Journal de bord d'une confinée à Ajaccio : à la recherche du temps perdu…

Le confinement généralisé est entré en vigueur en Corse, comme partout en France, mardi 17 mars, à midi. Une de nos journalistes raconte ses journées enfermée chez elle. 

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J’ai été bercée par les bruits des casseroles, appris mon alphabet en regardant pétrir la pâte avant d’être réconfortée aux bons petits plats.
J’ai passé tellement temps dans la cuisine lorsque j’étais enfant, chez mes grands parents, que j’ai un lien affectif avec ce lieu et ce qui en sort. J’adore plus que tout que l’on cuisine pour moi.

Pas de chance, je ne peux compter en ce moment que sur ma propre personne (et un peu sur mon voisin, qui, hier, m’a fait de la brioche).
 

 

Un peu toquée

Depuis le confinement, j’ai donc pour horizon ma cuisine qui donne directement sur le salon.
Vu que mon univers virtuel a l’air de se jouer dans un immense « Top Chef », j’ai décidé de m’y mettre aussi.

En fait, il s’agissait d’abord d’occuper ma tête. J’ai commencé par faire de la pâtisserie, comme un réflexe, parce que j’ai en poche deux, trois recettes que je réussis bien.
Mes classiques je les exécute en un tournemain.

C’est d ‘ailleurs pour cette raison que j’apprécie cette version sucrée de mon répertoire. Dans mon temps de femme pressée, elle est facile à caser.
Dans celui de confinée, elle est navrante. Je me suis néanmoins rendue compte d’une chose : si j’allais naturellement vers les desserts, ce n’était pas pour rien.

Enfant, lorsqu’elle était aux fourneaux, mon arrière-grand mère me laissait souvent l’aider dans la préparation du sucré. Elle m’a ainsi appris très tôt à casser des œufs – œufs qu’elle montait elle-même en neige à la force du poignet - à les faire blanchir et à malaxer la pâte maison dont une partie m’était toujours réservée afin que j’exerce mes doigts à la fabrication.



De ce morceau de passé me reste une gestuelle qui – bien que peu exercée – me revient facilement.
Forte de l’idée d’un potentiel talent héréditaire pour la cuisine, j’ai décidé donc de reprendre le flambeau familiale et d’opter cette fois pour le salé.  
J’ai ainsi affiché d’emblée l’envie de faire un couscous.

Allez comprendre pourquoi le couscous quand toute vie communautaire est prohibée et qu’à moins de six à table ce plat n’a pas la même saveur !
Sans doute une manière de refuser le confinement l’air de rien. Et de retrouver la notion de temps sans le trouver long. J’ai donc sorti la grande batterie de cuisine récupérée dans les placards de ma grand-mère il y a des années… et me suis réappropriée la recette.

J’ai en mémoire l’image de mon aïeule levée aux aurores pour enchainer la rondes des casseroles, tamis et récipients en tous genres. Fatiguée d’avance, j’ai pris l’initiative de tout simplifier.

Et donc d’entamer une séries de tests susceptibles de valider ma nouvelle manière d’envisager la rhétorique d’amour familiale sans la trahir complètement.
Quand on a dû passer par la psychanalyse pour parvenir à se servir d’une cocotte minute sans avoir peur qu’elle explose, le monde est par principe adaptable à ce qu’on est.

Surtout en cuisine !

 


J’ai donc troqué le couscoussier contre une cocotte minute, la viande plus goûteuse contre le poulet que j’avais dans le congélateur et fait le deuil des cœurs d’artichauts affichés dans la liste des ingrédients originels.
Quoi qu’il en soit, j’avais opté pour la cuisson lente. Et j’avais eu raison !

Quand passé le premier tour de chauffe, le Ras el Hanout, les quatre épices et le cumin sont venus se rajouter à la viande et aux légumes, j’avais basculé en enfance.
Et si je n’avais choisi le couscous que pour mieux retrouver ce tissu olfactif propre à me rassurer ?

