Violemment agressé par un co-détenu, Yvan Colonna se trouve en état de mort cérébrale, et est actuellement traité à Marseille. Un drame largement relayé et commenté au sein de la société civile et des partis politiques insulaires.
Depuis l'annonce de la violente agression d'Yvan Colonna à la prison d'Arles, ce mercredi 2 mars dans la matinée, les réactions d'élus et mouvements politiques sont de plus en plus nombreuses sur l'île.
"Il a été victime d'une tentative d'assassinat manifestement préméditée. Son état est désespéré, regrette Gilles Simeoni, président du conseil exécutif de Corse. L'Etat français porte une responsabilité accablante dans ce qui vient de se passer. D'abord et de façon évidente parce que si le droit au rapprochement avait été appliqué à Yvan Colonna, à Pierre Alessandri, et à Alain Ferrandi, ce qui s'est passé ce matin ne se serait pas produit. Ce qui est certain c'est que c'est d'une gravité extrême, et je pense que tous les démocrates et ils nombreux en Corse bien sûr, en France également, ne peuvent pas accepter cela. Il y a bien sûr la responsabilité de l'auteur présumé et de ses éventuels complices, mais il y a au premier rang, au premier chef, la responsabilité majeure du gouvernement et de l'Etat qui avait été dûment informé, à plusieurs reprises, de ce type de risque, et qui par ailleurs a refusé systématiquement pour des prétextes méprisables d'appliquer le droit au rapprochement."
Des propos plus détaillés encore dans un communiqué de Femu a Corsica, paru en fin d'après-midi. Le parti nationaliste l'indique "avec force, détermination et solennité : l'Etat français porte une responsabilité majeure, accablante, dans ce qui vient de se passer". "Depuis des années, l'Assemblée de Corse, unanime, les maires, la société corse toute entière, plus récemment des députés de tous les groupes politiques représentés à l'Assemblée nationale, ont demandé publiquement que le droit au rapprochement soit appliqué à Pierre Alessandri, Alain Ferrandi et Yvan Colonna."
"Le Gouvernement et l'Etat ont refusé, au mépris de la justice, de la loi française et européenne, et de l'équité, d'appliquer ce droit. Si le droit au rapprochement avait été appliqué, le drame de ce matin n'aurait pas eu lieu", poursuit le communiqué. "C'est au contraire la logique de vengeance d'Etat, mise en œuvre depuis plus de deux décennies, qui a trouvé aujourd'hui son accomplissement le plus funeste, dans des circonstances plus que troublantes : comment Yvan Colonna, détenu "particulièrement surveillé", a-t-il pu être victime d'une tentative d'assassinat visiblement préméditée, par un ou des détenus dont la dangerosité était parfaitement connue de l'administration pénitentiaire ?"
Même conclusion pour le député de la 1ère circonscription de Haute-Corse Michel Castellani. Sur cette affaire, estime-t-il, "la responsabilité de l'Etat est gravement engagée". "D'abord, pour ne pas avoir appliqué la loi, malgré toutes nos demandes répétées sur tous les bancs de l'Assemblée nationale, et d'autre part de ne pas avoir assuré la sécurité d'un détenu soit disant particulièrement surveillé.
"Moi, je voudrais rappeler que le fondement même de la loi en France c'est qu'elle punit et protège les citoyens. Manifestement, cela n'a pas été le cas ici. Je rappelle ici que ce qui nous a été opposé comme arguments, poursuit le député, c'est qu'on ne pouvait pas transférer Colonna à Borgo parce qu'on ne pouvait pas assurer sa sécurité là bas. Je vois que là où il est actuellement, ce n'est pas été le cas non plus, malheureusement."
Pour Core in Fronte, "la France porte l'entière responsabilité de la situation". "C'est une grande tristesse et l'esprit d'un gâchis, souligne Paul-Félix Benedetti. Face à ça nos convictions d'homme, de femmes, de Corses, qui aspirent à un changement et voit qu'en face il y a un état vengeur, inquisiteur. Aujourd'hui il y a un épilogue des plus tragiques. L'Etat est responsable de la construction intellectuelle" qui veut faire payer "éternellement les trois derniers du commando Erignac".
