Entreprendre en Corse malgré le Covid19 (épisode 2) : "si tu n'as pas d'argent devant toi, tu ne fais rien".

Certains commerces ont ouvert leurs portes, alors que la moitié de la planète fermait la sienne. Et veulent croire à l'avenir, malgré la pandémie. C'est notre série Entreprendre malgré le Covid. Deuxième épisode, avec Franck, qui a ouvert une sandwicherie bio entre les deux confinements. 

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"- Il ne reste plus de plat du jour, malheureusement...
- Demain, vous en refaites ?  Alors mettez-m'en trois portions de côté, s'il vous plaît.
"

Il est un peu plus de 13h30, et la marmite de pot-au-feu est vide. Tout comme la vitrine des salades. Il reste quelques baguettes pour les sandwichs. De quoi tenir jusqu'à 14h, et profiter de l'acalmie pour se ravitailler dans la boulangerie au bout de la rue. 

"Il faut créer le manque ! plaisante Franck, qui travaille seul, dans sa sandwicherie en centre-ville. Six jours sur sept, sans discontinuer, de 6h30 à 18h30.
"Plus sérieusement, je ne peux pas faire plus. Quand il n'y en a plus, y en a plus... Les clients le savent, alors le matin, quand ils passent devant chez moi, en emmenant leurs gosses à l'Ecole du Centre, ils me demandent de leur mettre des portions de côté". 
Le trentenaire remet sa casquette, essuie ses mains sur son tablier, et prépare le sandwich radis noirs, fromage frais et salinu qu'attend une jeune fille, pressée par le temps. Elle doit retourner travailler dans le cabinet d'analyse médicale voisin. 

De menuisier à cuistot

L'ancien menuisier, originaire de Marseille et arrivé à l'âge de 10 ans à Chisà, dans le Fium'Orbu, a ouvert au mois de juin dernier. Pas vraiment le meilleur moment pour lancer une affaire. 

"J'ai signé pour ce local en janvier dernier. Et j'étais en plein travaux pendant le premier confinement. Je me posais la question d'ouvrir ou d'attendre. Personne, à ce moment-là, n'avait la moindre idée de ce qui nous attendait. Et puis, comme on était sur le passage de l'école, je voyais du passage, et j'ai voulu y croire. Le temps que le carreleur, qui était confiné, finisse ses travaux, et j'ai ouvert". 

Et depuis, pas le temps de souffler.

La sandwicherie est petite, à peine une quinzaine de mètres carrés. Pas de tables, pas de chaises, et pas de livraisons non plus. Tout est à emporter.
"On m'a appelé ce matin pour me demander pourquoi je ne livrais pas. Mais si je livre, qui c'est qui cuisine ?", s'amuse le jeune entrepreneur.  

Il ne suffit pas de dire qu'on aime la Corse, il faut agir en conséquence.

En pleine période de crise économique mondiale, alors que le pays est confiné, et que d'innombrables commerçants sont à l'agonie, la réussite du projet peut étonner. Mais en y regardant de plus près, elle est au contraire logique. 
"Il y a beaucoup de gens qui travaillent, autour... Les boutiques, qui font le Click&Collect, et puis les cabinets d'avocat, d'architecture, les médecins..." Les restaurants étant fermés, et les déplacements limités, il ne reste pas beaucoup de choix. 

Mais à en croire un client, reparti avec la salade qu'il avait fait mettre de côté, ce n'est pas la seule explication. "Une salade à l'orge et à la fondue de poireaux, ça change des parts de pizza froide..."

Circuit (très) court

"C'était le principe depuis l'origine du projet. Ne travailler qu'avec du frais, des produits d'ici. Je n'ai jamais pris ma voiture une fois pour faire mes courses. Je fais mes courses dans les magasins bio aux alentours, et je compose ma carte en fonction de ce qu'ils ont.
Quand ils n'ont plus de butternut, je passe sur une autre courge. Et je me fais livrer le poulet, le rôti, le prizuttu, par des éleveurs en qui j'ai confiance. Je préfère ça aux produits qui sont restés des jours dans les cales des bateaux..."


Bio, et écolo. Les couverts sont en amidon de maïs, et les verres, en canne à sucre, et donc compostables.
"C'est un peu plus cher, mais vu ce que je passe en verres, c'est pas ça qui va me tuer."

Même le poivre est bio !

Dans le frigo derrière lui, pas de Coca, pas d'Orangina, pas d'IceTea. Que des boissons locales, du jus de fruit à la bouteille de vin. 

"Je veux faire travailler les gens d'ici, que je connais et qui font les choses bien. Il ne suffit pas de dire qu'on aime la Corse, il faut aussi que ses actes soient cohérents avec ses propos".

La cohérence, jusqu'au nom de la sandwicherie. Coasina, du nom de la pieve où Franck a grandi.

Coasina (Covasina o Cuvasina) :stu nome vene d'una vechja pieve, chi oghje, cun quella di Cursa, face parte da u...

Publiée par Coasina Sandwicherie Bastia sur Mercredi 24 juin 2020

Le versement du prêt après l'ouverture

Menuisier pendant une vingtaine d'années, Franck s'est lancé dans l'aventure sans filet. L'argent du prêt qu'il a fait à la banque, accordé début février, a été versé mi-juillet. "J'avais ouvert depuis un mois, déjà...", précise l'entrepreneur, un brin amer. "Je ne pouvais pas attendre le prêt pour ouvrir, rien que pour payer le fonds. Il a fallu avancer l'argent".

L'investissement, quelques dizaines de milliers d'euros, n'est pas énorme, à l'échelle d'un projet d'entreprise. Mais quand il faut trouver le financement soi-même, ce n'est pas rien. D'autant que Franck n'a demandé aucune aide.

"Je me souviens trop bien de l'époque où je me suis mis à mon compte comme menuisier... Il faut remplir des tonnes de dossiers, rien n'avance jamais, il faut un temps fou... De nos jours, si tu n'as pas d'argent devant toi, tu ne fais rien". 

Mais venir du bâtiment, ça aide aussi...

Franck a fait l'escalier, le parquet, la peinture, la façade lui-même. "A peu près tout", sourit-il. L'argent est parti dans les matières premières, et dans le matériel... "Rien que les deux vitrines, c'est 6.000 euros !"

Respecter le produit

Après cinq mois, il est trop tôt pour tirer un premier bilan. L'entrepreneur reste prudent. Mais il ne regrette pas une seconde son changement d'orientation professionnelle. Même si c'est épuisant. D'autant qu'il s'apprête à devenir père, et que jongler avec la sandwicherie, 12 heures par jour 6 jours sur 7, et ses nouvelles attributions familiales, ça s'annonce acrobatique. 

"Je vais trouver une solution. Il faut tenir bon, et au bout d'un an, on verra bien. Qui sait, je pourrai peut-être prendre quelqu'un..."

Et quand on lui demande s'il ne s'inquiète pas de devoir former une autre personne, alors qu'il a imprimé sa patte sur la carte et les recettes qu'il propose, Franck éclate de rire.
 
"Je ne suis même pas cuistot ! Jusqu'à hier soir, je n'avais jamais fait de pot-au-feu ! Moi aussi, j'ai appris, et je continue d'apprendre. Je demande des conseils, je tente des choses... Si on respecte le produit, et les attentes des clients, tout se passe bien, en général". 
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