Le procès du cambriolage d’un couple de septuagénaire à leur domicile de Corbara, en mai 2017, se déroule depuis lundi aux assises de la Haute-Corse. Les audiences sont prévues pour prendre place sur huit jours. Cinq hommes sont accusés de vol et séquestration dans ce dossier.
Droit face à la cour et la voix posée, Jean-Pierre Romani l’affirme sans hésiter : le souvenir de son agression et de son cambriolage, le 26 mai 2017, "jusqu’à la mort, je ne pourrai pas l’oublier".
Appelé à témoigner dans le cadre de cette deuxième journée de procès à la cour d’assises de Haute-Corse, mardi 30 novembre, le septuagénaire a tenu à se tourner vers les accusés avant de commencer son récit des faits. Pas nécessairement pour s’adresser à eux, indique-t-il, mais pour "les regarder dans les yeux".
"Je veux qu’ils sachent tout le mal qu’ils nous ont fait, à ma femme, à moi et à ma famille. On ne vit plus de la même façon. Ils nous ont volé notre joie de vivre. Et je pense aux parents de ces garçons qui doivent souffrir aussi."
Je veux qu’ils sachent tout le mal qu’ils nous ont fait, à ma femme, à moi et à ma famille.
Assis derrière lui, les cinq accusés gardent la tête baissée tout au long qu'il déroule ce qui lui est arrivé, ce matin-là.
"Comme tous les jours, je me suis levé à 6h, j'ai petit-déjeuné, et arrosé mes plantes. Et puis autour de 8h, je suis descendu de chez moi vers mon Berlingo [le véhicule de la victime, ndlr], quand j'ai entendu du bruit. Je me retourne, et je vois 3, peut-être 4 individus avec deux fusils sciés et un revolver. On m'a poussé, et puis on m'a donné des gifles et des coups de pied."
"Ils m'ont dit : on sait que tu as du pognon dans la maison"
Les cambrioleurs le font rentrer dans son domicile. "Ils m'ont dit : on sait que tu as du pognon dans la maison. J'ai dit : c'est normal, je suis commerçant."
Sous la menace, Jean-Pierre Romani est contraint de dévoiler la cachette de plusieurs enveloppes d'argent qu'il avait prévu de déposer plus tard en banque. "À un moment, je me suis retrouvé par terre, et ils ont voulu me couper le petit doigt, se souvient-il. Ils m'ont attaché les mains et bandé les yeux et la bouche, et puis l'un d'entre eux a certainement dit : "On s'en va". Ils m'ont aspergé d'un produit, j'ai demandé : "Qu'est-ce-que vous faites ? Qu'est-ce-que vous faites ?" et ils sont partis."
C'est très dur parce que si j'avais eu 30 ans, je me serais défendu, mais j'en avais 71, qu'est ce que je pouvais faire ?
Au total, plus de 10.000 euros ont été dérobés par les cambrioleurs. L'attaque aura duré un peu moins de dix minutes. Une éternité pour le commerçant. "J'en souffre encore jour et nuit. Je suis traumatisé, et je suis suivi par un psychologue, je prends des médicaments", souffle Jean-Pierre Romani. "C'est très dur parce que si j'avais eu 30 ans, je me serais défendu, mais j'en avais 71, qu'est ce que je pouvais faire ?"
Seul réconfort pour l'homme : que sa femme ait pu se cacher lors de l'agression. "Elle a eu beaucoup de chance, et eux aussi, parce que s'ils s'étaient attaqués à ma femme, j'aurais pu disjoncter."
"J'excuse, mais je ne pardonne pas"
"Ces individus qui rentrent chez vous et en veulent à votre argent, l'interroge Thierry Jouve, président de la cour d'assises, vous avez l'impression qu'ils ont eu des informations sur où le trouver auparavant ?" "Non, pas du tout", répond le septuagénaire.
Quatre ans et demi après les faits, Jean-Pierre Romani indique avoir "excusé" quatre des accusés, qui sont venus lui présenter leurs regrets, lors de la reconstitution survenue au cours de l'enquête. "J'ai dit bien sûr je vous excuse, mais je ne pardonne pas. Parce que ce que vous avez fait, c'est très grave", finit-il en se retournant vers les accusés.
Ce qu'il attend de ce procès, affirme-t-il à l'avocat général, Frédéric Metzger, "c'est que justice soit faite". Tout simplement.
Tous pénalement responsables
Le témoignage de la victime est intervenu en conclusion d'une longue journée d'auditions de témoins.
Premier appelé à s'exprimer : le docteur Christian Jullier, auquel avait été confié l'analyse du profil psychiatrique des cinq accusés. Un rendez-vous effectué à distance, par vidéo, et dans un timing restreint, le psychiatre étant attendu à la suite auprès de la cour d'assises de Nice. À la grande exaspération de Thierry Jouve, qui se dit "frappé de consternation".
Le docteur est formel : aucun des cinq accusés ne présente de troubles psychiatriques, psychologiques ou physiques susceptibles d’altérer leur perception ou leurs actions. Ils sont donc bien tous pénalement responsables.
Il précise que quatre d’entre eux ont reconnu faire usage ou avoir fait usage de drogues, à savoir, dans la grande majorité des cas, du cannabis. Seule exception : Anthony Rutily, qui assure ne pas être consommateur.
Tous ont "un bon parcours scolaire" et possèdent des diplômes, relève le psychiatre. Interrogés sur le motif du cambriolage, tous, hormis Andréa Gagliano qui nie les faits, ont indiqué "avoir fait ça pour l’argent", et pour la drogue pour certains.
