Douleurs pelviennes, troubles de la fertilité, saignements abondants... L'endométriose, maladie gynécologique complexe, affecterait plus d'une femme sur dix. Au centre hospitalier de Bastia, un centre de prise en charge spécialisé a été mis en place depuis 2021, et accueille plus de 400 patientes chaque année.
Pour Jeanne, 22 ans, ce sont six journées d’intenses douleurs, qui reviennent inlassablement, tous les mois.
Six jours durant lesquels la jeune femme souffre de maux dans le bas du ventre et du dos, à l’intensité variable, pouvant aller d’un inconfort très important à l’impossibilité de quitter son lit. "J’ai la poitrine qui devient très sensible, le ventre très gonflé, c’est comme des coups très violents et répétés. Parfois, les douleurs sont si fortes que j’en vomis. Il m’est aussi arrivé d’avoir des sensations de malaise…"
Pour Laurence Espinosa, 49 ans, c'est un "combat de tous les jours" qu'elle affronte depuis des années et pour lequel elle a dû subir 28 opérations.
Une bataille inégale, face à un ennemi chronique et invisible, qui lui provoque des douleurs intenses et peut lui entraîner des règles s'étalant sur tout un mois entier, et à cause duquel elle a été contrainte d'arrêter de travailler.
Jeanne est étudiante infirmière, Laurence était coiffeuse. Les deux femmes n'ont pas le même parcours, qu'il soit personnel ou médical, mais toutes deux souffrent du même mal : l'endométriose. Maladie gynécologique inflammatoire et chronique, elle se caractérise par la présence en dehors de la cavité utérine de tissu semblable à celui de la muqueuse de l’utérus – c’est-à-dire l’endomètre - .
Une pathologie dont on ignore encore les causes, mais qui toucherait plus de 10 % des femmes en âge de procréer - les chiffres exacts sont en l'état impossible à définir selon les spécialistes, mais cela correspondrait, en Corse, à près de 7400 personnes -, engendrant pour certaines des douleurs d’anormalement intenses à invalidantes.
L'importance d'un diagnostic rapide
Pour toutes ces femmes, la première difficulté réside dans le fait de poser un diagnostic sur leurs douleurs. "En France, il faut compter un délai moyen de 7 ans entre la première consultation et le diagnostic", indique Caroline Le Hir, sage-femme.
D'où l'importance de réduire autant que possible ces années d'errance, en permettant notamment aux patientes d'avoir un centre d'examen proche de chez elles, où une prise en charge pluridisciplinaire peut être dispensée.
En France, il faut compter un délai moyen de 7 ans entre la première consultation et le diagnostic
Depuis sept mois maintenant, Caroline Le Hir s'occupe de la coordination de la filière endométriose en Corse, au sein de l'hôpital de Bastia. Ouvert en 2021, le centre Endo Corse bénéficie d'un partenariat avec le CHU Tenon, à Paris.
Une fois par mois, ce sont ainsi trois spécialistes en la matière de cet hôpital parisien, les professeurs Marc Bazot, Sofiane Bendifallah et Cyril Touboul qui se rendent directement au centre hospitalier de Bastia pour accueillir et traiter des patientes déjà diagnostiquées ou en quête de diagnostic.
"On s'est rendu compte il y a 3, 4 ans, quand on a commencé cette question de la structuration du parcours de soins, qu'il y avait sur l’île de très nombreuses malades, de l'adolescence jusqu'au-delà même de la ménopause, avec des pathologies sévères, détaille le professeur Sofiane Bendifallah. C'est important pour nous d'être là et d'accompagner et soigner les patientes de façon experte."
Test salivaire
Ce chirurgien gynécologue, expert en chirurgie de l'endométriose et des cancers gynécologiques, est à la tête de l'équipe qui a récemment mis au point un test capable de diagnostiquer la maladie à partir d'un échantillon de salive. Aujourd'hui, pour diagnostiquer une patiente, les spécialistes ont généralement recours à plusieurs échographies et IRM de cette dernière. Un parcours soin qui peut nécessiter des mois d'attente.
Presque 180 millions de femmes ont des symptômes douloureux en lien avec l'endométriose dans le monde
Avec ce test, élaboré à partir de l'étude des micro-ARN, le diagnostic pourrait être plus rapide, moins invasif, et plus précis également : les études menées font état d'un taux de réussite établi à 95%, relève le professeur Sofiane Bendifallah, contre autour de 60% pour une échographie, selon les cas.
"Ce qui est à mon sens fondamental, c'est que dès le départ, dès le début des premières règles, on doit être capable de dire à une jeune femme qui souffre, qui ne peut pas aller à l'école, qui ne peut pas aller travailler, si oui ou non elle a une maladie. Presque 180 millions de femmes ont des symptômes douloureux en lien avec l'endométriose dans le monde", insiste-t-il.
"Le jour où nous sommes capables de leur dire ce qu'elles ont, on est véritablement capables de les accompagner, les soigner, et de se focaliser sur l'essentiel, c’est-à-dire soigner la douleur et prévenir les risques d'infertilité."
Prise en charge plurielle
Aujourd'hui, il n'existe aucuns traitements définitifs de l'endométriose. Pour la soigner, les spécialistes disposent de plusieurs champs d'action, y compris, dans les cas les plus extrêmes, le recours à la chirurgie. "Elle peut intervenir à différents moments de la prise en charge d'une patiente qui souffre d'endométriose, détaille le professeur Cyril Touboul, chirurgien gynécologique. Cela peut être à visée antalgique, pour diminuer les douleurs, ou dans le cadre du parcours de fertilité..."
Reste que la chirurgie n'est pas la seule arme de bataille : "il y a les traitements hormonaux, les antalgiques, notamment anti-inflammatoires, les centres antidouleurs [la Corse en dispose d'un à Ajaccio, ndlr], et ce qu'on appelle aussi les soins de support, comme l'ostéopathie, la sophrologie, la kinésithérapie, ou encore le yoga..." Des dispositifs qui peuvent être mis en place par les spécialistes avant, après, ou même en l'absence de chirurgie, et en fonction du profil de la patiente.
Pour Typhaine, venue consulter avec les experts, ce jeudi 4 avril à l'hôpital de Bastia, la mise en place de ce centre endométriose est en tout cas un vrai soulagement. "C'était un vrai besoin en Corse", sourit-elle. Comme elle, ce sont quelque 400 patientes qui sont prises en charge dans cet espace spécialisé, chaque année.