En visite officielle en Corse, Gérald Darmanin s'est arrêté à la DDSP, à Bastia, pour un échange autour de la lutte contre la criminalité organisée. Pour le ministre de l'Intérieur, les discussions autour de l'autonomie ne peuvent intervenir sans un contrôle de cette problématique centrale.
Un temps fort de la visite du ministre de l'Intérieur en Corse. En déplacement officiel sur l'île ce vendredi 22 juillet, Gérald Darmanin a fait étape, dans la matinée, au siège de la direction départementale de la sécurité publique, à Bastia, pour aborder un thème jugé prioritaire par le ministre : la lutte contre la "grande criminalité organisée et la drogue".
Une réunion qui s'est tenue aux côtés, notamment, "des préfets, évidemment, des procureurs généraux près des cours d'appel de Bastia et d'Aix, de la procureure de la République de Marseille, des services de police et de gendarmerie, et des services de renseignements", indique à son terme le ministre de l'Intérieur, en l'assurant : l'échange fut "très instructif".
Renfort des moyens et évolution de la criminalité
Après un peu plus d'une heure de discussion, trois points principaux ont été constatés, détaille ainsi Gérald Darmanin. Dans un premier temps, la hausse des résolutions d'enquête des services de police de gendarmerie au cours des six derniers mois. Une progression louable, estime le ministre, réussie "sur la base de renseignements très importants".
Plus encore, poursuit-il, "trois règlements de compte ont été empêchés depuis le début de l'année", et de très importantes "saisies de stupéfiants et de réseaux" ont été effectuées, notamment au départ de Marseille et à destination de la Corse. Mais un plus grand nombre d'enquêtes résolues peut aussi être interprété comme une activité criminelle plus forte, souligne le ministre.
De fait, et il s'agit du second point abordé, un renforcement des moyens policiers et judiciaires est nécessaire. Il s'effectuera dans les prochaines semaines, "pour la rentrée de septembre", projette Gérald Darmanin.
"Nous allons mettre beaucoup plus d'enquêteurs, d'officiers de police judiciaire pour servir les magistrats, dans les enquêtes sur l'île de beauté, mais surtout à Marseille, qui est l'endroit où l'on fait ces grandes enquêtes criminelles." Avec désormais pour principal cheval de bataille la lutte contre le trafic de stupéfiants.
La Corse ne doit pas devenir la plaque tournante de la drogue en Méditerranée.
Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur
Car, et c'est le troisième constat effectué au cours de la réunion, indique le ministre de l'Intérieur : la Corse est depuis plusieurs années sujette à une certaine "évolution de sa criminalité". "Il y a bien sûr l'immobilier, la spéculation foncière, les marchés publics frauduleux, l'urbanisme sauvage ou le blanchiment d'argent. Mais on voit bien que la difficulté principale, c'est une augmentation des trafics de stupéfiants et des trafiquants de stupéfiants. Ce trafic, il est fait par des Corses, mais peut aussi être extérieur à cette criminalité corse. Et nous devons absolument combattre cela", tranche-t-il.
Une hausse du trafic de stupéfiants sur l'île qui résulte sans doute, justifie le ministre "des moyens très importants que nous mettons pour lutter contre la drogue à Marseille, qui, du coup, a tendance à se déporter ici. La Corse ne doit pas devenir la plaque tournante de la drogue en Méditerranée. Nous devons absolument mettre davantage de moyens en œuvre pour lutter contre cette criminalité organisée."
Pour son prochain déplacement sur l'île, Gérald Darmanin l'annonce par avance, "je viendrai sans doute avec la patronne de l'Ofast [l'office anti-stupéfiants, constitué en janvier 2020, ndlr], qui, avec les douanes, la justice, la police, la gendarmerie, est désormais un grand service d'enquête, qui résout des grandes enquêtes, comme par exemple sur la drogue sur le continent, et qui manifestement doit être encore plus présent en Corse."
Outre la question du trafic de stupéfiants de plus en plus important, c'est plus généralement l'organisation en elle-même de la grande criminalité qui a évolué, reprend le ministre.
Evoquant 25 clans criminels qui agiraient dans différentes régions de l'île, il indique, s'appuyant sur les propos "d'un des patrons de la police judiciaire", que "là, où, avant, on avait des groupes très organisés de criminalité, un peu claniques, et fondés sur une histoire, désormais, on constate une sorte d'atomisation de la criminalité, avec des gens qui sortent de ces clans, de ces groupes, et qui, notamment avec les stupéfiants, se font beaucoup d'argent en dehors de que ce l'histoire du grand banditisme a connu."
Une grande criminalité "spécifique" à la Corse
Pour lutter contre la grande criminalité en Corse, faut-il appliquer des mesures déjà en place dans d'autres îles méditerranéennes ?