Un certain "manque d’empathie"
Pour deux d’entre eux, Anthony Rutily et Andréa Gagliano, l'expert en psychiatrie pointe un certain manque d’empathie. Pour le premier, il s’appuie ainsi sur le récit du jeune homme de son accident de voiture survenu début avril 2018 et dans lequel l’un de ses amis a perdu la vie.
Anthony Rutily, qui était au volant du véhicule et sous emprise de l’alcool, a été condamné dans cette affaire pour homicide involontaire et blessures volontaires. Une peine qu’il purge en ce moment au centre pénitentiaire de Borgo.
"Lors de l’entretien [réalisé quelques jours seulement après l'accident, ndlr] Anthony Rutily a exprimé des inquiétudes pour sa petite-amie, gravement blessée, sans parler de la personne décédée", relève le docteur Jullier.
Quant à Andréa Gagliano, s’il affirme ne pas avoir participé au cambriolage, il n’a pas non plus exprimé un soutien ou une prise en compte de la souffrance des victimes, le couple Romani, précise le psychiatre.
Le cambriolage, "une honte", "une grosse bêtise"
Sur les quatre personnes qui ont reconnu leur participation au cambriolage, toutes ont exprimé des remords lors de leur enquête de personnalité, indique le docteur.
"C’est une honte, je n’ai pas attendu d’être en prison pour penser ça", a ainsi affirmé Anthony Rutily auprès du praticien, "c’est du n’importe quoi d’avoir fait ça, je le réalise maintenant", pour Jean-Baptiste Gaffory.
C’est un acte inhumain.
"C’est un acte inhumain", a estimé Maxime D’Oriano, quand Jean-Gabriel Del Piero a qualifié cet acte de "grosse, grosse bêtise". Andréa Gagliano, interrogé sur ce point, a de son côté indiqué trouver cela "assez cocasse de [se] retrouver là alors [qu'il] n’a rien fait".
L'ombre d'un commanditaire
Après le psychiatre fait suite l’adjudant-chef Alexandre Laurent, directeur d’enquête à la section de recherche de Corse, en charge du dossier depuis septembre 2018.
Après un rappel des faits et des conclusions de l’enquête préliminaire - au cours desquels il confirme notamment que l’exploitation des images de vidéosurveillance indique bien la présence de cinq hommes le jour du crime, quatre cambrioleurs et un conducteur -, le gendarme est questionné sur des "négligences" dans le dossier d’enquête dénoncées par plusieurs avocats de la défense.
L’insuffisance des recherches menées sur l’existence d’un possible commanditaire du cambriolage, notamment, estime Me Pierre Bruno, conseil d’Anthony Rutily.
Le nom d'un suspect est bien mentionné, un temps, dans le dossier d’enquête. Mais la piste est abandonnée, précise le directeur d’enquête, car basée sur des suppositions sans fondements. Il s’agit d’une personne "connue en Balagne", qui dispose d’un certain rayonnement dans la micro-région, et mise en examen, entre autres, dans le cadre d’un trafic de stupéfiants.
"Mais dans le dossier, rien ne permet d’approcher [cette personne] de cette affaire hormis son nom qui traîne dans la rue ?", résume l’avocat général, Frédéric Metzger. Non, confirme l’adjudant-chef Alexandre Laurent.
"Il manque quelqu’un à la barre aujourd’hui"
Une réponse qui ne satisfait pas Me Pierre Bruno. La personne en question, souligne-t-il, était à l’époque visée par plusieurs enquêtes de la juridiction interrégionale spécialisée de Marseille. Toutes les pistes la concernant n’ont pas été suffisamment étudiées, insiste le conseil, qui donne pour exemple une ligne téléphonique du possible commanditaire dont il a la connaissance et qui n’a pas été vérifiée par les services d’enquête.
La théorie d’un commanditaire est également soutenue par l’accusation : "Je suis d’accord avec vous, il manque quelqu’un à la barre aujourd’hui", intervient l’avocat général.
Les débats autour de ce point se poursuivent avec le témoignage de Laurent Loyer, chef de groupe de la section de recherche de Bastia, qui intervient en qualité de substitut de l’ancien chef d’enquête dans ce dossier, indisposé.
Lors de son audition, il a expliqué que le cambriolage avait été fait à la demande d’une autre personne.
C'est l'un des accusés, Jean-Baptiste Gaffory, qui affirme le premier face aux enquêteurs l’existence d’un commanditaire, indique le chef de groupe. "Lors de son audition, il a expliqué que le cambriolage avait été fait à la demande d’une autre personne, et qu’un repérage dans cet objectif avait été effectué la veille des faits."
Début mai 2018, poursuit-il, les enquêteurs interceptent deux conversations téléphoniques de la mère de Maxime D’Oriano qui font mention du nom du potentiel commanditaire. Celle-ci recherche des photographies et informations le concernant, précise Laurent Loyer.
"La piste de ce commanditaire vous parait-elle raisonnable ?", interroge le président de cour Thierry Jouve. "Oui, c’est une possibilité".
Ce mercredi 1 décembre, Olga Romani, qui s'est comme son époux et son fils constituée partie civile, devrait à son tour être appelée à témoigner du déroulé du cambriolage et des séquelles dont elle souffre depuis.
Les auditions de nombreux autres témoins sont également au plan d'audience. Le procès d’assises est prévu pour se tenir jusqu’au mercredi 8 décembre.