Prix des biens toujours à la hausse, taux d'intérêt des crédits immobiliers qui s'envolent : le pouvoir d'achat immobilier des Corses a considérablement baissé l'année dernière. Une tendance qui devrait à priori se poursuivre pour quelques mois encore, avant une régulation du marché immobilier.
Un presque parcours du combattant. Huit mois maintenant que Pierre*, salarié dans une entreprise insulaire, recherche activement un bien immobilier pour s'installer dans le centre-ville bastiais.
L'objectif : trouver un logement d'une superficie minimale de 50 m2 dans l'ancien, pour un budget compris entre 180 et 200.000 euros, frais de notaire et éventuels travaux de rénovation compris.
Problème, malgré des heures de recherches minutieuses et une dizaine d'appartements visités, le jeune homme, âgé d'une vingtaine d'années, reste pour l'heure bredouille. En cause ? Des offres trop peu nombreuses, en dehors de tous ses critères, ou surtout, trop chères.
Une situation qu'il estime s'être aggravée au cours de la dernière année. Au point de rendre le marché de l'immobilier quasi inaccessible pour les acheteurs "qui ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour accéder à la propriété. Et peut-être même plus particulièrement encore pour les jeunes dont je suis, et qui aspirent pourtant à travailler sur leur île."
Trop peu, trop cher
Le constat est sans appel : pour Pierre, comme pour tous, l'achat d'un bien immobilier s'est complexifié depuis le second trimestre 2022.
Une tendance bien relevée par les professionnels du secteur. "C'est à partir de là que nous avons commencé à constater des prix hyper élevés, comme on ne les avait jamais vus, et très peu de biens à la vente", indique Hubert Marchetti, co-directeur de l'agence 123webimmo, installée place Dominique Vincetti, à Bastia.
Des prix hyper élevés, comme on ne les avait jamais vus, et très peu de biens à la vente
Hubert Marchetti, co-directeur d'agence immobilière
En parallèle de l'envolée des prix de l'immobilier est venue s'ajouter une autre difficulté pour les acheteurs : l'explosion, cette fois, des taux des crédits immobiliers sur toutes durées, en particulier plus de 20 ans.
Ainsi, selon les données de la Banque de France, le taux moyen d'intérêt (toutes durées) d'un crédit est passé de 1,12% en janvier 2022 à 2,04% en décembre 2022.
Le boom des taux d'intérêts des crédits
Pasquà, 27 ans, en a fait la mauvaise expérience. Depuis l'an dernier, il cultive le projet d'achat et de rénovation d'une maison, en bâtissant notamment une extension et une petite serre extérieure sous cloche. En janvier 2022, il se rend auprès de son conseiller bancaire pour négocier un prêt.
Le jeune homme se voit proposer une somme d'environ 125.400 euros, remboursable sur 25 ans, pour un taux d'intérêt d'alors 1,46%, et des mensualités de 483 euros. L'achat traîne, et Pasquà retourne finalement ce début d'année 2023 à sa banque pour réaliser un nouveau devis.
Douche froide pour le jeune homme : avec un taux d'intérêt présenté de 3,45%, impossible pour lui d'emprunter l'intégralité de la somme initialement prévue, faute de dépasser les taux d'endettement autorisés. Plutôt que 125.400 euros, c'est donc près de 122.800 euros qu'il pourra demander, à raison de mensualités de 584 euros.
Soit 101 euros de plus par mois à rembourser qu'un an plus tôt, et donc 30.300 euros supplémentaires à débourser au total (sans prendre en compte une renégociation future possible). Un surplus conséquent dont Pasquà se serait bien passé.
Des prêts toujours plus difficiles à décrocher
Aux acquéreurs contraints de prendre un prêt moins avantageux font face ceux, de plus en plus nombreux, qui s'en voient tout simplement refuser l'octroi. "On enregistre de vraies difficultés sur ce point depuis le deuxième semestre de 2022, qui se poursuivent au premier semestre 2023", précise ainsi Muriel Negroni, courtière au sein de l'agence Ymanci Bastia.
La faute, détaille-t-elle, à une augmentation continue des taux de crédits immobiliers, quand les taux d'usure - qui correspondent au taux d'intérêt maximum légal que les établissements de crédit sont autorisés à pratiquer lorsqu'ils accordent un prêt -, sont eux restés très bas.
Même si le reste à vivre est important, la plupart des banques se trouvent limitées dans leur production de prêts immobiliers.
Muriel Negroni, courtière
"Quand on accorde un prêt immobilier, deux facteurs principaux rentrent en compte : le taux d'endettement [c'est à dire le rapport entre le revenu mensuel de la personne qui emprunte et ses charges financières mensuelles], et le reste à vivre."
Or, au début de l'année 2022, le haut conseil de stabilité financière - chargé de veiller à la stabilité financière en France -, "a donné consigne aux banques de ne pas laisser les clients dépasser les 35% d'endettement. Auparavant, pour les personnes qui avaient un revenu élevé, disons 10.000 euros par mois, on pouvait allégrement dépasser ce taux, et même atteindre les 50%. Mais désormais, même si le reste à vivre est important, la plupart des banques se trouvent limitées dans leur production de prêts immobiliers."
Un détail confirmé par ce banquier de la région bastiaise. Lui indique refuser de plus en plus, depuis quelques mois, des prêts immobiliers faute de revenus "très solides".
Au point de ne presque plus pouvoir en accorder du tout. "De toute manière, les prêts que nous proposons ne sont pas particulièrement avantageux... Mais les clients qui les ont les acceptent généralement quand même, de peur que la situation continue d'empirer."
L'attente d'une régulation prochaine du marché de l'immobilier
Reste tout de même une lueur d'espoir : agent immobilier, courtière et banquier l'assurent, toutes les analyses semblent pointer vers une amélioration prochaine et progressive de la situation, dès la fin du premier semestre 2023.
Les offres vont devenir de plus en plus nombreuses et donc plus concurrentielles, ce qui va permettre aux acheteurs de négocier et donc d'obtenir des baisses des prix.
Hubert Marchetti, co-directeur d'agence immobilière
"Avec la hausse des taux des crédits, et la hausse des prix des biens, les gens achètent moins, glisse Hubert Marchetti, l'agent immobilier. C'est une tendance que l'on note depuis septembre. Résultat, les offres vont devenir de plus en plus nombreuses et donc plus concurrentielles, ce qui va permettre aux acheteurs de négocier et donc d'obtenir des baisses des prix."
En clair, la hausse des taux de crédits devrait permettre, à moyen terme, une régulation du marché de l'immobilier. "Ce n'est pas encore quelque chose que les acheteurs ont pu constater, parce qu'il est trop tôt. Pour l'heure, nous pouvons dire que nous sommes sur un plateau : les prix ne montent plus, et ne descendent pas encore, mais le mécanisme pour qu'ils descendent est activé."
Un taux d'usure trimestriellement réévalué
Du côté de l'accord des banques de crédits immobiliers, la situation devrait également s'améliorer dans les prochains mois, rajoute Muriel Negroni, courtière. Cela, notamment, avec le relèvement du taux d'usure, réévalué tous les trimestres, et déjà "légèrement" remonté en janvier.
En l'attente, la courtière conseille néanmoins à ses clients qui ont obtenu un prêt, et peuvent donc faire passer leur dossier, de ne pas tarder pour autant.
"On a une idée des tendances, mais on ne sait jamais vraiment exactement ce qu'il va se passer. De toute manière, la tendance est à la hausse pour les taux. Mes clients n'ont pas forcément à y gagner de patienter encore quelques mois."