Le pape François pourrait se rendre sur l'île d'ici la fin de l'année. Une visite très attendue, dans un territoire très majoritairement catholique, et aux liens particuliers avec le Saint-Siège.
Quelques heures seulement après l'annonce officielle de sa création en tant que cardinal, le 9 juillet 2023, l'évêque de Corse, Monseigneur François Bustillo, le rappelait : les liens entre Rome, le Vatican et la Corse existent depuis bien longtemps.
L’introduction du christianisme sur l'île remonte à la fin du Ier, ou au début du IIe siècle. Mais il faut attendre la fin du Ve siècle pour que la Corse connaisse une implantation chrétienne significative. Tenue sous l'autorité des Vandales d'environ 455 jusqu'au milieu du VIe siècle, l'île devient terre d'exil de nombreux évêques d'Afrique du Nord, qui appliquent une évangélisation systématique.
Implantation du monachisme
Sous l'impulsion du pape Grégoire le Grand, ou Grégoire Ier (540-604) le christianisme poursuit son enracinement, avec l'introduction, dès la fin du VIe siècle, du monachisme [institution monastique, ou état et mode de vie de moine, ndlr] sur l'île, et la fondation des premiers établissements monastiques.
Parallèlement, et comme dans nombreuses autres régions méditerranéennes, le pape intensifie la lutte contre les pratiques et symboles païens. Ceci, notamment, en faisant détruite les sanctuaires, ou en les transformant en chapelles.
Tout au long de son pontificat - de 590 à 604 - Grégoire Ier rédige et expédie aux quatre coins des terres chrétiennes des centaines de lettres. 857 ont été répertoriées, mais elles ne représenteraient qu'une partie d'une correspondance beaucoup plus importante.
Sur l'ensemble de ces courriers, neuf concernent la Corse : l'une de ces lettres, datée du 17 juin 601, invite le clergé et le peuple d'Ajaccio à élire un nouvel évêque, attestant ainsi officiellement de l'existence de l'évêché d'Ajaccio.
Au milieu du VIIe siècle, les Lombards conquièrent l'Italie, jusqu'ici sous contrôle de l'Empire Byzantin. La Corse, par extension, se retrouve sous leur sphère d'influence. Soucieuse de préserver son indépendance, la papauté se met en quête d'un protecteur militaire, qu'elle trouve en la dynastie carolingienne.
La dotation de Pépin
En 754, Pépin le Bref, alors roi des Francs, signe avec le pape Etienne II (715-757) le traité de Quierzy. Celui-ci l'engage, contre reconnaissance de la dynastie carolingienne, à conquérir puis offrir à la papauté des territoires détenus par le roi de Lombardie. Parmi ces terres, notamment, la Corse.
Il est à noter que la papauté s'appuie alors dans ces demandes sur un faux document, rédigé à la demande du pape Etienne II, à savoir la prétendue donation de Constantin Ier, précise Hugo Pelloni, guide conférencier.
En 774, Charlemagne, fils de Pépin et devenu roi des Lombards, confirme cette donation au pape Adrien Ier. L'île est entre ainsi dans le patrimoine de Saint-Pierre, premier noyau des Etats pontificaux. Mais les Corses vivent en réalité sous l'autorité carolingienne, instaurée par Charlemagne et ses représentants.
À la fin du XIe siècle, le pape Urbain II cède à Pise la souveraineté de la Corse, moyennant une redevance annuelle. Une décision sur laquelle le pape Innocent II revient par la suite en partie, accordant une partie des évêchés de l'île à la République de Gênes en 1133 (selon Robert Colonna d'Istria, dans Histoire de la Corse : Des origines à nos jours).
C'est sous cette période, et au cours du XIIe siècle, que le christianisme devient majoritaire dans une terre jusqu'alors dominée par le paganisme. Autour de 1000 édifices religieux sont d'ailleurs construits sur l'île sous la république de Pise.
La garde pontificale
À la fin du XVe siècle est créée la Guardia Corsa papale. Réunissant quelque 600 soldats insulaires, cette milice est directement placée au service du pape, à Rome. Son objectif : assurer le maintien de l'ordre dans les Etats pontificaux, dans une époque où l'Italie se trouve le théâtre de guerres incessantes.
Tous originaires de l'île, ces mercenaires assument une fonction de police urbaine... C’est-à-dire, peu ou prou, les fonctions de l'actuelle gendarmerie vaticane. Une garde papale reconnue pour son efficacité, mais précipitamment dissoute, en 1664.
C'est le roi de France, Louis XIV qui se trouve à l'origine de cette décision. En cause, un incident survenu entre des soldats corses et des Français chargés de la protection de l'ambassade de France, à Rome, deux ans plus tôt.