Le Partiu di a Nazione Corsa estime que "le destin d'Yvan Colonna, patriote corse, se confond avec le notre, celui d'un peuple tout entier. L'argument assassin de la "sécurité" avancé au cours de ces longues années, pour justifier le maintien d'un statut de DPS, a finalement conduit à l'irrémédiable. [...] Que nul ne se méprenne : du côté de l'état, dont la responsabilité politique est accablante, la situation politique est extrêmement grave."
Jean-Charles Orsucci, maire de Bonifacio, s'interroge sur "comment un détenu particulièrement signalé a-t-il pu subir une telle violence meurtrière d'un codétenu connu et également signalé, lui-même condamné pour des faits de terrorisme djihadiste ?".
Le maire, proche du parti présidentiel La République en Marche, demande au Ministre de la Justice de "rendre publiques les conclusions de l'enquête de l'inspection générale de justice", le maire "regrette vivement que le statut de DPS, opposé sans raison valable à Yvan Colonna, détenu modèle, au lieu de le protéger, ne l'ait en fait abandonné à la vindicte sauvage de cet individu radicalisé."
Dans une série de tweets, le maire divers droite d'Ajaccio Laurent Marcangeli indique lui avoir pris connaissance avec "stupeur des événements qui se sont déroulés dans la prison d'Arles. Avant toute considération d’ordre politique, mes pensées vont vers la famille d’Yvan Colonna, car je mesure sa douleur. Dans un second temps, il m’apparaît indispensable que toute la lumière soit faite sur les circonstances qui ont mené à la sauvage agression d’un homme faisant l’objet d’un statut de « détenu particulièrement signalé ». La justice la plus élémentaire l’ordonne."
"C'est exactement ce qu'on redoutait, ce drame qui s'est passé, souffle de son côté Rachel Regetti, présidente du syndicat étudiant Ghjuventù indipendentista. Au-delà même de l'acte du détenu, nous accusons l'appareil d'Etat dans sa généralité, l'appareil préfectoral, le gouvernement et surtout le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti, qui sont pour nous totalement responsables"
La question des autres détenus particulièrement surveillés
Au-delà de ce drame, c'est désormais la question des autres prisonniers dits politique corses qui se pose, estiment plusieurs élus. "Si le droit au rapprochement avait été appliqué, Yvan Colonna n'aurait pas été assassiné", tranche Gilles Simeoni, qui le répète : ces mêmes dispositions doivent être mises en place au plus vite pour Alain Ferrandi et Pierre Alessandri.
Michel Castellani rappelle avoir fait savoir "abondamment et officiellement ce que nous pensons de cette affaire [le rapprochement des DPS Corses, ndlr], comme beaucoup de députés de l'Assemblée, sur tous les bancs, qui se sont exprimés. Si on avait écouté et appliqué la loi, tout ceci ne serait pas arrivé", insiste-t-il. "C'est une affaire très malheureuse d'un bout à l'autre, et on en tirera les leçons dans les jours qui viennent."
Jean-Charles Orsucci estime qu'à l'heure où "la France se distingue sur la scène européenne par l'application du droit international, ce télescopage avec ce qui s'apparente à une vengeance étatique est inacceptable. [...] Le Premier ministre doit prendre les mesures pour que sans délai, les deux derniers prisonniers condamnés pour l'assassinat du préfet Erignac, rentrent enfin en Corse", et demande "solennellement au Président de la République de bien vouloir entendre les revendications, les demandes de la Corse, de ses élus, et d'y répondre favorablement."
Pour Laurent Marcangeli, "le rapprochement d’Alain Ferrandi et Pierre Alessandri doit intervenir le plus rapidement possible, conformément au droit, ainsi qu’à l’absolue nécessité de permettre à la Corse de trouver le chemin de l’apaisement auquel l’immense majorité des habitants aspire."
Jean-Jacques Ferrara, député de la 1ère circonscription de Corse-du-Sud, s'engage lui à aborder la question avec Amaury de Saint-Quentin, nouveau préfet de Corse, dès sa prise de fonction lundi 7 mars : "Je vais le rencontrer dès le début de la semaine prochaine, ce sera la question centrale qui sera évoquée avec lui : celle du rapprochement sans délai d'Alessandri et Ferrandi à la prison de Borgo. Je m'y engage."