Mobilisation pour Alessandri et Ferrandi : "Il est temps pour eux de rentrer sur leur terre, de retrouver les leurs"

Alain Ferrandi et Pierre Alessandri, incarcérés pour l'assassinat du préfet Erignac, sont conditionnables depuis près de 4 ans. Mais en raison de leur statut de DPS, ils ne peuvent pas prétendre à un rapprochement en Corse. Une manifestation de soutien aux deux détenus est organisée samedi à Corte

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Presque 22 ans que leurs familles attendent leur retour en Corse. Pierre Alessandri et Alain Ferrandi, purgent leur peine depuis tout ce temps sur le continent à la maison centrale de Poissy (Ile-de-France).

Condamnés en 2003 à la réclusion criminelle à perpétuité pour leur participation à l'assassinat du préfet Claude Erignac, perpétré le 6 février 1998 à Ajaccio, les deux hommes sont depuis presque 4 ans arrivés au terme de leur période de sûreté, et donc fondé à demander leur libération conditionnelle.

Un statut DPS controversé

Une perspective qui reste pourtant encore bien lointaine, aujourd'hui. Pour l'instant, les autorités leurs refusent jusqu'à un rapprochement familial dans une prison en Corse : pour l'administration pénitentiaire, la prison de Borgo n'est en l'état pas apte à recevoir des transferts de prisonniers inscrits au répertoire DPS.

Un statut invoqué dans le cadre de prisonniers particulièrement signalés, faisant l'objet d'une surveillance et de conditions d’incarcérations spécifiques.

Fin décembre 2020, leurs proches ont espéré le retrait de ce statut décrié sur l'île de beauté. La commission locale DPS avait ainsi donné un avis favorable à la radiation du répertoire de Pierre Alessandri et Alain Ferrandi.

Mais en vain : Eric Dupond-Moretti, nommé à la tête du ministère de la Justice en juillet 2020, s'est vu interdire par décret "des actes de toute nature relevant des attributions du garde des Sceaux, ministre de la Justice, relatifs aux conditions d’exécution des peines et au régime pénitentiaire de personnes condamnées qui ont été, directement ou indirectement, impliquées dans les affaires dont il a eu à connaître en sa qualité d’avocat (…)"

Le Premier ministre, Jean Castex, a statué défavorablement de ce retrait le 12 janvier.

Ces hommes ont payé [...]. Il est temps pour eux de rentrer retrouver leur terre, avec les leurs.

Simon Paulu Ferrandi

Une décision largement regrettée par les familles des deux hommes. "Les arguments auxquels se réfère l'Etat sont infondés et ne tiennent pas, tranche Simon Paulu Ferrandi, fils d'Alain Ferrandi. Ils estiment qu'un retour en Corse constituerait un risque de "trouble à l'ordre public". C'est un mensonge. Il n'y a qu'à voir le soutien de la population corse pour le comprendre."

Pour le jeune homme, "ces hommes ont payé, et l’Etat ne doit pas aller au-delà de la condamnation prononcée à l’époque. Il est temps pour eux de rentrer retrouver leur terre, avec les leurs."

"Déni de justice"

Même déception pour Joseph Versini. Lui aussi parmi les condamnés du "commando Erignac", il n'a jamais cessé de se mobiliser, depuis sa libération en 2008, pour le retrait du statut DPS de ses amis. "C’est un scandale ! Voir un ministre de la Justice écarté de la prise de décision je pense que cela ne s’est jamais vu dans aucun autre pays…".

Plus encore, pour lui, le maintient du statut de DPS "est un déni de justice. On ne peut pas garder les gens en prison toute une vie."

Ils ont été jugés, ils ont purgé leur peine et on ne les laisse même pas se rapprocher de leur famille.

Joseph Versini

Le sexagénaire désormais éleveur porcin, se prend à la comparaison : "J’entendais il y a quelques jours le ministre Darmanin parler sur RTL des prisonniers islamistes libérés. Il disait qu’il était impossible d’aller contre la loi et de garder en prison des détenus qui ont purgé leur peine. Pourquoi ce raisonnement ne s’appliquerait-il pas aux cas d’Alain Ferrandi et de Pierre Alessandri ? Ils ont été jugés, ils ont purgé leur peine et on ne les laisse même pas se rapprocher de leur famille."

À ses yeux, ce ne serait pas la famille Erignac qui bloquerait le rapprochement d'Alain Ferrandi et Pierre Alessandri.

D'ailleurs, tous les autres membres du "commando" [tous libérés à l'exception d'Alain Ferrandi, Pierre Alessandri et Yvan Colona, ndlr], pour lesquels "il n'y a pas eu de blocage. La famille Erignac ne s'est pas opposée lorsque nous avons été rapprochés à Borgo, et quand nous avons fait notre demande de libération conditionnelle."

Joseph Versini se dit même prêt, aujourd'hui, à rencontrer et discuter avec la famille du préfet assassiné, si celle-ci "n'y est pas opposée".

Dissenssion entre Etat et élus insulaires

Alain Ferrandi et Pierre Alessandri sont aujourd'hui considérés sur l'île comme un symbole de la question des "prisonniers politiques", et leur sort cristallise des désaccords marqués sur ce point entre la Corse et l'Etat français.

