Favoriser la rencontre entre jeunes à la recherche d'un contrat d'apprentissage et entreprise en demande d'alternants : ce mercredi 19 octobre, le CFA de Haute-Corse organisait un "job-dating" dans ses locaux de Furiani. Un événement qui n'a néanmoins pas attiré un grand nombre de potentiels alternants.
"Allez, vas-y, je t'attends dehors." Adossée contre sa voiture, garée à quelques mètres du centre de formation des apprentis de Furiani, Manon rechigne un peu à rentrer sans sa mère à l'intérieur des locaux.
Âgée de 19 ans et en recherche d'orientation professionnelle, la jeune femme a entendu parler par le biais d'amis de la tenue d'un "job-dating" entre entreprises et futurs jeunes alternants, ce mercredi 19 octobre. Un événement organisé par le CFA de Haute-Corse, et pour lequel une vingtaine d'entrepreneurs se sont déplacés.
Manon sort tout juste d'une année "blanche" après l'obtention de son baccalauréat. Peu encline à l'idée de reprendre des études théoriques, la piste d'un contrat d'apprentissage pourrait l'intéresser.
"Moi ce qui me plairait, c'est plutôt le secteur du commerce", souffle-t-elle. Reste désormais à oser aller se "vendre" auprès des entrepreneurs. "Elle est un peu timide", sourit sa mère. "J'ai préparé des CV pour les donner au cas où, si je trouve quelque chose, ce serait bien...", reprend Manon.
Découverte et réorientation
À l'intérieur des locaux, Thomas, 20 ans, vient lui de finir son "tour" des entrepreneurs.
Son apprentissage, le jeune homme avait initialement prévu de l'effectuer dans un tout autre domaine : "je sors de deux années d'un BPJEPS AF [visant à obtenir un diplôme d'Etat animateur, éducateur et coach sportif dans le milieu du fitness, ndlr]. Je devais faire une dernière année, mais malheureusement elle a été annulée, parce que mon employeur m'a lâché à quelques jours de la rentrée", regrette-t-il.
"Alors je suis venu ici pour savoir si je ne pouvais pas me réorienter, développer de nouvelles compétences, et ne pas passer une année en sursis."
Thomas indique avoir envoyé son CV à deux entreprises : "un pour un CAP en mécanique poids lourd, parce que mon père et mon frère ont travaillé dans le secteur, et un autre pour la vente de vêtements professionnels, parce que j'aime bien le contact avec la clientèle."
Un peu plus loin, Céline, 18 ans, a, elle, laissé son contact auprès d'une entreprise d'esthétique. "Ils doivent me contacter pour faire un stage", indique-t-elle. "Comme je n'ai aucune expérience dans le domaine, ils m'ont dit que c'était sans doute mieux de commencer par un stage, et voir après si on peut déboucher sur un contrat en formation."
Tenter de valoriser des professions méconnues
Manon, Thomas, Céline : si comme eux, d'autres jeunes se sont également déplacés, portés par des projets professionnels plus ou moins définis, difficile de parler de fort afflux dans les locaux du CFA de Haute-Corse. À 16h, ils n'étaient qu'une quarantaine de jeunes à avoir franchi les portes.
À la déception à peine dissimulée de certains entrepreneurs, comme Eric Levanneur, directeur de deux concessions, à Bastia et Ajaccio, pour Corse poids lourds.
"On a un secteur d'activité est autour du véhicule industriel, les camions, les poids lourds. Ce sont des métiers techniques qui n'ont pas suffisamment de notoriété pour pouvoir être connu du grand public, et donc forcément attirer les foules."
D'où l'intérêt, explique-t-il, de faire un travail "de porte-à-porte pour essayer de valoriser nos professions et faire valoir leur attrait, pour que des jeunes puissent se tourner vers nous".
