Renforcer les moyens de la Justice, mieux former les enquêteurs... La conférence nationale des procureurs de la République formule 10 propositions "pour le devenir de la justice pénale"

La Conférence nationale des procureurs de la République a présenté, lors d'une conférence de presse ce 6 janvier, ses "10 propositions pour le devenir de la justice pénale". Un document visant notamment à "initier une réflexion globale".

L'aboutissement d'un travail débuté en juin 2021. Ce jeudi 6 janvier, la conférence nationale des procureurs de la République (Cnpr) a déroulé, lors d'une conférence de presse tenue au tribunal judiciaire de Bobigny, ses "dix propositions pour le devenir de la justice pénale".

Objectif de la démarche, indique Nicolas Septe, procureur de la République d'Ajaccio, et membre du conseil d'administration de la Cnpr, "contribuer au débat public sur l'institution judiciaire dans la perspective des échéances démocratiques de 2022", en initiant "une réflexion globale sur le devenir de la justice pénale".

Première proposition : renforcer le statut des procureurs

Les membres de la Cnpr en sont convaincus : il s'agit "d'une nécessité juridique autant que politique". "Malgré sa qualité de magistrat à part entière, rappelée à plusieurs reprises par le Conseil Constitutionnel, le procureur français reste handicapé par des garanties insuffisantes relatives à ses conditions de nomination, qui fragilisent aux yeux de la jurisprudence européenne tout l’équilibre de notre système judiciaire", estiment-ils.

Plus encore, "l’indépendance juridictionnelle du parquet est aussi un préalable incontournable pour qui espère restaurer enfin la confiance de nos concitoyens dans les décisions prises et l’impartialité de ceux qui sont des acteurs majeurs de la Justice pénale."

Dans ce cadre, la Cnpr appelle à une nomination indépendante des procureurs, confiée au Conseil supérieur de la magistrature, à l’instar des présidents de tribunaux ; une réflexion sur l’architecture du ministère public au niveau national, destinée à assurer la lisibilité et l’évaluation de l’efficacité de la politique pénale que les procureurs ont la charge de mettre en œuvre ; et à la modernisation de l’évaluation professionnelle des procureurs de la République.

Seconde proposition : augmenter les moyens financiers de la Justice

La France ne consacre que 69,52 euros par habitant à sa Justice, contre 84,13 euros en moyenne au sein de ses homologues européens à PIB équivalent, constate la Cnpr. "Avec l'Allemagne par exemple, qui consacre 131 euros par habitant, l'écart est abyssal."

Une sous-dotation qui se traduit notamment sur les effectifs des magistrats du parquet, "4 fois inférieurs à la moyenne européenne", selon un rapport du Conseil de L'Europe.

"Au-delà des parquets, le sous-investissement dans la Justice affecte l'ensemble du fonctionnement de l'institution, malgré les gains de productivité permanents réalisés par les tribunaux. Des efforts budgétaires ont été récemment consentis par l'Etat mais ne sont pas à la hauteur de l'ampleur du besoin de rattrapage. La Justice n'a pas besoin que de "sucres rapides"."

Ainsi, un renforcement des moyens donnés à la Justice, et tout particulièrement aux procureurs "permettrait d’obtenir des avancées substantielles pour l'ensemble de nos concitoyens : délais de traitement des affaires, qualité des décisions, effectivité des peines, accueil et accompagnement des justiciables, réinsertion des condamnés, encadrement des récidivistes, lutte contre la surpopulation carcérale …"

Troisième proposition : simplifier l'enquête et la procédure pénale

Pour les procureurs de la République, une refonte du code de procédure pénale, "dont la cohérence initiale s’est estompée avec l’empilement et l’accélération des réformes «au coup par coup »" est désormais nécessaire.

"Il est urgent de reconstruire un cadre d’enquête simplifié, lisible et cohérent qui garantisse d’une part un meilleur équilibre entre la recherche de la vérité au terme d’une enquête de qualité, simple et efficace et, d’autre part, la protection des libertés fondamentales et du droit de la victime à être reconnue, soutenue et indemnisée."

La Cnpr propose notamment "la simplification et le renforcement de l'efficacité des investigations", "l’attribution, au parquet, dans le strict respect du contradictoire, de la maîtrise de l’action publique jusqu’au jour de l’audience afin de pouvoir réorienter la poursuite, la compléter ou l’abandonner", ou encore "la reconnaissance au magistrat du parquet, dans les situations les plus simples et pour les infractions les moins graves, d’un véritable pouvoir autonome de sanction sans intervention à priori d'un juge et prévoyant des procédures simplifiées de recours pour les condamnés."

Quatrième proposition : plus d'enquêteurs mieux formés

"La capacité de la justice pénale à juger et à condamner les auteurs d'infractions dépend très étroitement de la capacité de la Police nationale et de la Gendarmerie nationale à mener à bien des enquêtes probantes dans des délais raisonnables", entame la Cnpr.

Alors que "le stock des procédures pénales en attente d'investigations s'accroît de manière très préoccupante au fil des ans, en particulier au sein des commissariats de police", il semble essentiel aux procureurs de la République de mettre en place un net accroissement du nombre d'officiers de la police judiciaire, et un renforcement de leur formation.

Cinquième proposition : s'attaquer aux causes de la délinquance

"Pour être efficace, la lutte contre la délinquance ne peut se limiter à la répression des auteurs. En matière de délinquance, les forces de l'ordre et la justice ne sont que les médecins, pas la maladie. Lutter contre la délinquance et la récidive c'est aussi – et peut-être surtout – s'attaquer aux causes", tranche la Cnpr. 

