L'Alba a sorti son sixième disque, Grilli, tout entier conçu autour d'un texte de Ghjuvanfrancescu Mattei, autour duquel les autres membres du groupe ont laissé vagabonder leur imagination. Le résultat, un album dense et ambitieux, qui confirme la soif de liberté dont fait preuve l'Alba depuis sa création, il y a près de vingt ans.
Il y a trois ans, l'Alba sortait son cinquième album, À Principiu. Un titre qui sonnait comme un nouveau départ pour un groupe qui n'a jamais hésité à se réinventer, en empruntant des chemins parfois audacieux.
Grilli, leur dernier disque, confirme cette soif de liberté créatrice. Bâti autour d'un texte originel, écrit par Ghjuvanfrancescu Mattei, c'est un concept album mêlant chansons, paghjelle, berceuse et récits, au fil de 19 pistes, qui forment un tout d'une grande force et d'une rare poésie.
"L'Alba est un vieux groupe de jeunes", sourit Ghjuvanfrancescu Mattei. "Le groupe existe depuis une vingtaine d'années. On sait pourquoi on fait de la musique, on sait ce qu'on a à dire, et on avance comme ça. On veut, bien sûr, toucher les gens, mais on ne pourrait pas proposer une musique qui ne nous plaît pas".
Entretien
D'où vient le titre de ce nouvel album, Grilli ?
Lors de la tournée qui a suivi la sortie d'À Principiu, on a tourné pour soutenir le disque, en Corse et au-delà, en France et en Europe. On était beaucoup sur les routes, d'une ville à l'autre, et l'on commence à réfléchir à la suite, au fil des discussions. C'est là que j'ai écrit le texte I grilli.
Il m'a été inspiré par bruit du grillon, qui est pour nous la bande originale des nuits en corse. C'est également un repère temporel, presque, dans la journée, et même dans l’année. C’est un peu la même chose pour nous, les musiciens, qui faisons beaucoup de bruit en été, et beaucoup moins en hiver.
Un aria troppu freta Per I grilli di lugliu. In i sguardi, luntana. Per di fin' chè no simu, Tutti insemme, Quelli chi discetanu u sole.
Alba
C'est un point de départ original... Comment on en fait un disque?
J'ai donné I grilli à tous les membres du groupe, et je leur ai demandé de réfléchir à ce que cela leur inspirait. D'écrire un texte, une mélodie... On est un groupe et on est conscients qu'il n'y a jamais un regard unique sur une même situation. C'était un bon moyen d'illustrer par la création cette manière de penser.
Il n'y a pas le risque, dans ces cas-là, d'être frustré, quand on est l'auteur original ? Le risque que d'autres empruntent des chemins qu'on n'avait pas envisagés ?
De la surprise, oui. De la frustration, non. Et puis, ces propositions, ce n'était qu'une étape, pas une finalité. On a fait des choix, et c'est ensuite que le travail du groupe a vraiment débuté. On s'est réapproprié ce qui nous avait été proposé. Ça provoque des discussions infinies, mais le chemin se fait toujours de manière collective !
Grilli est un vrai concept album, pas juste un disque qui brode autour d'un même thème. La construction est très élaborée, il y a une vraie architecture...
On a vraiment voulu raconter quelque chose, chaque élément du disque répond à un autre, lui fait écho, de manière plus ou moins évidente. Dans l'idéal, il faudrait écouter l'album dans l'ordre, la première fois, afin de le découvrir tel qu'il a été pensé.
C'est gonflé, en 2025...
C'est un pari, c'est vrai, à contre-courant des tendances actuelles, avec le streaming, les vidéos, l'écoute aléatoire... Pour autant, on avait besoin d'aller dans cette direction, et puis on fait confiance aux auditeurs. Pour ceux qui voudront en savoir plus, il y a le livret du disque, ou le site, sur lequel on propose les textes, les traductions, et des clés pour entrer complètement dans l'œuvre. Mais rien n'empêche ensuite de picorer. Les gens choisiront les chansons qu'ils aiment, et elles vivront leur propre vie.
Ce mardi 14 janvier, vous jouez au Studio de l'Ermitage, à Paris, avant une tournée en Corse et en Europe dont les dates vont être bientôt connues. Comment vous allez faire pour être fidèle à Grilli, sur scène ?
On doit à notre public de jouer les morceaux qu'ils attendent, mais on réfléchit aussi à la manière dont on pourrait réussir à ne pas renoncer au concept de l'album. Le concert devrait commencer par le texte que lit Natale Valli sur Grilli, afin de mettre le spectacle dans cette ambiance-là. Et puis il y aura aussi les sous-ensembles musicaux qui définissent les différentes parties du disque, celui qui fait référence au cabaret corse, celui qui rappelle l'Orient, ou encore l'Afrique...
De ce point de vue, votre public ne sera pas déçu. Une fois de plus, la musique de l'Alba est fortement métissée...
La base du travail de l'Alba, ce sont le chant traditionnel et la langue corse. Mais on a toujours voulu explorer autre chose, tout en s'appuyant sur cette identité, cette culture. On s'est affranchi, comme d'autres groupes de notre génération, mais c'est le cas aussi dans la littérature insulaire, des codes du XXe siècle.
Comment on parvient à ne pas être noyé par toutes ces influences ?
On est vigilants à ce sujet. Pas question d'être un groupe qui va chanter de la musique du Mali en langue corse. L'idée, c'est plus de s'imprégner de ces musiques de Méditerranée, de les fusionner... Le fado, la musique soufie, la musique napolitaine, ont toute leur singularité, mais elles ne sont pas si différentes de la paghjella. On est conscients de ces similitudes, et on va flirter avec.
Pour, au final, proposer notre musique à nous.
Grilli est sur les plateformes, il est disponible en CD, mais un vinyle est également en préparation... Pourquoi ?
On croit en l'objet physique. Mais on a également voulu remercier les personnes qui continuent d'acheter des disques, à l'époque où tant de musique est devenue gratuite. À l’intérieur du disque, il y aura une carte postale, avec un QR code, qui offrira un contenu exclusif, des vidéos, des chansons qui ne seront pas sur le vinyle, les coulisses de la création de Grilli. Et au fur et à mesure, on l'alimentera.
Le lien avec le public est-il plus important que jamais, pour les artistes ?
Les ventes de disque, aujourd'hui, ne sont plus vraiment un baromètre. La manière de consommer la musique n'est plus la même. Mais ce qui ne change pas, c'est la relation entre un artiste et son public. Notre public nous suit, nous est fidèle, on l'a encore vu avec le concert de ce soir à Paris, qui est complet. Tout ça, ça nous engage vraiment.
Les gens ont besoin de musique, ils ont besoin de spectacle vivant. Et on se doit de leur en proposer, régulièrement. On est là pour leur raconter une histoire. Et ça fait vraiment du bien.
De l'écrire, et de la raconter.