Procès du gang de braqueurs estoniens à Bastia : "on pointe une arme vers moi, à un mètre. Je vois défiler ma vie, et je prie pour que je puisse en sortir indemne"

En octobre 2016 et mai 2017, deux braquages étaient commis à Bastia, chez les joailliers Vannucci et Danesi. Le montant du butin était de presque 700.000 euros. Les auteurs en étaient un gang estonien coutumier du fait à travers l’Europe. Une partie d’entre eux est jugée cette semaine devant la cour criminelle départementale de Haute-Corse.

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Les deux braquages se sont déroulés à sept mois d’écart. Mais dans la même ville, Bastia. Sur la même artère, le boulevard Paoli. A la même heure, 10h45.

Dans la bijouterie Vannucci, le 3 octobre 2016, et dans la bijouterie Danesi, le 4 mai 2017, le déroulement des faits a de surcroît été étonnamment similaire. Les récits des témoins, à la barre ou lus par le président de la cour, décrivent le même modus operandi. 

Trois hommes grimés, béret, casquette, foulard, perruque, lunettes noires pénètrent brusquement dans la joaillerie. Ils sont munis d’une arme de poing, mais également d’une « massette » et d’une hachette, afin de briser les vitrines, et de s’emparer des bijoux, dont ils remplissent les sacs qu'ils ont apportés. Ils s’expriment en anglais, avec un fort accent des pays de l’Est, et crient "down, down !", pour que les personnes à l’intérieur, employé, gérant, cliente ou femme de ménage, s’allongent au sol.

"Flashs", "peur", "traumatisme", "confusion"… Au fil des témoignages de cette première journée d'audience, on devine que, de longues années après, les séquelles de ces quelques minutes, « qui ont paru interminables », sont encore présentes.

"On pointe une arme vers moi, à un mètre. Je vois défiler ma vie, et je prie pour que ça se termine vite, et que je puisse en sortir indemne…" se souvient l'un des témoins. À l’époque, il était conseiller clientèle dans l’une des deux bijouteries. Aujourd’hui, il est fleuriste.

Absents

Ils sont cinq, d’origine estonienne, accusés d’avoir participé à au moins l’un de ces deux vols à main armé.

Le premier, Riivo Nugis, 49 ans, est assis, impassible, dans le box. Crâne dégarni, le cheveu grisonnant et ras, petites lunettes et chemise boutonnée jusqu'au menton, sous un pull bleu.

Le deuxième, Vitali Guk comparaît libre. Barbu, la silhouette athlétique, l’homme de 48 ans est assis, sur les bancs de la défense, à côté d’une traductrice.

Roland André Marjamaa, le troisième, n'arrivera qu'à la mi-journée, en provenance d’Italie, où il est détenu, à la Casa circondariale de Vérone, pour une autre affaire. Il a 28 ans.

Le quatrième, Marek Viidemann, "qui serait en Finlande mais n’a pas été localisé", précise le président, sera jugé par défaut. L’homme, né en 1976, est le seul à ne pas reconnaître avoir participé aux braquages.

Le dernier, Andres Sepp, 46 ans, a été interpellé en Estonie le 1er novembre dernier. Une arrestation "trop récente pour qu’il soit présent aux débats. Son cas sera disjoint, il sera jugé à une date ultérieure par la cour criminelle", explique la cour.

Deux autres individus estoniens auraient également participé à ces braquages en Corse, à en croire les conclusions de l’enquête. Le premier est mort dans un accident de moto, l’autre s’est suicidé, en s'injectant une surdose de stupéfiants.

Dénominateur commun

La plupart des accusés sont des "petites mains", estime la directrice d’enquête, qui est la première à se présenter à la barre. Un sentiment confirmé par le commandant de police qui lui succède, et qui a conjointement mené les investigations. Les deux policiers décrivent des "individus en grande précarité", "en état d’urgence", certains avaient de lourdes dettes, d’autres étaient accros au jeu, ou bien toxicomanes. Parfois les deux.

