La madone de Brando, un chef d'œuvre de la peinture du XVIe, bientôt de retour en Corse ?

Le tableau, après avoir passé plus de trois siècles dans le Cap Corse, était détenu depuis 1839 par une illustre famille de collectionneurs lyonnais. Le 31 mars, il sera vendu aux enchères. La Fondation du patrimoine et la Collectivité de Corse ont lancé une collecte pour racheter l'oeuvre et la faire revenir dans l'île.

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En 1837, Albin Chalandon, capitaine dans le génie militaire, et héritier d'une riche famille lyonnaise, sillonne la Haute-Corse. On ne connaît pas la raison de la présence du jeune homme sur l'île. Mais Albin Chalandon, âgé de 28 ans à peine, est déjà féru d'art pictural, et particulièrement des œuvres des Primitifs italiens, précurseurs de la peinture de la Renaissance.  

Dans les notes qu'il a rédigées au moment de sa visite du Cap Corse, il évoque la découverte du tableau La vierge en trône tenant l'enfant, entourée de quatre anges musiciens, "dans la chapelle d'un couvent franciscain du voisinage de Brando. Il est probable qu'il ait été offert comme ex-voto par quelque négociant génois", suppose-t-il. Le Lyonnais parle en fait du couvent Saint-François, à Castello. 

Invisible pendant près de 200 ans

Sur un panneau de peuplier, deux peintres florentins installés en Ligurie ont représenté la Vierge, installée sur un trône d'or. Sur sa cuisse gauche, l'Enfant, tenant dans ses mains un chardonneret, symbole de la Passion. Dans des niches, à droite et à gauche du trône, deux anges, jouant de la harpe, ou frappant un tambourin. Au pied de la Vierge, deux autres anges jouent du luth et du rebec, une sorte de vièle. 

Séduit par ce tableau, qui surprend par sa facture, indéniablement enracinée dans la tradition vénitienne gothique, et pourtant moderne dans sa manière de représenter les corps au tournant du VXIe siècle, Albin Chalandon décide d'en faire l'acquisition. Ce sera chose faite deux en plus tard, en 1839, avec l'accord de l'évêque d'Ajaccio. 

Depuis, l'œuvre de Simone da Firenze et Rocco Di Bartolomeo était restée à l'écart des regards, dans la prestigieuse collection privée de la famille Chalandon, au côté du tableau de Fra Angelico intitulé Rencontre de Saint François et Saint Dominique, du Calvaire signé Jean de Beaumetz, ou encore des différentes scènes de la vie de Saint François que l'on doit au Siennois Sassetta

De manière extrêmement précautionneuse, certaines de ces œuvres ont fait leur apparition sur le marché de l'art, au cours du siècle dernier, et sont désormais exposées dans les plus grands musées du monde, du Louvre à la National Gallery de Londres. 

La corse sur les rangs

C'est au tour de celle que l'on connaît désormais mieux sous le nom de Madone de Brando de faire son apparition dans les catalogues de marchands d'art. Le retable sera mis en vente aux enchères par l'étude de Baeque et Associés, le 31 mars prochain, à Drouot. Et sur la trentaine de tableaux mis en vente en mars, seuls 3, signés des grands maîtres Pensionante Del Saracini, Chardin et Brueghel le Jeune, sont estimés à un prix plus élevé que La Madone de Brando

Selon les experts, le tableau de Firenze et Bartolomeo devrait se négocier entre 200.000 et 300.000 euros lors de la vente chez Drouot. 

Pour Michel Vergé-Franceschi, historien de renom qui a longuement travaillé sur le Cap Corse, dont sa famille est originaire, cela ne fait aucun doute : "l'œuvre doit appartenir à la Corse. Elle a été commandée part la Corse en 1500, elle est restée 350 ans dans cette seigneurie de Brando". Mais pour cela, il faudra avoir les reins solides financièrement...

L'auteur de Le Cap Corse, Généalogies et Destins estime que "l'Etat doit préempter, et ensuite donner une certaine sommer à la CTC, qui, après l'acquisition de l'œuvre, l'attribuera à un musée de Corse, dont elle enrichira les collections"

En vertu de l'article L123-2, l'état peut effectivement "exercer son droit de préemption à la demande et pour le compte d'une collectivité territoriale ou d'une personne morale de droit privé sans but lucratif propriétaire de collections affectées à un musée de France". En clair, ce droit permet à l'Etat de se porter acquéreur en lieu et place de l'acheteur dans le cadre d'une vente. 

Nous avons déjà provisionné entre 300.000 et 400.000 euros

Antonia Luciani, CdC

Du côté de la Collectivité de Corse, on suit le dossier depuis la fin de l'année dernière. Mais si la CdC veut acquérir le retable, elle n'envisage pas pour autant de faire appel à l'Etat, comme nous l'explique Antonia Luciani, conseillère exécutive en charge de la culture et du patrimoine : "le droit de préemption n'est pas obligatoire. Nous allons tout simplement prendre part à la vente aux enchères. Nous avons déjà provisionné entre 300.000 et 400.000 euros. Et en parallèle, la Fondation du patrimoine lance une campagne pour solliciter un mécénat populaire, pour nous donner toutes les chances de remporter l'enchère". 

La collecte est désormais lancée jusqu'à fin mars. "Le concours de tous est primordial pour espérer voir l'oeuvre rentrer chez elle, indiquent dans un communiqué la délégation régionale Corse de la Fondation du patrimoine et la CdC. Chacun, selon ses moyens, peut être acteur de ce sauvetage. Il n’y pas de petit don, il n’y a que des mécènes."

Le 23 décembre 2019, déjà, la Collectivité de Corse avait procédé de la sorte pour faire l'acquisition du tableau Paysage Corse - Le Scoud, d'Henri Matisse, pour la somme de 180.000 euros, à Drouot. L'œuvre a depuis rejoint les collections du musée de la Corse. De bon augure pour les enchères du 31 mars prochain. 

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