Tourisme à Bastia : "on nous promet un bon mois de septembre... Si ce n'est pas le cas, la saison sera vraiment catastrophique"

Les professionnels du tourisme font grise mine, à Bastia comme ailleurs en Corse. Si les touristes sont venus, leur budget, lui, est bien plus serré que lors des saisons précédentes. Et les conséquences ne sont pas faites attendre. Nous sommes allés à leur rencontre.

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"Soyons honnêtes, c'est très compliqué, cette saison..." Luc termine la mise en place du service du midi, en terrasse du restaurant qu'il a ouvert avec son frère il y a deux ans. "L'année dernière, ça s'est super bien passé, on avait énormément de monde. Et puis là, ce printemps, il y a eu une coupure, direct. Ça a été dur à vivre"

Certains jours, par rapport à 2022, on constate carrément un recul de 50 % de l'activité

Luc, restaurateur

Les chiffres le confirment douloureusement. "Certains jours, par rapport à 2022, on constate carrément un recul de 50 % de l'activité", constate Luc. "On ne comprenait pas. On a pensé à un moment que c'était de notre faute. Pourtant, on essayait toujours autant de faire de notre mieux..."

Une baisse générale

Et puis très vite, en discutant avec les autres restaurateurs bastiais, avec les commerçants de la rue, avec les fournisseurs, ils se sont rendu compte que "c'était comme ça pour tout le monde".

Il a fallu s'adapter à la situation, même si, Luc le reconnaît, leur petite équipe leur a permis une certaine souplesse. "Il y a mon frère, et moi, et deux employés. Alors c'est moins dur pour les charges. On ne va pas se plaindre, ça doit être bien pire pour les grosses structures, avec cinq ou six cuistots et une dizaine de serveurs. Mais une chose est sûre, l'année dernière, on faisait appel à des extras, très régulièrement, pour le service ou la plonge. Et cette saison, cela n'est pas arrivé une seule fois".

Entre les bals de village, les festivals, les soirées, les locaux ne peuvent pas être partout à la fois. Alors on se les partage

Eugène, restaurateur

Eugène, lui, a bien plus d'expérience des saisons touristiques. Il a ouvert son établissement sur la place du Marché il y a deux décennies. Et 2023 est l'une des pires saisons touristiques qu'il a vécues. "Il suffit de regarder autour de vous. Il y a beaucoup moins de monde qui circule dans les rues".

Les établissements comme le sien, ouverts à l'année, peuvent s'appuyer sur la clientèle locale, qui y a pris ses habitudes. Et heureusement. "Habituellement, durant la première quinzaine d'août, on a deux tiers de touristes et un tiers de locaux. Cette saison, notre clientèle est encore composée à 80 % de locaux. Particulièrement durant les "apéros du marché" du mercredi soir, qui attirent beaucoup de monde".

Mais cette clientèle locale ne suffit pas.

"Entre les bals de village, les festivals, les soirées, les locaux ne peuvent pas être partout à la fois. Alors on se les partage".

Ces constatations, ajoutées à "des marges qui sont réduites, avec la hausse des coûts liée à l'inflation, la hausse de la masse salariale, des matières premières, qu'on ne peut pas répercuter entièrement sur nos prix", font que, pour Eugène, "la saison est vraiment mauvaise".

Et quand on lui rétorque que certaines projections promettent un beau mois de septembre, il hausse les épaules : "on verra bien. Mais une chose est sûre, s'il s'avère que septembre n'est pas bon, la saison sera vraiment catastrophique".

Peur du lendemain

Aux Café des Palmiers, une institution bastiaise centenaire, on en a vu d'autres. Mais Antoine, qui gère l'établissement de la place Saint-Nicolas, constate lui aussi une baisse conséquente de l'activité. "20 % pour le mois de juillet, et un recul équivalent pour le début du mois d'août".

Pour lui, ce n'est pas si étonnant que ça. "C'est la crise, on entend parler que d'inflation partout... Les gens sont inquiets, et ça peut se comprendre. Alors ceux qui peuvent mettent de côté. Vous avez vu l'argent que les Français ont placé sur leur livret A cette année ? Des milliards ! C'est autant d'argent qui n'est pas réinjecté dans l'économie".

Mon comptable m'a prévenu que si je ne revoyais pas les prix à la hausse, j'allais finir la saison dans le rouge.