Que serait mon enfance sans l’odeur du cabri à Noël, du figatellu en hiver, du couscous à Pâque et de la tarte au citron en toute saison ?

Je déteste les odeurs de cuisine (de friture notamment) mais suis la première à faire la réflexion quand je hume l’odeur d’un plat mijoté chez les autres, « hum, ça sent bon dans cette maison ! ». J’espère que ma maison sent toujours bon mais on ne peut pas dire que je la remplis de ces effluves d’amour-là.  Oui, parce la cuisine, c’est de l’amour.
J’en ai tellement reçu de mes grands parents !
 
 

Livre d’amour...

En plein cœur de ce confinement, j’avais besoin de me plonger dans un bain d’affection, alors, forte de ces premières sensations, j’ai ressorti l’indispensable 702 pages (sans compter l’espace de fin réservé aux notes) de Françoise Bernard, « Les recettes faciles ». 

Le livre m’a été offert pour mon anniversaire, l’an passé, par une personne qui me connaît bien, le mot « facile » ayant un pouvoir d’attraction énorme dans ma grille de lecture concernant la cuisine.
Durant longtemps, je n’ai pu faire autrement que fantasmer mes talents de cordon bleu, privilégiant souvent la forme au fond…
Il m’en a fallu de l’imagination pour laisser de mon passage aux fourneaux un souvenir mémorable !  

Les enfants de mes amis peuvent en témoigner, et notamment Camille que j’ai gardée petite et qui s’était fendue d’un poème à mon endroit qui se conclut ainsi : « Et pour terminer, il ne faut rien changer/ Et surtout pas ta délicieuse purée ».
La petite fille qu’elle était à l’époque faisait référence à une purée Mousseline qui avait fait un flop (trop liquide).
Elle oublie cependant là de préciser que les croque-monsieurs cramés – également parmi mes fameux ratés -  nous les dégustions assiettes posées sur le rebord de la piscine, nos corps immergés dans l’eau - ou comment faire primer l’originalité d’une posture pour compenser!

Demandez aujourd’hui à Camille et son frère, si celle qu’ils appellent toujours tendrement « super nounou » n’avait pas du talent ! Je sais trop les liens qu’on tisse une fourchette à la main pour les négliger.

 
 

Recettes de grand-mère

Mon arrière grand-mère disait toujours, « on tient un homme par le ventre ». Elle doit être déçue dans son éternité d’avoir préparé mon trousseau pour rien.
Aujourd’hui, en plein cœur du confinement, je crois que je la retrouve cette arrière grand-mère si rassurante. Au travers d’odeurs, de saveurs… en cuisinant.

En ouvrant mon espace-temps à des sensations que je vais chercher loin en arrière, j’ai le sentiment que je ne pas perdre la notion des choses.
Que dans ce moment en suspens, je renoue avec l’essentiel qui manque à une vie dans laquelle le travail prend parfois trop de place. Vous les sentez ces odeurs d’enfance qui viennent vous chatouiller les narines ?

Du livre de recettes évoqué un peu plus haut,  j’ai plus usé les pages en quelques jours de repli sur soi forcé qu’en un an auparavant. J’ai oublié l’onglet consacré aux œufs mollets pour arriver directement au seul plat qui compte depuis que j’y ai songé : le pot au feu. Je n’ai jamais cuisiné de pot-au-feu de ma vie. C’est le bon moment. Plus d’excuses de temps, d’envie, de talent négligé… enfin, ça, c’était compter sans mon boucher qui a fermé boutique! Alors, aujourd’hui, j’ai décidé de pousser un peu plus loin que mon quartier, pour trouver l’indispensable à ma vie, en ce moment : un morceau de viande.

Dis, mémé, là-haut, tu en penses quoi de tout ça? Est-ce que tu es fière de moi ?



 
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