Trois d’entre eux, Vitali Guk et les deux individus décédés depuis, ont, selon l'enquête, perpétré le premier braquage, dans la bijouterie Vannucci.

Les trois autres, Roland André Marjamaa, Marek Viidemann et Andrea Sepp ont commis le second, dans la bijouterie Danesi, toujours selon l'enquête. La plupart ne nient pas les faits qui leur sont reprochés. 

Il dit, on exécute

"Riivo Nugis, lui, est le seul à ne pas être entré dans les joailleries. C'est également le seul à avoir participé aux deux braquages", souligne la directrice d’enquête. "Il nous a dit que son rôle consistait à déposer les autres devant la bijouterie, et à ensuite récupérer le butin. Que tout était organisé par d’autres gens, et qu’il ne connaissait rien des détails".

Très  vite, les enquêteurs en doutent. "Il est le dénominateur commun, c'est lui qui recrutait les autres". "Mais même s’il manipule les braqueurs", précise la directrice d'enquête, "on sent aussi que quelqu’un tire les ficelles au-dessus".

Les deux policiers évoqueront la possibilité d’une structure plus large, impliquant possiblement la mafia russe, sans que les investigations aient permis de remonter jusque-là.

Interpol

Ces dernières ont néanmoins été menées à grande échelle. Il a fallu une coopération entre les polices européennes, la police judiciaire bastiaise, la police estonienne, le bureau d’Interpol monégasque, la police fédérale russe, les autorités espagnoles, italiennes, et autrichiennes, pour mener l’enquête à son terme.

Et pour cause.

Les deux braquages corses ne sont pas les deux seuls braquages qui sont attribués à ce gang à géométrie variable. Et là encore, le lien, c’est Riivo Nugis. Pour les autorités, il a également été l'un des hommes qui ont dévalisé une bijouterie sur la place Saint-Marc, à Venise, et une autre à Illsbruk, en Autriche, à quelques mois d’intervalle. Avec un mode opératoire semblable à celui appliqué en Corse..

Lorsque Vitali Guk, qui comparaît libre, se présente à la barre, Il se tourne vers les bancs de la partie civile, et présente ses excuses, en estonien : "Vous avez beaucoup souffert, et si je pouvais retourner en arrière, jamais je ne referais ce que j’ai fait".

Les policiers, quelques heures plus tôt, l’ont affirmé : Vitali Guk est un homme nouveau, qui s’est soigné de ses addictions. "Il a reconnu tout de suite ce qu’on lui reprochait", à en croire la directrice d’enquête. "C’est un homme qui se reconstruit, qui veut changer de vie".  

Selon Vitali Guk, les braqueurs ne décidaient de rien. C’était Riivo Nugis qui donnait les consignes, et ils se contentaient d’exécuter. Tout était décidé à l’avance. Quel avion prendre, où dormir, quoi voler… Quand le président lui demande s’il avait peur de Riivo Nugis, il répond : « avant, c’est possible. J’étais drogué tout le temps, très faible physiquement et psychologiquement. J’étais quelqu’un d’autre. Plus maintenant ».

Jusqu'à 20 ans de réclusion

Riivo Nugis, dans le box, reste impassible. Et quand il prend la parole, c’est pour confirmer ce qu’il a déclaré lors des auditions. Qu’il n’a été le commanditaire de rien. Qu’il n’était qu’un rouage d’un système bien plus large. Que tout était décidé, en Estonie, par "trois autres personnes, qui n’étaient pas en Corse au moment des faits", et dont lui-même avait "peur".

Les quatre accusés jugés devant la cour criminelle départementale de Haute-Corse encourent une peine de 20 ans de réclusion et 150.000 euros d'amende pour vol avec arme et participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime.

Le procès devrait durer jusqu'à la fin de la semaine. 

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