Sécheresse, réchauffement climatique : comment la Sardaigne s'organise face au manque d'eau

Territoire plus au sud et moins montagneux que la Corse, la Sardaigne reçoit en moyenne moins de précipitations. Cette année, l'île sœur est à nouveau frappée par la sécheresse. Pour faire face à une situation récurrente, et appelée à se multiplier avec le réchauffement climatique, pas moins de 54 barrages ou retenues ont été édifiés.

Le barrage Eleonora d’Arborea, au centre ouest de la Sardaigne sur le fleuve Tirso. En cette fin mai, le taux de remplissage est de 97%. Sa capacité est de 420 millions de mètres cubes. Elle sera portée comme prévu dans le projet initial à 750 millions de mètres cubes dans quelques années. Un volume qui serait alors plus de 20 fois supérieur à celui du barrage de Tolla en Corse-du-Sud. C’est la clé de voûte du système hydrique sarde.

"Il y a eu lors des années et des décennies passées la nécessité de construire des grandes retenues d'eau de régulation qui sont dimensionnées pour des périodes de cinq ou six ans. Ces périodes de régulation englobent généralement deux ou trois années de sécheresse", explique Francesca Piras, ingénieure à l'ENAS (Ente Aqua di Sardegna). 

2024, année de sécheresse

Justement, 2024 est une année de sécheresse pour la seconde fois consécutive. L’île dispose de 54 retenues d’eau, le taux de remplissage moyen est de 64%. Cette moyenne cache des réalités microrégionales très différentes. La partie est de la Sardaigne a été moins arrosée par les pluies. La Baronia, au nord, est la plus concernée.

L’irrigation est interdite. Pour l’instant, Raimondo Farina, berger, peut encore donner à boire à son troupeau, mais jusqu’à quand ?

"Ils vont sûrement nous interdire aussi d'abreuver le troupeau, déplore l'éleveur. S'il n'y a pas d'eau, il faudra continuer à dépenser de l'argent  pour la transporter. Quand il n'y a pas d'herbe, il y a des dépenses permanentes pour l'alimentation et le fourrage qui viennent d’ailleurs. Cette année, il n’y a eu que très de production au sein de l’exploitation."

En amont de l’exploitation, le barrage de Maccheronis. Le taux de remplissage est de 34%. Cette eau est désormais destinée à l’usage domestique. S’il ne pleut pas d’ici là, la réserve devrait permettre de tenir uniquement jusqu’à septembre.

"C’est une année particulièrement sèche. La retenue de la Baronia est basée sur une régulation annuelle. Elle n’a pas cette capacité de faire face à plusieurs années de sécheresse", indique Francesca Piras.

Les exploitations ne doivent pas disparaître.

Martino Sanna, maire de Torpè.

Michele Casula est un retraité ayant planté son jardin par plaisir. En tant que non professionnel de l’agriculture, il n’est pas autorisé à arroser avec l’eau du barrage. Pour sauver ses légumes, la solution est d’aller chercher l’eau ailleurs avec un camion.

"Pour le jardin, celui qui n’a pas d’eau, celui qui n’a pas de forage doit se plier, il ne doit pas cultiver tant que le lac n’a pas atteint une certaine quantité d’eau et pouvoir ainsi arroser", livre le jardinier.

En cas de non-respect de la réglementation, Michele Casula risque une amende "de 200 euros et ça va jusqu’à 1 000, et dans certains cas même 3 000". 

Mi-mai, a quelques kilomètres d’ici, commune de Siniscola, le drame a été évité de justesse. Un agriculteur excédé a tiré plusieurs coups de feu sur les autorités venues pour verbaliser. Le maire de Torpè, Martino Sanna, en appelle lui à l’autorité régionale. Les éleveurs doivent pouvoir affronter la saison sans mettre en danger leurs exploitations.

"Les communes nous avons tous reconnu l’état de calamité dans nos territoires, déclare l'édile. Les aides éventuelles arriveront très tard, nous connaissons malheureusement le fonctionnement de la machine bureaucratique. Moi je demande une intervention urgente pour que les exploitations aient un accès au crédit, qu’elles puissent disposer des ressources pour préparer la saison hivernale. Je demande donc à l’élu en charge de l’agriculture un engagement important pour garantir un revenu à ces exploitations qui ne doivent pas disparaître. Il est important qu’ils s’y retrouvent économiquement."

Solutions

Les Sardes vont devoir apprendre à vivre avec la sécheresse. Depuis 1989, les précipitations ont baissé de 15% mais les eaux fluviales sont en chute de 40%. Cette différence est due au réchauffement climatique ainsi qu’à une concentration des pluies au printemps, lorsque la végétation capte une grande partie de l’eau au détriment des sources.

Des solutions ont pu être trouvées. Ainsi les eaux du Tirso à l’ouest sont pompées pour alimenter le Flumendosa, le fleuve situé à l’est. À l’avenir le barrage sera relié à d’autres bassins.

"Disons que toute la partie centre méridionale d’une manière ou d’une autre sera reliée à ce réseau, indique Francesca Piras. Donc on ne devrait pas pâtir d’importantes périodes de sécheresse. Il est possible qu’à l’avenir nous soyons confrontés à des années de sécheresses successives. Peut-être qu’il devra y avoir des réductions d’approvisionnement pour l’irrigation. Mais disons que pour ce qui relève de l’eau potable, l’approvisionnement est garanti."

Le Campidanu est une plaine qui s’étend sur une centaine de kilomètres de long et 20 kilomètres de large entre Cagliari et Oristanu au sud. Les cultures y sont nombreuses. Pour la saison 2024, sécheresse oblige, la production de céréales est jusqu’à 40% inférieure à la moyenne.

"Si j’ai des restrictions, les autres devraient en avoir aussi."

Raimondo Farina, Berger.

Chaque année, 670 millions de mètres cubes d’eau sont consommés sur l’île. 270 millions servent à l’usage domestique, 400 millions à l’agriculture et 20 millions à l’industrie. L’eau potable sert à la population résidente mais également au tourisme, notamment l’été. Parfois, des conflits d’usage apparaissent.

"Tous, surtout ceux qui sont de l’autre côté de cette colline et qui vivent du tourisme incitent à couper l’eau aux autres pour réussir à donner de l’eau aux touristes parce que la saison commence, affirme Raimondo Farina. Ils veulent une utilisation exclusivement domestique. Si tu vas dans un hôtel ou un village de vacances, tu trouves des prairies vertes. S’il n’y a pas d’eau, cela ne doit pas exister. Si j’ai des restrictions, les autres devraient en avoir aussi."

Au-delà de la sécheresse, le système hydrique sarde est confronté à deux enjeux majeurs. L’immense réseau de distribution a pu être surnommé par la presse rete colabrodo, pour réseau passoire. Dans certaines zones, jusqu’à 50% de l’eau se perd dans les tuyaux. L’autre enjeu est celui de la qualité. Avec la montée des températures des pollutions sont susceptibles d’apparaître dans les grandes étendues d’eau exposées au soleil. Des programmes scientifiques avec surveillance au plus près des bactéries ont notamment été mis en place.

Le reportage de Dominique Moret et Stéphane Lapera :

durée de la vidéo : 00h06mn45s
Intervenants : Francesca Piras, Ingénieure ENAS (Ente Aqua di Sardegna) ; Raimondo Farina, Berger ; Michele Casula, Jardinier ; Martino Sanna, Maire de Torpè. ©D. MORET - S. LAPERA / FTV

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