Car l'opinion insulaire n'a jamais autant penché en faveur du rapprochement des deux détenus : le 25 janvier, une motion appelant à la levée du statut de détenu particulièrement signalé d'Alain Ferrandi et Pierre Alessandri a été votée au conseil municipal d'Ajaccio. L'adoption de ce texte, proposé par le groupe Pà Aiacciu, a été entourée de vives discussions sur la mention ou non du préfet Claude Erignac et de sa famille.

Deux motions ont finalement été votées : celles de l'opposition et celle de la majorité municipale de Laurent Marcangeli, précisant en préambule l'aspect politique de l'affaire. Un fait inédit, qui n'enlève pas un vote unanime du conseil pour la levée du statut DPS.

Avant Ajaccio, une trentaine de collectivités, dont la communauté d'agglomération de Bastia, avaient déjà adopté de pareilles motions. Toutes ont été répertoriées sur une carte alimentée par le collectif l'Ora di u ritornu.

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"Il y a en Corse une mobilisation assez exemplaire, se félicite André Paccou, représentant de la Ligue des droits de l'homme en Corse. Une lettre pour la levée du statut DPS a été signée par les 6 parlementaires corses - droite, gauche, nationaliste -, pour dire le consensus qu'il a autour de cette affaire. De même, il y a eu un vote dans ce sens à l'unanimité à l'Assemblée de Corse. Et malgré cela, nous sommes toujours confrontés à un blocage qui pose vraiment problème notamment par rapport au fonctionnement de l'Etat de droit."

Résultat, l'association constate aujourd'hui "une réelle indignation partagée". "Nous avons rencontré l'ensemble des groupes à l'Assemblée de Corse, et chacun des groupes, chaque représentation de groupe a utilisé ce mot : indignation."

La question qui se pose, c'est quel est l'objectif réel ? Doit-on parler d'une prison à vie ?

André Paccou, représentant de la LDH Corse

"On sait très bien qu'il s'agit d'un dossier qui est sensible au plus haut niveau de l'Etat. Mais il faut en revenir à l'essentiel : pas de levée du statut DPS, pas de rapprochement possible, pas de réinsertion possible familiale et professionnelle... La question qui se pose, c'est quel est l'objectif réel ? Doit-on parler d'une prison à vie ? C'est cela aussi qui est posé fondamentalement et que pose la ligue des droits de l'homme et l'Ora di I ritornu depuis plusieurs années."

Mobilisation de soutien

C'est justement pour répondre à cette "indignation" que la section corse de la LDH, accompagnée du collectif l'Ora di u ritornu, appelle, ce samedi 30 janvier, à une mobilisation à Corte "pour la levée du statut DPS et la réinsertion d'Alain Ferrandi et de Pierre Alessandri".

"Ce ne sera pas une mobilisation uniquement symbolique, clame André Paccou, mais "en réponse à une attente". "Nous voulons faire en sorte que la population puisse s'exprimer dans la rue, et interpeller, évidemment, le gouvernement."

Les organisateurs indiquent avoir détaillé le déroulé de l'événement avec le préfet de Haute-Corse, François Ravier, pour s'assurer, notamment, du respect des consignes sanitaires et du couvre-feu.

Les manifestants sont appelés à se rassembler à 13h, place Padoue, avant la mise en marche du cortège à 14h. Le rassemblement défilera jusqu'à la place Paoli, où le collectif l'Ora di u ritornu et la LDH Corse prendront la parole. Des proches d'Alain Ferrandi et Pierre Alessandri devraient également s'exprimer. Le rassemblement est enfin prévu pour se disperser aux alentours de 16h.

Difficile, à ce stade, de déterminer combien de personnes seront présentes aux côtés des familles Alessandri et Ferrandi et des associations dans les rues de Corte, samedi 30 janvier. Mais les organisateurs et soutiens espèrent rassembler en dehors de tout clivage politique. "A mes yeux, cela concerne toute la Corse, pas seulement les nationalistes", argue Joseph Versini, qui entend "ne pas lâcher le terrain".

"Ce qu'on veut dire, c'est qu'aujourd'hui nous sommes debouts, dans la dignité, et nous sommes convaincus que nous arriverons à faire valoir nos droits", clame Simon Paulu Ferrandi.

Dépassement des clivages politiques

 Plusieurs élus politiques de tous bords ont déjà fait connaître leur intention de s'y rendre. On sait cependant déjà que Xavier Poli, maire de Corte n'y sera pas, pour cause de Covid-19.

Mais surtout, à la veille de la mobilisation, l’Assemblée de Corse et le Conseil exécutif ont adopté à l'unanimité, ce vendredi 29 janvier, une "résolution solennelle" demandant à ce que "les personnes condamnées dans le cadre de la procédure sur l'assassinat du préfet Erignac se voient appliquer les mêmes droits et le même traitement que tout justiciable".

À ce titre, les élus insulaires demandent la levée du statut DPS, le rapprochement immédiat des deux hommes, "ainsi que de celui de tous les condamnés Corses incarcérés sur le continent, conformément à ce que prévoit le droit français et européen".

Outre ce rassemblement, une pétition a également été lancée de façon conjointe par l'Ora di u ritornu et la LDH Corse. Mise en ligne au cours de la semaine passée, elle récolte, au 29 janvier, 1454 signataires. Parmi eux, "les six derniers présidents de la ligue des droits de l'homme au niveau national", constate André Paccou, dont Henri Leclerc, avocat pénaliste et président d'honneur de l'association.

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