Des causes qui sont multiples, soulignent les procureurs : économiques, sociales, médicales, éducatives, ou encore culturelles. "La loi fixe comme objectif au procureur de la République de veiller à la prévention des infractions, l’invitant à évaluer l'efficacité des réponses judiciaires et à développer de nouvelles approches pour les délinquants rétifs à toute évolution." Hors les dispositifs actuels "sont largement insuffisants pour parvenir à une prévention efficace tant de la délinquance primaire que de la récidive".

"Nombreux sont les domaines dans lesquels les réponses médicales, sociales, ou éducatives doivent être améliorées : la prise en charge collective et individualisée des personnes relevant de soins psychiques ou mentaux, l’offre d’emplois dans les quartiers les plus défavorisés, la place donnée dans les parcours scolaires au respect de l’autre et les femmes au sein du couple en particulier…". Autre combat prioritaire, soulignent les membres, la lutte contre les addictions, "qu’il conviendrait d’ériger au rang de grande cause nationale."

Sixième proposition : évaluer le risque de récidive au cœur du prononcé et de l'exécution des peines

Le recours à l'aménagement de peine est-il trop fréquent ? Une politique qui peut être difficilement reçue au sein de la société civile, plus encore lorsque les auteurs condamnés à subir une détention "profitent de la liberté que leur offre cet aménagement pour commettre de nouvelles infractions."

"Si l'on ne peut contester que l'aménagement des peines et le recours à d'autres peines que l'incarcération puissent avoir une vertu socialisante indéniable, et favorisent dans nombre de cas la prévention de la récidive, cet objectif doit être concilié avec la nécessaire protection de nos concitoyens", arguent les procureurs de la République.

Ainsi, ils proposent que la loi affiche désormais "que l'aménagement d'une peine d’emprisonnement ne peut être le principe mais un subsidiaire. Il appartient en effet à la juridiction de prononcer une autre peine que l’incarcération, comme la loi le permet, si elle estime que le condamné peut demeurer libre sous contrôle renforcé (par exemple une détention à domicile sous surveillance électronique, un bracelet anti-rapprochement etc…)" ; et "que tout aménagement ou toute transformation de la peine ferme prononcée doit être subordonnée à une évaluation objective préalable des risques de récidive présentés par le condamné."

Septième proposition : une meilleure prise en soin des victimes les plus fragiles

La Justice doit prendre en main le manque de considération parfois ressenti par les victimes, insiste la Cnpr, notamment les plus fragiles "ou qui sont concernées par les faits les plus graves ont des besoins qui vont bien au-delà d’un « simple » accompagnement juridique et technique.

Il conviendrait, déterminent les procureurs, de systématiser "sur le territoire national la mise en place de dispositifs d’accompagnement renforcé des victimes d’infractions graves, comme cela peut exister dans certaines localités." Un chargé de mission pourrait ainsi être désigné par le procureur de la République. Celui-ci aurait pour mission de coordonner, "au bénéfice de la victime", l'action d'un ensemble de professionnels qui s'attacheront notamment à évaluer ses besoins, mettre en œuvre sa prise en charge et s'assurer de son accompagnement tout au long de la procédure.

Huitième proposition : revisiter le champ pénal des infractions soumises à l’institution judiciaire

"Limiter l'intervention des parquets et des juridictions pénales aux faits qui occasionnent les préjudices les plus importants et portent le plus sérieusement atteinte au pacte social" peut être une solution efficace pour désencombrer le système judiciaire, analyse la Cnpr, qui prend pour exemple, entre autres, "le contentieux des diffamations et injures non aggravées" dans le domaine de la presse, qui "pourrait être dépénalisé et soumis aux juridictions civiles".

"Cet allègement des tâches de l’institution judiciaire permettrait à cette dernière de se consacrer aux infractions les plus graves et aux situations de récidive et aux administrations, qui d’ores et déjà interviennent très fréquemment, de disposer d’une compétence élargie laquelle pourrait être précisément délimitée dans le cadre de protocoles nationaux déclinés localement avec les parquets."

Neuvième proposition : activer la transformation numérique

"Il est indispensable que le ministère de la Justice se donne véritablement les moyens de réussir le pari de la transformation numérique en matière pénale."

Pour ce faire, la Cnpr estime essentiel de prioriser trois grands axes : l'approfondissement de dématérialisation pénale et la formation des agents dans le but de construire de véritables outils d'aide à la décision ; l'union de la chaîne de soutien informatique ; et l'utilisation du numérique pour "renforcer la proximité avec les justiciables". 

Dixième proposition : améliorer la communication judiciaire 

Les procureurs de la République font un constat : si la Justice est l'une des institutions dont "on parle le plus dans le public et dans les médias", sa politique de communication "manque de visibilité dans l'espace public". Une Justice qui souffre aujourd'hui d'une image "de plus en plus dégradée", subit des attaques et critiques, "le plus souvent à raison d'une méconnaissance de son fonctionnement".

"Au-delà de la communication autour des faits divers et des « affaires » dont les procureurs se sont emparés, il devient impératif, dans notre société de communication, de valoriser et d’expliquer l’action judiciaire et son fonctionnement. En un mot, « éduquer à la Justice »", insiste la Cnpr. Ainsi, elle estime indispensable "de doter les juridictions d’équipes dédiées de professionnels qualifiés consacrés à cette mission, autant que d’outils modernes de communication."

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