Malgré Netflix et les nouveaux modes de consommation culturels, les salles de cinéma parviennent encore à tirer leur épingle du jeu. Si la fréquentation est en léger recul, 640.000 spectateurs se sont encore rendus dans les salles obscures en 2018. De quoi donner des idées aux exploitants...
Au Régent, mardi soir à Bastia, ça se bousculait un peu dans le hall d'entrée.
Certains sont là pour voir Ad Astra, le dernier James Gray, avec Brad Pitt et Donald Sutherland.
Normal. Le film est sorti sur les écrans français la semaine dernière, et les critiques sont dithyrambiques.
Une offre éclectique
Mais les deux autres salles de la ville proposent un singulier voyage dans le temps.Dans la première, un vieux concert de Pink Floyd, sur grand écran, avec un son surround. L'expérience est tentante pour les dizaines de spectatrices et de spectateurs dont les cheveux grisonnants laissent penser qu'ils ont peut-être assisté également au concert initial...
Dans la deuxième, pour un soir seulement, First Blood, le premier volet de la sage des Rambo, signé Ted Kotcheff et sorti en 1982.
Il y a 37 ans...
Daniel Benedittini, le gérant du cinéma bastiais, nous confie, entre deux poignées de main aux habitués :
"C'est un pari, Laurent Herin [coordinateur du festival de Lama] me l'a proposé, et on s'est dit que c'était une bonne idée. On ne va pas faire beaucoup d'entrées, mais dans le public il y aura des gens qui ne vont plus beaucoup dans les salles, que l'idée de revoir ce classique des années 80 sur grand écran, en V.O., aura séduit. Et qui y reprendront peut-être goût."
640.000 entrées en Corse en 2018
C'est le nerf de la guerre, pour le Régent comme pour l'ensemble du secteur en Corse : multiplier les offres, pour élargir le public.Et les chiffres donnent raison aux exploitants des 19 établissements cinématographiques que compte l'île. La fréquentation a atteint 640.000 entrées en 2018.
Schématiquement, on peut donc conclure que chaque Corse est allé deux fois au cinéma...
Les blockbusters attirent les foules
En revanche, la Corse peut s'enorgueillir d'avoir le meilleur taux d'occupation des fauteuils de l'ensemble des régions françaises. Avec un score de 17%.Le chiffre fait sourire Daniel Benedittini, pour qui ce trophée est un peu une médaille en chocolat :
"C'est un chiffre de fréquentation par rapport au nombre d'habitants, mais c'est un chiffre faussé par la réalité du marché insulaire. On a beaucoup de cinéma de plein air, et l'été, on passe de 300.000 à plus d'un millions d'habitants... Alors évidemment, le ratio en bénéficie. Mais il ne reflète pas la réalité de la fréquentation annuelle des cinémas corses."
Pour autant, indéniablement, le cinéma se porte bien sur l'île, même si la fréquentation accuse une baisse de 6,8 % par rapport à 2017.
Une variation qui est plus vraisemblablement due à quelques énormes succès enregistrés dans les salles cette année-là, au premier rang desquels le mastodonte Star Wars Episode 8, les derniers jedi.
Cette année, c'est Le Roi Lion qui a eu le plus de succès. 18000 entrées rien qu'à Ajaccio. Un chiffre "faramineux" pour la directrice adjointe du cinéma l'Ellipse, à Ajaccio, Catherine Poitevin Squarcini.
Bientôt un multiplexe à Bastia
"La Corse a toujours eu un public cinéphile, rappelle Daniel Benedittini alors que les accords mélancoliques de la musique de Jerry Goldsmith s'échappent de la salle 2 à la faveur de l'entrée d'un retardataire. L'un des plus vieux festivals de Corse est Arte Mare, il y a le festival du film italien, Lama... D'autres encore dans le sud... C'est à nous d'alimenter cela. En proposant de plus en plus de films en V.O., par exemple. Il y a de plus en plus de gens qui veulent voir les films en version originale, le public change, évolue, ses goûts aussi, et on doit être attentifs à cela."Selon Daniel Benedittini, le cinéma l'Ellipse a apporté un renouveau il y a quelques années.
Un renouveau qui se confirme. A Lecci, en Corse du Sud, le Galaxy vient d'ouvrir, proposant 4 salles modernes et de nombreuses séances.
Et Bastia ne devrait plus être en reste encore très longtemps en matière de nouveaux équipements.
Daniel Benedittini nourrit depuis des années un projet de multiplexe à la sortie de la ville. Et les choses avancent à grand pas.
Un accord a été trouvé avec l'autre cinéma bastiais, le Studio. Plutôt que de se lancer dans une concurrence frontale, Benedittini est allé voir Michèle De Bernardi, gérante du Studio et fille de René Viale. Et le projet se fera en commun. Il pourrait voir le jour courant 2021.
"Il faut vraiment qu'on fasse du cinéma un événement. Pour faire face à Netflix, aux nouvelles manières de consommer le cinéma, au téléchargement illégal... Il faut que les gens sortent de chez eux, et qu'ils viennent nous voir. Qu'ils constatent la différence entre aller dans une salle de cinéma et regarder un film sur une tablette ou sur un téléphone. Parce que l'expérience ne sera jamais la même. Le cinéma, c'est plus que regarder un film. Il y a des gens qui viennent au Régent, le dimanche soir, pas pour voir un film en particulier. Ils nous demandent ce qu'on projette le soir, et décident sur place. Pour eux, c'est avant tout une soirée entre amis, manger des popcorns, partager un moment. C'est aussi cela le cinéma. Et il ne faut pas qu'on l'oublie."
Les deux cinémas historiques de la ville, le Régent et le Studio, ne devraient pas disparaître pour autant.
Le multiplexe, comme de juste, devrait avant tout être réservé aux blockbusters américains, qui représentent 52,4 % des tickets vendus sur l'île, et aux grosses comédies françaises.
Les salles du centre-ville, elles, offriront une programmation pour les cinéphiles.
De quoi, un peu plus encore, multiplier les offres, pour élargir le public.
Et permettre au public de connaître, malgré Netflix, le frisson incomparable d'une salle de cinéma qui s'éteint.
les chiffres 2018
644.000 entrées :- 400.000 en Corse du Sud
- 244.000 en Haute Corse
- 29 salles
- 10 cinémas en Corse du Sud (2 art et essai)
- 9 cinémas en Haute Corse (1 art et essai)
- 6,60 euros
- 4,25 millions d'euros
- 56