Six nouvelles salles de cinéma, fin 2025, à Bastia. La nouvelle est accueillie avec satisfaction par les cinéphiles. Mais cette arrivée d'un multiplex risque fort de bouleverser l'équilibre fragile qui régit depuis des décennies les rapports entre les salles obscures de la région bastiaise.
L'ouverture d'un multiplex de six salles, fin 2025, à Bastia, réjouit les amateurs de cinéma. Pour eux, c'est la promesse d'une offre plus diversifiée, de plus de confort, et de plus de modernité.
Mais le projet soulève plusieurs questions :
Quid des cinémas historiques du centre-ville ?
Le projet est porté par Daniel Benedittini, le patron du Régent. Et ce dernier a déjà affirmé que le Réent resterait ouvert. Plutôt qu'une menace, il voit dans ce multiplex l'opportunité de réinventer l'offre du centre-ville, qui serait plutôt dédiée au cinéma d'art et essais et aux festivals.
Mais le centre-ville, c'est également le cinéma le Studio, poumon du septième art bastiais depuis près de 70 ans. À l’origine, le Studio était partie prenante du projet. Mais en 2021, Michèle de Bernardi, la gérante du cinéma, se retire de l'équation, en raison, selon nos informations, des investissements financiers que le projet impliquait, et son désir de prendre un peu de repos, bien mérité, après des décennies consacrées au Studio.
La mairie a donné le nom de mon père, René Viale, à la rue où se trouve le Studio. Comment imaginer qu'il disparaisse ?
Michèle de Bernardi
Et aujourd'hui, elle regarde l'éclosion du multiplex avec inquiétude. "Face aux six salles du multiplex et aux trois salles du Régent, je vais vite me retrouver à la retraite. Surtout si le Régent fait de l'art et essai, ce qui est notre créneau depuis l'origine. Il ne me resterait que mes yeux pour pleurer".
SI elle peut comprendre la démarche économique de son concurrent, avec qui ils ont toujours travaillé en bonne intelligence pour la répartition des films à l'affiche, elle redoute les conséquences. "Mon seul souhait, c'est que le cinéma reste ouvert, pour la mémoire de mon père. La mairie a donné le nom de René Viale à la rue où nous sommes. Comment imaginer que le cinéma disparaisse ? Je suis ouverte à toutes les propositions, du moment que le Studio continue d'exister".
Daniel Benedettini l'assure : "je ferai le maximum pour qu'il reste cinq salles au centre-ville. L'avenir du Studo est entre les mains de Michèle de Bernardi, et c'est à elle de décider de ce qu'elle préfère faire. Mais si elle le veut, et si on arrive à trouver un arrangement qui satisferait tout le monde, on pourrait envisager de le reprendre. Quoi qu'il en soit, si cela ne devait pas se faire, je ferai en sorte que les employés du Studio gardent leur emploi, et soient prioritaires sur les embauches du multiplex".
Du côté de la mairie de Bastia, on suit le dossier de près, et depuis l'origine. Pierre Savelli ne le cache pas, il est favorable au projet. Selon lui, ce multiplex, géré par un Bastiais qui connaît bien le marché, réduira à néant la possibilité qu'un gros multiplex extérieur vienne s'installer, menaçant l'existence même des deux cinémas du centre-ville.
Pour autant, il se dit attentif à l'avenir du Studio, pour des raisons presque "sentimentales". "C'est dans ces deux salles que j'ai fait mes premiers pas de cinéphile", confie-t-il. Le maire regrette fortement que l'association Régent-Studio ne soit pas allée à son terme, mais il l'assure, il n'a pas d'inquiétude sur la pérennité des cinémas de centre-ville. À condition qu'ils arrivent à "travailler main dans la main".
Quelle place pour le cinéma de Furiani ?
Depuis des années, la mairie de Furiani fait vivre le cinéma U Paradisu, qui avait été pendant des années géré par le Studio, avant de devenir une régie municipale. La salle de cinéma a su fidéliser un public, venu en majorité des quartiers Sud et des communes voisines, Biguglia et Borgo.
À tel point que la municipalité a lancé une étude, à l'automne dernier, pour l'ouverture de deux salles supplémentaires...
Alors la confirmation de l'ouverture d'un multiplex à proximité n'a pas vraiment été accueillie avec joie, du côté de la mairie. "C'est embêtant, il faut le reconnaître. Avec une telle offre en matière de salles, les choses vont être plus compliquées".
D'autant que le cinéma de Furiani propose les blockbusters américains et les grosses comédies françaises, une programmation qui sera en concurrence frontale avec le multiplex. Et qu'il sera difficile de s'imposer face au mastodonte, lorsqu'il faudra négocier avec les distributeurs pour avoir tel ou tel film. "Quand on examine les nouveaux éléments en notre possession, il est normal de se poser la question du bien-fondé d'un tel projet. Pour les petites salles comme nous, il y aura beaucoup moins de place pour exister. En l'état actuel des choses, les salles de Bastia et les nôtres ne sont pas pleines, alors avec six salles de plus... On ne peut pas avoir Inestimable, ou Le Clan, de Pido, toutes les semaines !"
Pour l'instant, malgré le bouleversement annoncé par l'arrivée d'un multiplex, l'étude suit son chemin. La municipalité de Furiani l'assure, de son point de vue, les enjeux ne sont pas économiques. Ce qui lui importe, c'est avant tout, qu'il y ait "une offre culturelle, accessible à tout le monde, à des prix intéressants, et que les jeunes puissent aller au cinéma, au théâtre".
Une chose est sûre, l'apparition du multiplex, si elle est une bonne nouvelle pour les amateurs de cinéma, entraînera un redéploiement de l'offre qui ne se fera pas sans dommages collatéraux.