Sous pression, le pape Alexandre VII consent à signer le traité de Pise, qui prévoit la dissolution de la guardia corsa. Plus largement, avec ce document, c'est toute la Nation Corse qui se voit déclarée "incapable à jamais de servir, non seulement dans Rome, mais aussi dans l’État Ecclésiastique, et le Barigel de Rome sera privé de sa charge, et chassé". Le Roi Soleil obtient enfin l'érection d'une pyramide expiatoire sur le site de la caserne corse. Celle-ci est détruite quatre ans plus tard par le pape Clément IX, successeur d'Alexandre VII.
Des cardinaux insulaires
L'île ne reste pas excommuniée longtemps. Au XIXème siècle, ce sont même cinq cardinaux corses qui sont créés : Joseph Fesch - oncle de Napoléon Bonaparte -, en 1803 ; Michele Viale-Prelà et Dumenicu Savelli, en 1853 ; Lucien-Louis Bonaparte - petit-neveu de l'empereur - en 1868 ; et enfin François Zigliara en 1879.
Il faut par la suite patienter 136 ans avant d'assister à la consécration d'un nouveau cardinal corse, en la personne de Monseigneur Dominique Mamberti. Ordonné prête pour le diocèse d'Ajaccio en 1981, c'est au Vatican que ce dernier a effectué l'essentiel de sa carrière, en faisant dès 1986 son entrée au service diplomatique du Saint-Siège.
Élevé à la dignité épiscopale en 2002, il se voit attribuer par le pape le titre d'archevêque titulaire de Sagone - évêché fondé au VIe siècle, supprimé en 1801, et "ressuscité" pour l'occasion en tant que diocèse in partibus -.
Jusqu'en 2006, il évolue en tant que nonce apostolique, puis en tant que secrétaire pour les relations avec les Etats de la Secrétairerie d'Etat. Un poste analogue à celui de ministre des Affaires étrangères, et pour lequel il évolue notamment en étroite collaboration avec le pape Benoît XVI.
En novembre 2014, il est nommé préfet du tribunal suprême de la Signature apostolique, soit la juridiction supérieure du Siège apostolique. Avant d'être créé cardinal, le 14 février 2015 - aux côtés de 19 autres prélats -, et de recevoir la diaconie du Santo Spirito in Sassia.
Huit ans plus tard, c'est au tour de l'archevêque d'Ajaccio, François Bustillo, d'obtenir cette haute dignité. Né à Pampelune, en Espagne, ce religieux franciscain reçoit la barrette pourpre des mains du pape François le 30 septembre 2023, sur le parvis de la basilique Saint-Pierre.
Pour célébrer la création, ce jour-là, des nouveaux cardinaux, 6.000 spectateurs... Dont 800 Corses, venus en délégation spéciale à Rome pour acclamer leur pasteur, dont la popularité ne s'est jamais démentie depuis sa nomination en mai 2021. Une nomination qui est aussi, une première pour la Corse, François Bustillo étant à ce jour le seul évêque nommé cardinal alors qu'il effectuait son épiscopat sur l'île.
Y a-t-il eu un pape corse ?
Outre les cardinaux, la Corse a-t-elle déjà eu un pape ? Selon certaines hypothèses, Formose, élu au pontificat en 891, aurait pu avoir des origines corses. Il serait ainsi né à "Vivario en 816" et "dans le hameau de Perello". Aucune source fiable ne peut néanmoins, à ce jour, attester ces propos. Certaines sources suggèrent que le pape aurait pu appartenir à une famille corse réfugiée à Ostie, fuyant les raids des Sarrasins sur l'île.
D'origine corse ou non, l'histoire du pape Formose est avant tout macabre, et marquée par le procès à titre posthume, ou concile cadavérique, auquel il a été soumis. En 897, un an après sa mort, il est ainsi mis en jugement. Son cadavre est exhumé, revêtu des vêtements d'apparat pontificaux et assis sur un trône. Le verdict le déclare indigne du pontificat : toutes les mesures et actes pris par Formose sont annulés, et les ordres qu'il avait conférés invalidés. Les vêtements de cérémonie pontificaux sont arrachés de son corps, les trois doigts de sa main droite, employés dans des consécrations, coupés, et son corps est jeté dans le Tibre.
Récupéré dans des filets de pêcheurs, le cadavre de Formose est par la suite réenterré à Saint-Pierre après. Les procès contre des défunts deviennent également interdits par décret du pape Jean IX.
Le reportage de Pierrick Nannini et Yann Benard :