Saint-Florent : un projet immobilier à proximité à la cathédrale de Sainte-Marie fait polémique

Un terrain de 3500 m2 pour six villas qui "respirent le luxe et la sérénité" : à Saint-Florent, un programme immobilier, prévu à une centaine de mètres seulement de la cathédrale du Nebbiu, est depuis plusieurs jours la source de polémiques. Des indignations dont se défendent le maire de la commune et le promoteur.

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Six villas de prestige, nichées dans une résidence au cœur "de la pittoresque ville de Saint-Florent", à quelques minutes de marche seulement du centre-ville, et offrant à ses résidents "une retraite paisible à deux pas de l'effervescence urbaine".

Sur le papier - et surtout dans les communiqués descriptifs de l'agence immobilière Auxiliam, en charge de la mise en vente des demeures -, le projet, "qui respire le luxe et la sérénité", semble avoir tout pour plaire. Mais sur les réseaux sociaux et parmi les habitants de Saint-Florent, l'enthousiasme n'est pas forcément partagé.

Le nœud du problème : l'emplacement de ce nouveau programme immobilier, baptisé "Les Jardins de la Cathédrale". Installée sur un terrain de 3500 m2, la résidence se trouvera à une centaine de mètres seulement de la cathédrale Sainte-Marie du Nebbiu, soit à proximité quasi immédiate d'un bâtiment pourtant classé monument historique depuis le XIXe siècle. Plus encore, le terrain de construction établi est directement situé sur un espace connu dans la région comme l'ancienne vigne de l'évêché, et où subsistent encore une douzaine de piliers.

"Qui a osé valider un tel projet ?"

Une décision incompréhensible pour certains. "C'est un des joyaux du patrimoine des jardins de l'île qui va être loti", soupire cette internaute, quand une autre se questionne : "Pourquoi autorise-t-on la construction de villas de luxe à quelques mètres à peine d'un joyau architectural ?", se désole cette internaute, et "comment est-il possible que sur le Padduc ce terrain soit constructible ?". "La vigne de l'évêque aux abords de la cathédrale romane du Nebbiu sera transformée en vulgaire parking de lotissement, déplore ce troisième. Dans n'importe quel autre pays autrement gouverné que par la bêtise et l'ignorance, cela aurait été sauvegardé et valorisé.

Une indignation dont se sont également saisis plusieurs personnalités insulaires. "La bétonisation d'une enclave pour riches sur un terrain agricole, reproche l'ancien directeur de cabinet du président de l'Assemblée de Corse (2015-2021) Sébastien Quenot. Une ancienne vigne condamnée à disparaître à jamais pour des profits inconsidérés et des résidences secondaires inaccessibles aux Corses. Hâtons-nous de détruire la beauté de la Corse."

Car outre l'emplacement de la résidence, c'est aussi la superficie - et le coût - de ces "villas de prestige", mises en vente pour des montants allant de 780.000 à 950.000 euros, qui sont vivement critiqués. "Des villas de 155 m2 à 950.000 euros, certainement pour loger des jeunes de San Fiurenzu, ironise Agnès Simonpietri, ancienne conseillère exécutive chargée de l'environnement (2015-2017). Qui a osé valider un tel projet ?"

Un programme immobilier "inapproprié et contraire à notre vision du développement de la Corse"

Core in Fronte pointe en premier lieu la responsabilité de l'Etat. "Pourquoi les services de l'Etat ont-ils octroyé ce permis de construire à quelques dizaines de mètres d'une cathédrale médiévale ? Pourquoi dénature-t-on l'objet premier de ce terrain qui était agricole ? Pourquoi les bâtiments de France n'ont pas été exigeants sur ce projet au regard de la présence de la cathédrale ? Pourquoi la mairie de San Fiurenzu n'a-t-elle jamais établi de ZAD autour de la cathédrale, en vue de la mise en place d’un PLU et de pouvoir préempter ?"

"Il est de plus en plus insupportable de constater que le moindre mètre carré de terre est soumis, aujourd'hui, à la spoliation et à la force de l'argent."

Core in Fronte

Le mouvement indépendantiste estime même qu'à travers "cet énième projet immobilier se pose la question du projet de société que nous voulons pour la Corse de demain. Il est de plus en plus insupportable de constater que le moindre mètre carré de terre est soumis, aujourd'hui, à la spoliation et à la force de l'argent. Dans un contexte où de nombreux Corses ne trouvent plus à se loger à des prix décents et où la mise en valeur du patrimoine historique est primordiale, Core in Fronte considère ce programme immobilier comme inapproprié et contraire à notre vision du développement de la Corse."

