Ce dimanche 30 juin, le Rassemblement national est arrivé en tête du premier tour des élections législatives. La Corse n'a pas échappé au "raz-de-marée" bleu marine qui continue de déferler sur notre territoire. Un fait inédit sur l'île, jamais un candidat d'extrême droite n'avait été présenté au second tour des législatives.
Un séisme, un raz-de-marée, une déflagration... Depuis dimanche soir, les qualificatifs ne manquent pas pour évoquer le score du Rassemblement national (RN) en Corse.
Le parti de Marine Le Pen est au second tour pour la première fois sur l'île, une prouesse réalisée dans les quatre circonscriptions. "C'est un bon produit marketing qui a déferlé en Corse ! C'est uniquement un produit car c'est la première fois que l'on voit des personnes qui sont élues et que l'on ne connaît absolument pas", lance une Bastiaise rencontrée ce lundi matin. "C'est une surprise extraordinaire, ce ne sont pas des Corses, ils ne sont pas connus. C'est vous dire le mécontentement", ajoute un autre monsieur.
Trois candidats inconnus
Sur les 4 circonscriptions, seul François Filoni bénéficiait d'un ancrage local. Les 3 autres candidats, Jean-Michel Marchal, Sylvie Jouart-Fernandez et Ariane Quarena sont d'illustres inconnus, même pas natifs de l'île.
C'est dire le poids de l'étiquette, la colère et la lassitude dans une élection inédite où le prisme national l'aura emporté sur les enjeux locaux...
"Ce sont des candidats qui sont derrière un projet. Je porte localement le projet et nous avons le résultat aujourd'hui de ce que nous avons fait auprès des gens. Nous sommes allés sur tous les domaines", se défend dimanche soir François Filoni, le délégué régional du Rassemblement national sorti en tête avec 35,1% dans la deuxième circonscription de Corse-du-Sud.
De nouveaux électeurs qui arrivent chaque année en Corse
Le vote RN aura été globalement uniforme sur l'ensemble de la Corse. Le record est atteint à Ventiseri, en Haute-Corse, avec 51,2%. Un score sans surprise, dans une commune où les mutations démographiques sont importantes avec la présence massive de nouveaux arrivants.
C'est le cas aussi à Lumio, en Haute-Corse, où le RN arrive en tête avec 38,6%. Pour André Fazi, c'est un vote importé, bien réel. "Il y a d'autres électeurs, il y a entre 5.000 et 6.000 personnes qui arrivent chaque année en Corse. Ces personnes n'ont pas les mêmes réseaux sociaux, n'ont pas les mêmes interrelations, n'ont pas les mêmes interactions. La société Corse d'aujourd'hui est plurielle, bigarrée, en déplaît à certains d'ailleurs, et cela débouche forcément sur des changements qui peuvent être brutaux. Je ne sais pas s'ils seront durables", confie le politologue André Fazi.
Le vote RN dans le rural
Le vote RN ne se limite pas seulement à ces communes. Il pénètre dans le rural aussi. Sylvie Jouart-Fernandez (dont la candidature a finalement été retirée lundi après-midi) est arrivée en tête à Occhiatana en Balagne, à Ghjucatoghju en Castagniccia ou encore à Pietraserena sur la partie ouest de l'île.
Plus classique, mais inhabituel dans ses proportions, le vote périurbain. Il touche la région bastiaise comme ajaccienne avec 45% à Sarrola Carcopino, en Corse-du-Sud...
Le RN se hisse même en tête dans plusieurs communes majeures de la plaine orientale : Aleria, Prunelli di Fium'Orbu, largement devant le député sortant nationaliste Jean-Félix Acquaviva...
Le RN, première force politique de l'île
"Il faut le dire très clairement : le parti du RN avec ses valeurs, sa vision de la société et son projet ou plutôt son non-projet qu'il a pour la Corse, est aux antipodes de ce que nous voulons faire"; lance Gilles Simeoni, le président de l'exécutif Corse.
Le RN arrive en tête dans la moitié des bureaux ajacciens et bastiais, les plus populaires... Inédit pour une législative...Avec plus de 50 000 suffrages exprimés au 1er tour, l'extrême droite est dimanche soir la première force politique de l'île, devant même la famille nationaliste... Un scrutin définitivement historique.
Voici l'édito politique de Jean-Vitus Albertini sur le vote du Rassemlement national en Corse :
L’évènement majeur de ce 1er tour de scrutin, c’est le vote massif en faveur du RN. Que personne n’avait imaginé aussi massif. Oui, un vote qui surprend par son ampleur. Après les élections européennes, on pensait que le RN profiterait de cette dynamique qui serait toutefois tempérée, comme à chaque fois, par le fait qu’une législative est une élection uninominale où la personnalité du candidat compte presque autant que son étiquette politique.
Toutes ces certitudes ont été balayées hier par une nationalisation du débat politique et une mobilisation importante de l’électorat que l’on n’avait pas connu depuis des années. En deux ans, le RN est passé d’un peu plus de 17.000 suffrages à presque 47.000 soit un gain de 30.000 voix. C’est du jamais vu d’autant que ses candidats et candidates à l’exception de François Filoni étaient d’illustres inconnus avec une connaissance limitée de la Corse et de ses problèmes et qui n’ont fait aucune campagne de terrain se contentant de mettre la photo de Jordan Bardella sur leurs affiches.
C’est une nouveauté qui interroge... Justement dans ces conditions, comment s’explique un tel succès électoral ? Plusieurs explications peuvent être avancées. La nationalisation du débat politique avec les problématiques que l’on connaît : le pouvoir d’achat, la sécurité, l’immigration et l’absence de réponse de la part des gouvernants. Certaines de ces problématiques touchent moins la Corse mais la détestation du pouvoir en place et d’Emmanuel Macron a confondu tout cela dans le même rejet.
Deuxième explication de l’ampleur du phénomène en Corse : c’est l’évolution démographique et donc du corps électoral ces dernières années qui a incontestablement amplifié le vote en faveur du RN qui existait auparavant certes mais limité, on l’a vu à chaque élection locale.
Une dernière explication enfin c’est la déception à l’égard des partis politiques toutes tendances confondues ici de la droite à la gauche jusqu’aux nationalistes qui eux aussi n’ont pas répondu aux attentes de cet électorat. Ce sont quelques éléments qui ne sont sans doute pas les seuls pour expliquer un phénomène surprenant par son ampleur, mais pas imprévisible par ses causes.
Voici le reportage complet de Pierrick Nannini en vidéo :