Gérald Darmanin estime la solution trop simpliste. "La criminalité organisée en Corse n'est pas la même que dans les autres îles de la Méditerranée. Ce n'est pas la même qu'en Sicile, qu'en Sardaigne, que sur le continent. Je crois qu'il ne faut pas forcément photocopier les dispositifs d'autres pays, ou d'autres territoires. Il y a des spécificités corses, et il faut peut-être adapter nos moyens d'actions, pourquoi pas législatifs, à cette spécificité, sans nécessairement les recopier sur ceux des autres."
Crime organisé plutôt que mafia
Pourquoi, enfin, parler de "crime organisé", plutôt que de mafia, comme appellent à le faire des collectifs anti-mafieux insulaires, formés au cours des dernières années ? Le ministre évacue rapidement la question. "Moi, je parle français, et en français, mafia, ça veut dire criminalité organisée."
Moi, je parle français, et en français, mafia, ça veut dire criminalité organisée.
Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur
Une justification qui ne convient pas au collectif Maffia No a Vita Iè. Dans un communiqué daté de ce vendredi 22 juillet, le groupe regrette que Gérald Darmanin ne parle pas directement de mafia, "et insiste surtout sur le seul trafic de drogue, minimisant le rôle de décideurs mafieux et des porosités politiques."
"Sans doute est-il sous l'influence du procureur général Jean-Jacques Fagni qui vient d'oser déclarer que les collectifs grossissent le trait... tout en indiquant que 25 clans criminels agissent dans différentes régions de l'île. Rapporté à la population française, c'est comme si l'on minimisait la nuisance de 750 bandes criminelles", souffle le collectif, qui appelle "ce magistrat" à admettre "cette réalité mortifère", et sortir de ce que les membres du groupe estiment "un déni irresponsable, et ne plus tenter de discréditer le combat citoyen".
Alors le terme mafia mis à part, peut-on considérer qu'une emprise mafieuse est en œuvre en Corse ? Sans nier des situations peuvent exister, Gérald Darmanin insiste : "Je ne suis pas juge, je ne suis pas procureur de la République et je ne suis même pas policier ou gendarme. Je laisse évidemment se faire les enquêtes, parce que je n'accuse pas sans travail ni contradiction, sans un travail policier rigoureux sous l'autorité judiciaire."
"Mon travail, c'est de donner les moyens au service de police et de gendarmerie, de pouvoir faire ces enquêtes et de pouvoir dénoncer ces entreprises lorsqu'elles existent. Mon travail, c'est de dire aux fonctionnaires de la République qu'ils sont évidemment soutenus lorsqu'ils font ce travail contre ceux qui spolient l'argent public, et qui dévalorisent la réputation de la France et de la Corse. Mon travail, c'est de lutter très fortement contre les brebis galeuses qui peuvent exister, comme dans toute administration", poursuit-il.
Le ministre de l'Intérieur se veut catégorique : "Si nous devions trouver des agents publics qui, d'une manière ou d'une autre, auraient informé des personnes qui seraient mal intentionnées, avec l'intérêt général ou l'argent public, notre main ne tremblera pas."
Le contrôle du crime organisé, condition sine qua non de l'autonomie
Indépendamment du processus de négociation autour d'une possible évolution institutionnelle de la Corse vers un statut d'autonomie, "la Corse fait partie intégrante du territoire de la République, tranche le ministre. Et le banditisme, la criminalité, le trafic de stupéfiants, doivent être combattus fermement."
Impossible d'imaginer une quelconque autonomie de l'île si celle-ci se traduisait par une augmentation de la criminalité organisée, renchérit le ministre. "Nous ne pouvons pas construire une éventuelle évolution institutionnelle si nous n'avons pas les freins ou les contrôles renforcés de l'Etat, ce qui donnerait demain au banditisme un accès à de nouvelles compétences : on pense évidemment aux déchets, à l'autonomie énergétique, à l'accès au logement... Tout ce qui dépend d'une collectivité autonome."
S'il devait y avoir une proposition d'évolution institutionnelle, il est évident que cela ne touchera pas les services régaliens de l'Etat : ni la justice, ni la police ne seraient donnés aux pouvoirs locaux.
Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur
Ainsi, il le répète, si, au fil des discussions dans les prochains mois entre Paris et la Corse, "il devait y avoir une proposition d'évolution institutionnelle, il est évident que cela ne touchera pas les services régaliens de l'Etat : ni la justice, ni la police ne seraient donnés aux pouvoirs locaux. Eux-mêmes ne le demandent pas."
Gérald Darmanin promet par avance la tenue de points d'étape et de nouveaux rendez-vous d'échange sur la lutte contre la criminalité organisée lors de ses futurs déplacements en Corse. La prochaine visite devrait à priori se tenir en septembre.