"Dans un contexte de spéculation foncière et immobilière effrénée, de bétonnisation croissante et de dépossession des Corses de leur terre, la nature et l’emplacement de ce programme interpellent à plus d’un titre", écrit de son côté Femu a Corsica.

"Comment se fait-il que ce terrain soit constructible malgré son hyper-proximité avec la cathédrale du Nebbiu, classée monument historique ? [...] La dénaturation d’un tel site paraît inacceptable pour la société que nous voulons bâtir, à plus forte raison pour un projet qui ne s’adressera qu’à une poignée d’individus étrangers aux intérêts de la Corse", accuse le parti autonomiste.

"J'ai découvert la construction seulement une fois que les engins étaient sur les lieux"

Un programme immobilier décrié même au sein de l'opposition municipale de Saint-Florent : "Comment la commune, les bâtiments de France, et la DDTM ont-ils pu accepter ça ?", souffle Juliette Ponzevera, conseillère municipale et conseillère territoriale Femu a Corsica.

L'élue assure n'avoir découvert que très tard l'existence de ce projet immobilier, qui n'a "jamais été évoqué en conseil municipal". "Je me promène régulièrement autour des lieux et je n'avais jamais vu de panneaux. J'ai découvert la construction seulement une fois que les engins étaient sur les lieux."

"Quand on connaît les difficultés que rencontrent les gens, notamment les jeunes à se loger dans le village, les prix immobiliers pratiqués, on ne comprend pas comment on a pu autoriser ça. Ce ne sont sûrement pas des gens de Saint-Florent, ou même de la région, qui vont acheter ça. Ce seront encore des maisons destinées à la location touristique et vides 10 mois par an", analyse Juliette Ponzevera.

"Aucun problème", selon le promoteur et le maire

Contacté, le propriétaire de la société "Les Jardins de la cathédrale", qui porte le projet, indique ne pas comprendre la polémique. "Il n'y a pas de classement au patrimoine ni d'aucune manière du terrain, et il n'y a même pas de vignes !", entame-t-il. Preuve en est, poursuit le promoteur du programme immobilier, une étude de l'Inrap, l'institut national de recherches archéologiques préventives, menée l'an passé sur le terrain, et s'étant notamment intéressée aux piliers qui y sont présents.

"Ces ouvrages ne semblent donc pas avoir l'âge qu'on leur prête et n'ont pas connu les épisodes liés à la fréquentation historique de la cathédrale"

Inrap

"L'association de cet ouvrage avec l'ensemble épiscopal a grandement été facilitée par la proximité de tous ces témoins. Il s'avère cependant que plusieurs éléments observés pendant notre rapide enquête n'abondent pas dans ce sens", est-il ainsi écrit dans le compte rendu des recherches. "Un coup d'œil sur le cadastre napoléonien permet d'attester l'absence de ces piliers. Si ces derniers avaient existé, il est plus que probable qu'ils apparaîtraient sur ces plans historiques. D'autre part, deux photographies de secteur datées de 1912 permettent de saisir l'existence d'une unique construction complètement entourée de vignes : il s'agit de la cave Poggi."

Là encore, sur ces clichés pris en mode panoramique, les piliers n'apparaissent pas, note l'Inrap. "La construction de l'ensemble est donc plus tardive", déduit l'étude, qui souligne qu'à contrario, "une vue aérienne datée de 1950 permet de deviner cet aménagement. Ces ouvrages ne semblent donc pas avoir l'âge qu'on leur prête et n'ont pas connu les épisodes liés à la fréquentation historique de la cathédrale". 

Pour le propriétaire de la société "Les Jardins de la cathédrale", il y a dans cette indignation sociale et politique une méconnaissance du "contexte" de l'emplacement. "C'est vrai que c'est un beau terrain. Mais la réalité, c'est qu'il est constructible, et qu'il y avait d'autres personnes qui voulaient comme moi y installer des maisons."

Le projet du programme immobilier date d'il y a trois ans, poursuit-il. Et l'aménagement tout entier a été pensé pour préserver l'environnement du site, assure-t-il. "Les villas seront en pierres, les aménagements extérieurs en pierre sèche... On n'entend absolument pas nuire au terrain, tout est conçu pour le sauvegarder."

"Le Corse, il est condamné à être pauvre, à vivre dans du social ?"

Quant aux acheteurs cibles pour ces habitations, le promoteur est catégorique : "Pourquoi forcément penser qu'on veut les vendre à des personnes du continent ou de l'étranger ? Le Corse, il est condamné à être pauvre, à vivre dans du social ?"