Au total, chez Corse poids lourds, on recherche trois alternants, sur trois secteurs d'activité : la mécanique, la vente de pièces de rechange, et la vente à proprement parler des véhicules. "Pour le moment, une seule personne est venue depuis tout à l'heure, et c'était un jeune qui cherchait un peu quoi faire, plutôt que quelqu'un de vraiment déterminé..."
Aujourd'hui directeur de concession, Eric Levanneur est lui-même passé par l'apprentissage. "J'ai fait un bac pro, un CAP, je suis rentré comme mécanicien, et puis j'ai gravi les échelons jusqu'à arriver jusqu'ici. Désormais, je gère une cinquantaine de personnes, pour une entreprise qui fait 16 millions d'euros de chiffre d'affaires."
À ses yeux, le problème viendrait en partie d'une vision erronée du métier. "Ce sont des professions qui ont été dévaluées aux yeux du grand public, mais qui sont pourtant très techniques, nécessitent des compétences intellectuelles fournies, et qui sont bien rémunérées. Elles auraient tout intérêt à être plus valorisées."
"Ce n'est pas le métier qui n'attire plus, c'est le travail"
Plus loin, au stand de l'entreprise de bois Di Legnu, le constat est plus tranchant : "ce n'est pas le métier qui n'attire plus, c'est le travail !". Ici, on fait à la fois de la menuiserie, de la construction, de l'aménagement extérieur et intérieur, liste-t-il.
Trois postes d'apprentissage sont proposés. Mais depuis le début de l'après-midi, seuls deux jeunes se sont arrêtés à son stand, indique-t-il. "Il y en a un qui était intéressé dont on a pris le CV, et un autre pour qui ça ne fonctionnerait pas parce qu'il était trop loin entre travail et domicile", glisse Cyrille Pellicia, le fondateur.
L'entrepreneur déplore "un manque de motivation" des jeunes en recherche d'emploi.
"Désormais, ce qu'ils cherchent, c'est le confort de vie avant tout. Même si derrière la formation, on leur propose un CDI, ça ne les intéresse plus", estime Patrick, aux côtés de Cyrille Pelliccia.
"Comme ce métier est en plus un métier nouveau, les jeunes sont dans l'inconnu, ils viennent sans connaître les attentes, il faut leur expliquer. Mais à l'instant T, on sent qu'il n'y a pas de motivation. On voit les jeunes qui viennent sans chercher un emploi précis, mais qui regardent plutôt là où ils seront le moins mal..."
Au-delà des jeunes, lui regrette que les parents ne se soient pas déplacés non plus pour les accompagner.
"Si on laisse un jeune comme ça tout seul, en lui disant va à la pêche là-bas, il y a des adultes, le gamin il a peur, il est timide, il ne sait pas s’engager, il ne sait pas ce qu’il veut faire, et après il va raconter seulement ce qu’il a compris à ses parents. Résultat, la journée est passée, est-ce qu’après ils auront le courage de faire quelque chose de ce qu’ils ont vu ici… C’est plus long. Je pense que les parents doivent venir pour aider les enfants, les accompagner."
Une nouvelle vision du travail
Pour Xavier Luciani, directeur du centre de formation de Haute-Corse, c'est aujourd'hui le rapport même des jeunes au travail qui a considérablement évolué.
"Il y a des secteurs d’activité dans lesquels cela fonctionne très bien, comme préparateur en pharmacie, et d’autres, comme les secteurs d’activité manuelle, où c’est plus compliqué. Je ne pense plus que ce soit un problème de valorisation ou de présentation, je pense qu’il y a un rapport des jeunes au travail qui a changé sur ses dernières années. Quelque chose qui fait que le travail reste important, mais le bien-être l'est aussi, détaille-t-il.
"Plutôt que de se lancer corps et âme dans la définition d'un projet professionnel, j'ai le sentiment qu'ils se donnent le temps."
Une évolution qui appelle, lance-t-il, à de nouvelles réflexions quant aux manières de promouvoir divers corps de métiers qui s'en trouvent, de fait, délaissés.