Alors que la guerre entre les avocats et les magistrats s'intensifie au plan national, elle s'invite au niveau local. La rentrée solennelle du tribunal judiciaire de Bastia a été mouvementée. Le discours de la vice-procureure a été vécu comme une attaque par le Barreau, qui a quitté l'audience.
L'offensive n'a pas été menée de manière frontale. Mais pour toutes celles et ceux qui assistaient à l'audience de rentrée solennelle du tribunal judiciaire de Bastia, jeudi 24 septembre, elle ne faisait guère de doutes.
Les avocates et avocats présents avaient manifesté leur courroux de la plus claire des manières. En quittant les lieux sur le champ.
Une rentrée plutôt dissipée...
En cause, le discours de Stéphanie Pradelle. Et sa défense et illustration de la magistrature française et de son excellence.La vice-procureure de la République a fait l'éloge de l'Ecole Nationale de la Magistrature, une école à laquelle "on accède essentiellement par concours". Et qui compte "beaucoup de candidats, et peu de reçus. Une formation exigeante, et difficile".
En soi, rien de bien choquant. Mais pas question que cela se fasse au détriment d'une autre corporation.
C'est le sentiment qu'ont eu les avocats présents à l'audience, quand Stéphanie Pradelle s'est lancée dans une comparaison avec le cursus qui mène au Barreau :
"Des centres répartis sur tout le territoire, où l'on est admis sur un examen d'entrée". Et la procureure adjointe de rappeler que l'on compte, en France, 8.000 magistrats pour 70.000 avocats...
Bref, il semblerait que selon Stéphanie Pradelle, l'excellence ait choisi son camp.
"La magistrature, une élite, les avocats, un sous-prolétariat"
Me Jean-Paul Eon, bâtonnier du Barreau de Bastia, n'était pas en Corse au moment de l'audience.
Mais après avoir avoir pris une nuit de réflexion, et consulté ses collègues, très remontés, il a condamné fermement ce vendredi 25 septembre les propos de la procureure adjointe.
"On ne peut pas laisser passer ce genre de choses. Il est normal que les avocats aient quitté la salle.
Ils l'ont fait de manière très digne, mais cela mériterait des réactions encore plus violentes, encore plus vives", affirme le bâtonnier.
"Le discours de madame Pradelle est très clair. Les magistrats sont une élite, et les avocats (...) constituent une espèce de sous-prolétariat, moins bien formé, moins bien sélectionné. C'est cela que cela veut dire."
Un garde des Sceaux pas vraiment consensuel
Cette passe d'armes bastiaise n'est que la dernière illustration du climat tendu qui règne depuis quelques mois entre les magistrats et les avocats à travers le pays.Les polémiques se succèdent régulièrement depuis la nomination d'Eric Dupond-Moretti, l'été dernier, au ministère de la Justice.
L'avocat n'avait jamais caché les griefs qu'il entretenait avec la magistrature, et cette dernière a vu cette nomination comme une déclaration de guerre.
Une décision audacieuse, que le garde des Sceaux a légitimé en déclarant qu'il désirait "rompre avec les traditions surannées, rompre avec la tentation du vase clos et de l'entre-soi."
Et qui a fait souffler un vent de révolte chez les magistrats.
Une fronde des magistrats
C'est pourquoi mercredi 24 septembre, dans toute la France, ils manifestaient leur indignation, sous la bannière des deux principaux syndicats, l'Union syndicale de la magistrature, et le Syndicat de la magistrature.Dans un communiqué commun, les deux syndicats affirmaient qu'"il est inédit que l'ensemble des organisations professionnelles de magistrats appellent à une mobilisation collective, tout comme il est inédit qu'un ministre de la Justice malmène si fort et si vite l'institution judiciaire". La situation, on le voit, a tout pour monter les magistrats contre les avocats, et inversement.
L'audience de rentrée de Bastia en est la dernière illustration en date.
Jean-Paul Eon, le bâtônnier, le rappellait jeudi soir. "Je ne sais pas si le discours prononcé aujourd'hui à l'audience a un lien avec la manifestation des magistrats. Mais tout le monde en est conscient. L'intérêt de la justice, c'est que nous travaillions en bonne intelligence. Il faut juste que le respect soit mutuel."
On l'a compris, le calumet de la paix, dans les palais de justice, ce n'est pas pour tout de suite...