelle manière disposer les barrières. "Il faut savoir s'organiser. Le dimanche soir, je réfléchis à mon planning de la semaine. Une fois terminé mon boulot à la CdC, je passe une partie de mes soirées au siège de l'ASA, à Biguglia, avec les quelques personnes qui sont également dans l'association, et le week-end, il m'arrive de travailler sur la Giraglia, le matin, à la maison..."
Et comme si cela ne suffisait pas, Lucien déborde d'idées. L'année dernière, l'ASA a lancé le rallye des Strade Vecchie, entre Casinca et Castagniccia. L'association a également créé Objectif Rallye, une initiative qui vise à promouvoir les jeunes pilotes corses. "On leur offre trois rallyes, en prenant tout en charge, la location de la voiture, l'équipement, afin qu'ils puissent avoir plus de visibilité, monter en grade et pourquoi pas décrocher des sponsors".
Cette année, Objectif rallye a été mis entre parenthèses, en raison des nombreuses difficultés rencontrées en 2022, mais l'idée n'est pas abandonnée pour autant. "On verra l'année prochaine si on remet ça".
Depuis six ans, on est parmi les épreuves de deuxième division les mieux notées
Lucien Marsicano
Reste encore l'ambition, chaque année réitérée, d'accéder à la première division. Avec raison. "Pour la Giraglia ,on reçoit des observateurs, des journalistes, des commissaires qui font le tour des épreuves de première division, et qui nous disent qu'on n'a rien à envier à certaines d'entre elles. Depuis six ans, on est parmi les épreuves de deuxième division les mieux notées, alors évidemment ça motive..."
Bénévolat à Durée Déterminée
Le dirigeant de l'ASA semble insatiable. "Dans ma tête, je suis un peu compétiteur. Mais pas par rapport aux autres. J'aime que les choses soient bien faites. Et toujours les améliorer. Vous vous souvenez de Monk, le personnage de série au caractère obsessionnel ? Je suis un peu le Monk du rallye !"
Pour autant, quand on lui demande s'il se voit encore à cette place dans dix ou vingt ans, il éclate de rire. Et sa réponse est sans ambiguïté. "Non. C'est épuisant. On a de moins en moins de bénévoles. A l'ASA, on est 3 ou 4, pas plus, pour tout gérer. Et les gens, parfois, ne se rendent pas compte qu'on a une vie. Il arrive qu'on m'appelle à 23 heures, le dimanche soir, pour me demander un renseignement sur la Giraglia ! Et je me dis que ça aurait peut-être pu attendre le lendemain... Ce n'est pas notre métier, c'est quelque chose qu'on fait sur notre temps libre. Mais on ne peut pas s'en prendre à eux, ce sont aussi des passionnés, et la Corse, c'est petit, c'est convivial, on sait que ça se passe comme ça..."
Ma vie familiale passe avant tout
Lucien Marsicano
Lucien semble chercher du regard la ligne d'horizon, derrière les énormes navires qui stationnent dans le port de Bastia... "Ma vie familiale passe avant tout. J'ai une chance immense, celle d'avoir une compagne qui accepte ma passion, et qui aime aussi les voitures. Mais si un jour, je suis papa, je réduirai mon engagement dans la course automobile. Je n'en ai pas le moindre doute".
En attendant, Lucien Marsicano met le cap vers l'estrade qui vient de sortir de terre, face au kiosque de la place Saint-Nicolas. Il a une Giraglia à préparer. Et pas question de laisser quoi que ce soit au hasard.