Chorus, le dernier disquaire bastiais, baisse le rideau

C'est la fin d'une époque. Pendant 27 ans, alors que les autres disquaires de la ville fermaient peu à peu leurs portes, Jean-Michel Radet est resté fidèle au poste. A 66 ans, dans sur un marché impossible pour les disquaires indépendants dans les petites villes, il a décidé de prendre sa retraite.

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Dans la petite boutique, la voix chaude tellement reconnaissable de Van Morrison s'élève des enceintes. 

C'est son dernier jour dans cette boutique qu'il a ouverte, qu'il pleuve ou qu'il vente durant près de trois décennies. 
Alors Jean-Michel Radet, avec cet éternel petit sourire de satisfaction, a posé encore une fois sur la platine un vinyle de ce chanteur irlandais qu'il aime tant. 

C'est ce qui va me manquer le plus, s'asseoir, discuter de musique, mettre un vinyle et l'écouter. Prendre le temps...

Autour de lui, les étagères sont pour la plupart vides. Pendant longtemps, les clients devaient adopter une chorégraphie précise pour se mouvoir sans renverser de pile de disques ou enfoncer leur coude dans les reins du voisin.
Ne restent que aujourd'hui quelques DVD, des CD et des 33 tours, qu'examine une poignée de clients aux cheveux aussi grisonnants que le gérant de Chorus.
 

L'un d'eux est passablement dépité par la fermeture de la boutique "Les disquaires que j'ai connus, il y a quelques années, étaient comme Jean-Michel. Ils connaissaient toutes les musiques, ils étaient capables de nous renseigner sur tout. Maintenant, c'est plus pareil. Et c'est bien dommage."

Il nous reste internet. Malheureusement.

Un peu plus loin, un autre client opine du chef : "C'est ce qui va me manquer le plus, pouvoir se retrouver dans un endroit, s'asseoir, et discuter calmement de musique, pendant des heures...Passer un vinyle, et prendre le temps de l'écouter"...
Un troisième part avec deux vinyles sous le bras, l'air pas vraiment plus joyeux. "Je crois que je vais être obligé de faire comme tout le monde... Il nous reste Internet. Malheureusement."
 

Ces clients, nostalgiques, parlent d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. 
Avant internet, le streaming, Spotify et la dématérialisation.

Pour la première fois, il n'y aura plus de disquaire à Bastia

Un temps où chaque fois que l'on prenait le bus pour se rendre chez Chorus, on avait le cœur un peu plus battant que d'habitude, en espérant que le disque de Jeff Buckley dont on avait lu la critique dans Rock'n'Folk, et sur lequel on fantasmait depuis un mois, était enfin arrivé...
 

Bastia, en ce temps-là, était le paradis pour les amateurs de disques. Et le CD était roi. 
Et pour celles et ceux qui voulaient acheter Brothers In Arms de Dire Straits ou le nouveau tube des Innocents, il n'y avait que l'embarras du choix. 

Menghi et Marquet, côte à côte, avenue Maréchal Sebastiani, 2B Musique, sur le Marché, et Catani, sur le Boulevard Paoli.
Sans parler de l'incontournable disquaire Blanc, qui tenait le haut du pavé il y a un demi-siècle, et dont celles et ceux qui l'ont connu parlent encore avec émotion. 
 

Certains ont fermé, d'autres ont ouvert, mais peu importent les modes et les évolutions techniques des supports, il y a toujours eu, au centre-ville de Bastia, des boutiques spécialisées dans la vente de disques. 
Jean-Michel se rappelle de cette époque dont il a été témoin, dernier des Mohicans, de la disparition. 

"On était cinq disquaires à Bastia, et on travaillait mieux à l'époque, malgré la concurrence, que moi, tout seul, aujourd'hui. A Chorus on a tenu parce que l'on faisait des imports, on passait beaucoup de commandes, mais depuis près de vingt ans, et l'arrivée d'internet, c'était très difficile". 

27 ans d'existence

Jean-Michel parlait de prendre une retraite bien méritée depuis des années. Sans jamais parvenir à trouver un repreneur. 
Alors finalement, à 66 ans, il a décidé de jeter l'éponge, et d'arrêter. Même si personne ne prendra la suite. Et si l'endroit, bientôt, deviendra certainement une boutique de réparation de téléphones ou de lunettes de soleil. 

Ce soir, à 19 heures, quand Jean-Michel baissera une dernière fois sont grinçant rideau sur la vitrine de Chorus, il n'y aura plus de disquaire à Bastia. Pour la première fois. 
 
 
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