Sur les six villas, trois ont déjà été vendues, indique-t-il. Et les trois l'ont été à des Corses. "Il y a une forte demande à Saint-Florent, on le sait. Et je ne vous cache pas que je favorise des gens qui vont habiter à l'année pour vendre. Après, s'ils le font derrière ou non, je ne peux pas l'assurer. Mais les premiers acheteurs sont des gens de la région."

Le promoteur insiste : de l'achat du terrain, à la conception du programme immobilier, jusqu'au début des travaux, tout a été fait dans la légalité, et il dispose même "de tous les documents pour le prouver.

"Toutes les procédures et tous les délais d'application ont été respectés"

Un point confirmé par le maire de la commune, Claudy Olmeta. "Il y a un permis de construire qui a été déposé le plus normalement possible. Les services de l'Etat ont accordé ce permis, ce n'est pas collé à la cathédrale, l'intégration est bien faite... Toutes les procédures et tous les délais d'application ont été respectés. La DDTM [direction départementale des territoires et de la mer] a donné son accord, l'ABF [architecture des bâtiments de France] aussi."

"Les permis de construire sont affichés en mairie. Je ne comprends pas comment des élus municipaux auraient pu ne pas les voir."

Claudy Olmeta

Le maire réfute fermement tout soupçon ou rumeur d'un projet qui aurait été conçu dans la discrétion pour ne pas avoir à souffrir d'opposition. "Les permis de construire sont affichés en mairie. Je ne comprends pas comment des élus municipaux auraient pu ne pas les voir."

Quant à la taille des habitations, "il y a une constructibilité de 3500 m2 pour six habitations, soit un peu moins de 600 m2 en moyenne par terrain. Cela ne me semble pas excessif pour une villa. Je ne crois pas qu'il y ait de quoi fouetter un chat."

Claudy Olmeta ne commente pas plus en détail le caractère spécifique et historique du terrain. La question de ce programme immobilier devrait néanmoins animer le prochain conseil municipal de la commune, tenu ce vendredi 10 novembre.

Quelle législation autour des bâtiments classés ?

En France, réaliser des travaux en abords des monuments historiques nécessite le dépôt d'une autorisation préalable de l'architecte des bâtiments de France. Aucun périmètre n'ayant été délimité pour la cathédrale de Sainte-Marie, "seuls les travaux sur les immeubles situés dans le champ de visibilité d'un monument historique à moins de 500 mètres de celui-ci sont soumis à l'accord de l'ABF", détaille le ministère de la Culture.

"L’ABF s'assure que les travaux ne portent pas atteinte au monument historique ou aux abords du monument historique. Il s'assure également du respect de l’intérêt public attaché au patrimoine, à l’architecture, au paysage naturel ou urbain, de la qualité des constructions et de leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant", est-il précisé.

C'est le cas ici, le terrain se trouvant à une centaine de mètres seulement du monument. La DRAC, la direction régionale des affaires culturelles de Corse, précise que si l'ABF est consulté pour avis sur la qualité architecturale d'un projet, il n'est pas en capacité de le refuser dans son intégralité dès lors qu'un terrain est constructible, l'accord restant l'apanage du maire de la commune.

Un permis qui a été délivré légalement par le maire, indique la préfecture de Haute-Corse

La commune de Saint-Florent ne disposant pas de plan local d'urbanisme, celle-ci est soumise au RNU, le règlement national d'urbanisme, qui encadre l'utilisation des sols, la construction et l'aménagement du territoire. Les permis de construire y sont donc accordés dans leur finalité par les autorités préfectorales.

Contactée, la préfecture de Haute-Corse a répondu le 10 novembre à nos sollicitations. Celle-ci rappelle que la société "Les Jardins de la cathédrale" a déposé le 6 juillet 2022 un permis de construire. "Dans le cadre de l'instruction de ce permis de construire, les services de l'Etat ont été consultés au titre des abords des monuments historiques et de la loi Littoral. Ce permis ne contrevenait à aucune des deux réglementations. Il a ainsi pu être légalement délivré par le maire."

Un projet qui "aurait dû être refusé", selon U Levante

Une réponse et des critères jugés incohérents par U Levante. Sur son site internet, l'association de défense de l'environnement estime que le projet aurait dû être refusé.

Ainsi, estime U Levante, "sur la forme, en loi Littoral, en commune dépourvue de document d’urbanisme, en continuité du village mais hors des parties actuellement urbanisées de la commune, le dossier devait être présenté en CTPENAF (Commission territoriale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers)", et sur le fond, "le projet étant situé en ESA, et les dispositions du PADDUC relatives aux ESA s’appliquant directement aux projets d’aménagement et de construction en l’absence de PLU ou de CC, le projet aurait pu n’être que refusé, et ce quel que soit l’avis de la CTPENAF."

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