Antoine, gérant de bar

Les temps sont durs, et Antoine et ses serveurs le voient tous les jours. Et pas que pour les touristes : "on a des clients qui viennent régulièrement, et qui ont pour habitude de prendre deux ballons d'eau minérale. Un ballon coûte 1,7 euro. Alors depuis quelques semaines, ils préfèrent prendre une petite bouteille à 2,6 euros à deux. C'est toujours ça d'économisé".

Pour faire face aux charges qui augmentent, Antoine a dû revoir les tarifs du café. Mais il a hésité longtemps. "Mon comptable m'a prévenu que si je ne revoyais pas les prix à la hausse, j'allais finir la saison dans le rouge. Alors au mois de juin, finalement, j'ai augmenté de quelques centimes..."

Baisse d'effectif

Les magasins de souvenirs, eux, semblent ne pas connaître la crise. Depuis quelques années, ils ont poussé comme des champignons à Bastia, et rares sont les ruelles du centre-ville à ne pas avoir leur boutique de cartes postales, de serviettes de bain aux couleurs de la Corse, et de tee-shirts floqués de slogans plus ou moins heureux... Et elles semblent attirer toujours autant les promeneurs.

Un magnet à 3 euros, au mieux...

Corinne, boutique souvenirs

Mais qu'on ne s'y trompe pas. Dans le secteur aussi, les professionnels font grise mine.

"Quand il fait mauvais et qu'il n'y a pas de plage, ce qui a été souvent le cas ces dernières semaines, les touristes viennent, c'est sûr. Mais le peu qui achète achète des petites choses. Un magnet à 3 euros, au mieux", confie Corinne, qui travaille dans l'un de ces magasins de souvenirs.

L'année dernière, au mois d'août, elles étaient trois dans la boutique, pour répondre à la demande. "Cette saison, une personne suffit largement".

"Avant, les clients achetaient quelque chose pour le frère, la grand-mère, la copine de classe, déplore la vendeuse. Tout ça, c'est fini. On le voit avec les enfants, qui choisissent sans regarder le prix. Les parents reposent les articles, en leur disant que c'est trop cher".

Règles budgétaires strictes 

Les chiffres du trafic maritime et aérien pour le mois de juillet affichent une baisse de 4 à 5 %, mais ce recul est loin d'expliquer la chute spectaculaire de l'activité.

Deux repas au restaurant dans la semaine, et trois passages chez le glacier

Justine, vacancière

Les témoignages des professionnels du tourisme bastiais le confirment. Ce n'est pas tant le manque de touristes que la prudence de ces derniers quand il s'agit de sortir le porte-monnaie qui grève la saison 2023.

Une terrasse de restaurant, au cœur de la vieille ville. Ce lundi soir, l'établissement est fermé. Mais deux tables sont néanmoins occupées. Deux couples et leurs trois enfants se sont installés là pour dîner. Plusieurs sachets de papier brun sont posés devant eux. À l’intérieur, de la charcuterie, du pâté, quelques paquets de chips.

Justine sourit : "on va payer moins cher que si le resto était ouvert, c'est sûr". Ils viennent de Picardie, et la facture est élevée. "Rien que l'essence, le bateau et l'hébergement, à sept, on en est déjà à plus de 4.000 euros. Alors on a dû établir un budget par jour, pour tous les repas et les autres dépenses, de 200 euros pour nous sept. Et des règles strictes. Deux repas au restaurant dans la semaine, et trois passages chez le glacier".

Les deux couples ont loué un Air BnB du côté du quartier de Toga, et la plupart du temps, ils vont faire leurs courses au supermarché voisin.

C'est bien simple, depuis début juillet, on se fait DE-TRUI-RE !

Hervé*, saisonnier en grande surface

Dans une grande surface du centre bastiais, si l'on refuse de nous donner des chiffres sur l'activité saisonnière 2023, on reconnaît, hors micro, qu'ils sont "très honorables".

Hervé*, un étudiant qui travaille là en saisonnier, est moins taiseux. Alors qu'il tente, tant bien que mal, de redonner un aspect présentable au rayon des salades sous vide, où il ne reste plus grand-chose, le jeune homme de 22 ans lâche un "c'est bien simple, depuis début juillet, ça n'arrête pas. On se fait DE-TRUI-RE !".

Une déclaration qui en dit plus long sur les nouveaux modes de consommation touristique que de listes de statistiques...

  • Le prénom a été modifié, à la demande de la personne.
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