Témoignage. Guerre à Gaza : “Dans les hôpitaux, on est obligé de faire du tri. On prend en charge celui qui a le plus de chance de vivre”

Publié le Écrit par Audrey Altimare

Le docteur Khaled Benboutrif est médecin urgentiste et généraliste à Toulouse. De retour d’une mission humanitaire à Gaza, il est à Ajaccio pour participer à un rassemblement pour la paix. Il répond aux questions de France 3 Corse ViaStella.

Il y cinq mois, Khaled Benboutrif est parti en mission humanitaire en Palestine. Médecin urgentiste et généraliste, il a fait partie d’une équipe de soignants dans le dernier hôpital encore accessible de la bande de Gaza.  

Originaire de Toulouse, il a été invité à raconter son histoire par l’association Corsica Palestina. Il participera à une marche pour la paix et pour un cessez-le-feu immédiat à Gaza, organisée samedi 22 juin à Ajaccio au départ de la gare.  

Khaled Benboufri a accordé un entretien à France 3 Corse ViaStella : 

durée de la vidéo : 00h11mn53s
Audrey Altimare ; Marion Fiamma. ©France Télévisions

Vous avez participé à une mission humanitaire dans la bande de Gaza, vous allez repartir dans une semaine, quelles sont les conditions de vie des Gazaouis ? 

Nous sommes partis fin janvier, et nous sommes restés 15 jours, jusqu’à février. Il y avait un blocus qui était appliqué à tous les journalistes et les organisations d’aide humanitaire. Nous avons finalement eu le laisser passer par les autorités israéliennes.  

L’arrivée sur place a été une immersion dans la détresse, la souffrance, que vivait la population civile. Nous n’avons pas été sur le terrain de bataille, mais il y a eu des coups de feu, des bombardements très près de l’hôpital où on était affecté. On a atteint l’hôpital européen, qui s’appelle comme ça parce qu’il a été bâti par les fonds de l’Union européenne, qui se trouve à une vingtaine de kilomètres au nord de la frontière égyptienne.  

Les conditions de l’hôpital en question étaient catastrophiques, et ça dépasse la catastrophe. C’était le chaos, il n’y avait plus d’organisation, l’hôpital était envahi par la population de déplacés, déportés du nord. C’est un petit hôpital avec une capacité de 300 lits qui accueillait 900 blessés et malades et qui accueillait 2.000 à 3.000 déportés, réfugiés. Ils venaient donc tous chercher la sécurité. 

Et cela a beaucoup de conséquences, il n’y a pas de place, pas d’hygiène, pas de possibilité de nettoyer, à cause de l’encombrement, les brancards et les lits étaient tous occupés. Ça rendait le travail très difficile.  

On travaillait le plus souvent à même le sol, un sol qui n’est pas nettoyé, par manque d’eau, par manque de produit, on manquait de pansement, de désinfectant, d’anesthésiant, local et général. Les extractions de balles se faisaient parfois sans anesthésie et au pire, il y a eu des amputations sans anesthésie.  

Nous savons que sur place, très peu d’hôpitaux sont encore accessibles car la plupart a été détruits par les bombardements, une situation aggravée par une pénurie de médicaments. Avez-vous dû faire des choix dans certains traitements à apporter aux patients ?  

L’hôpital où je travaillais est le seul des 12 ou 13 structures de Gaza qui n’a pas été touché par les bombardements. Il n’était pratiquement pas fonctionnel à cause de l’hygiène qui n’était pas respectée et à cause de la population qui le squattait.  

Il y avait ce manque de matériel, ce manque de médicament : antibiotiques, anesthésiants, anticonvulsivants et j’en passe. Tout manquait, on travaillait sans laboratoire, il n’y avait rien pour identifier les microbes, rien pour les examens des urines qui permettent de faire un suivi des infections ... C’est catastrophique.  

C’est vraiment inimaginable, surtout pour nous. On est habitué à avoir tous les examens, qui sont nécessaires, ce n’est pas un luxe. Et cela que ce soit pour la prise en charge des patients ou des blessés.  

Parfois on avait des pratiques de guerre. C’est le tri. On évalue qui a le plus de chances de vivre, on le prend en charge et on laisse l’autre malheureusement mourir tranquillement. Et ça, c’était du quotidien... c’est le tri, le triage.  

Vous évoquez également des malades oubliés ...  

Il y a 350.000 malades chroniques qui sont totalement abandonnés. Il n’y a aucun soin, aucun suivi, aucun accès parce que priorité aux bombardements, priorité aux blessés.  

Il n’y a pas d’insuline pour les diabétiques, pas de chimio pour les malades de cancer, tous les malades aussi de psychiatrie. Il y a une souffrance psychologique énorme, des gens qui n’arrivent pas à dormir, des gens qui sont en sidération, en dépression. Tous ces malades sont totalement abandonnés à eux-mêmes.  

Il y a également la famine. Les choses se dégradent. Il y a la famine partout. Un enfant ne mange pas pendant un jour sur trois nous dit-on. On ne trouve pas de quoi manger. A l’hôpital il y avait droit à un repas par jour, pour les malades et pour le personnel soignant, c’était du riz tous les jours. Pour les blessés c’était insuffisant pour permettre une cicatrisation. Donc il y avait toujours un retard de cicatrisation et donc des infections.  

Certains médecins de retour de Gaza parlent d’une ghettoïsation, d’extermination, parfois même de génocide, est-ce que ce sont des images que vous partagez ?  

On est revenu début février et on était tous unanimes sur le besoin d’un cessez-le-feu, pour apporter de l’aide, pour apporter les soins, le secours et un minimum de sécurité. 

Les hôpitaux étaient ciblés, bombardés. La population médicale, plus de 205 médecins ont été tués, une centaine d’infirmiers, des secouristes. En tout entre 500 et 600 secouristes, infirmiers, soignants, agents hospitaliers ont été tués ainsi que des médecins.  

Ce sont des gens qui sont protégés par les conventions internationales de Genève, les hôpitaux c’est la même chose. Et malgré cela, il n’y a pas eu de débats, d’appels, de sursauts, pour dire que l’on passait outre le droit international, de passer outre des valeurs humanitaires les plus basiques. Et on se tait et le cessez-le-feu humanitaire n’a pas été fait.  

Pour moi ce n’est pas un débat, c’est un constat, on avait une population civile qui n’était pas armée, c’était le pot de terre contre le pot de fer. Ce sont des femmes et on a des images, des vidéos, des témoignages du terrain qui montrent que ce sont des gens qui sont ciblés par des tirs cadrés. Et un enfant n’avait pas d’arme, ce n’est pas possible. Et ça on a des dizaines, et des dizaines d’images, de photos, de vidéos.  

Le terrain et les faits parlent d’eux-mêmes, je n’ai pas besoin, je n’ai pas besoin d’étymologie. C’est une-extermination, je dirais oui, c’est une martyrisation, je dirais oui. Après est-ce que c’est un génocide ou non, c’est quoi la différence ?  

Vous êtes de retour, quel sentiment domine après avoir vu ce que vous avez vue et est-ce que ça a changé votre vision de la médecine ? Est-ce que ça vous a impacté directement dans votre façon de pratiquer la médecine ?  

Ça nous a tous impacté, toutes les équipes qui sont passées, tous les collègues qui sont partis. Ça a changé notre regard par rapport aux situations humaines, par rapport à la pratique de la médecine, par rapport aussi à notre vie personnelle.  

On était en face d’un drame, en face de choses qui dépassent toute imagination et c’est sûr que cela change la vie d’un homme ou d’une femme. Je regarde autrement mon travail, mes besoins qu’avant que je ne sois parti à Gaza.  

Pourquoi il est important pour vous de témoigner ?  

Parce que je me sens concerné en tant qu’humain, en tant que soignant, en tant que médecin. C’est la moindre des choses, c’est de témoigner. Je vais y aller, je vais en soigner quelques-uns, en sauver quelques-uns, mais je ne serai pas déterminant dans la prise en charge ou pour changer la situation.  

C’est aussi ce que m’ont demandé mes collègues palestiniens sur place : “Merci d’être venu et de nous avoir aidé, mais s'il y a quelque chose qui pourrait être utile, ce sera le témoignage. C’est parlé.” 

Et je me dis qu’après, on ne pourra pas dire que l’on n'était pas au courant comme dans les années 30 ou 40. Tout le monde est au courant. On ne peut pas dire que c’est loin de chez nous, parce qu’il n’y a plus de distance, tout crime, tout génocide, ou drame humanitaire qui survient à n’importe quel point du globe, ce qui nous en sépare c’est la distance entre la pulpe d’un doigt et l’écran. Quand on tape sur l’écran, on sait tout. C’est le droit le plus élémentaire de l’humanité, c’est le droit d’existence.  

Qu’est-ce que vous attendez de la communauté internationale ?  

J’attends qu’elle reprenne ses responsabilités, son devoir d’actions, son devoir d’ingérence qu’elle a réclamé pendant des années. Ou est ce devoir ou ce droit d’ingérence face à une petite population qui se fait exterminer depuis des années ? On décime sa jeunesse de jour en jour et ça continue. C’est juste intenable.  

Il suffit de s’ouvrir un peu, se pencher un peu sur la question pour dire, ce n’est pas possible de vivre ça et ce n’est pas possible de tolérer ça. Ce n’est pas possible de participer à ce qu’il se passe par son silence ou par son action. La communauté internationale occidentale européenne et américaine participe d’une façon ou d’une autre : nos impôts, les armes, l’argent. C’est juste intenable.  

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