Pas d'alliance de la gauche, cette année, aux élections territoriales en Corse. Michel Stefani, qui mène la liste du Parti communiste, doit notamment faire face à un défi : obtenir le retour de sa formation sur les bancs de l'Assemblée de Corse. En 2017, elle n'a obtenu aucun siège.
Un café, des journaux et des amis. C'est au Royal Bar, à Bastia, que Michel Stefani, tête de liste "Campà Megliu in Corsica/Vivre mieux en Corse" (PCF), commence ses journées. "C'est un moment de réflexion et de convivialité. Le rendez-vous a été interrompu pendant quelques mois, mais nous reprenons gentiment", rit-il.
Une fois la presse épluchée, direction le siège de la fédération du parti communiste. Michel Stefani y prépare les futures actions et initiatives de la section ou écrit pour le mensuel "Terre Corse".
L'engagement du secrétaire fédéral du parti communiste commence en 1976. Michel Stefani a 16 ans, débute son apprentissage de métallier au sein de l'entreprise Femenia Fabrication, spécialisée dans les machines à vendanger et la fabrication de cuves, et prend sa carte à la CGT. Un an plus tard, il adhère au PCF.
"Tout acquis social ne vient pas du ciel"
Les idées et les valeurs du parti lui sont familières. Son père est déjà militant communiste et membre du même syndicat. Pour autant, Michel Stefani refuse de parler d'un "engagement naturel" et défend un "choix réfléchi". "Il était question des conditions de travail de la classe ouvrière. Je me suis rendu compte de la nécessité de s'organiser car tout acquis social ne vient pas du ciel et s'obtient grâce au combat et à la mobilisation", explique-t-il.
Son premier grand combat arrive vite. Au début des années 1980, Femenia Fabrication est en difficultés. Alors secrétaire CGT de l'entreprise, Michel Stefani se lance dans une bataille qui durera quatre ans. Sans succès. "En 1987, malgré un plan de relance, 107 des 150 employés ont été licenciés économique. J'en faisais partie", raconte-t-il.
Sous ses aspects réservés, Michel cache beaucoup de sensibilité et d'empathie, des qualités qui expliquent son engagement.
C'est à cette période qu'il croise le chemin de Francis Riolacci, également membre de PC, ancien adjoint à la mairie de Bastia. "Sous ses aspects réservés, Michel cache beaucoup de sensibilité et d'empathie, des qualités qui expliquent son engagement. Il est parvenu à transformer l'élan du cœur en sérieux et en rigueur. Son esprit de responsabilité est reconnu de tous, et il se traduit par ses fonctions à la tête du PC en Corse mais aussi par toutes les situations auxquelles il a fait face ces dernières décennies", confie-t-il.
L'enjeu du coût de la vie
Des décennies particulièrement foisonnantes au plan politique. Encore militant, Michel Stefani participe à sa première campagne électorale aux élections législatives de 1981 auprès de Pierre Guidicelli. "C'était une personnalité avec un grand rayonnement avec un passé de Résistant. J'avais beaucoup de respect pour lui, je ne peux pas dire qu'il m'impressionnait parce que ça ne lui aurait pas plu, mais il en imposait de par ses réalisations au service de l'intérêt général", livre-t-il.
En 1986, il fait son entrée à l'Assemblée de Corse qu'il arpentera une première fois jusqu'en 1992. Des mandats marqués, en 1989, par "le plus grand mouvement social qu'ait connu l'île". Ici, la vie est plus chère que sur le continent et la population réclame une prime d'insularité.
Alors que Paris reste sourd aux revendications, à la fin du mois de mars, la situation dégénère. Jusqu'à 10.000 personnes déferlent dans les rues. Les ports et aéroports sont bloqués. Le gouvernement Rocard finit par céder et accorde, le 3 mai, la prime tant réclamée. "Ce sont des revendications que l'on retrouve encore aujourd'hui, l'alimentation est plus chère, sans parler du carburant, rien ne va dans l'intérêt du consommateur", estime Michel Stefani.
2017, année noire
Il retrouvera une nouvelle fois les bancs de l'Assemblée en 1998. Durant cette période, il siège aux côtés de Paul-Antoine Luciani, élu territorial communiste jusqu'en 2004. Dorénavant élu au conseil municipal d'Ajaccio, il se souvient du poids des prises de parole de Michel Stefani dans l'hémicycle. "Ce n'est pas un opposant systématique et bestial, il respecte sa ligne. C'est un expert de la question des transports, surtout maritimes. Et lorsqu'il s'exprimait sur ces sujets, ce qui m'a marqué, c'est que tout le monde se taisait parce qu'ils savaient qu'ils allaient apprendre quelque chose", se souvient Paul-Antoine Luciani.
Une expertise qui conduit Michel Stefani à la tête des chemins de fer de la Corse durant cinq ans, entre 2011 et 2016. Et là aussi, son sens de la gestion et ses compétences laissent une image unanime dans son camp. "Sa présidence a été remarquable. Il y a été d'une transparence totale et d'une discipline absolue. Ce dernier point est d'ailleurs quelque chose qu'il s'impose dans sa vie personnelle. Il était proches des ouvriers, car lui aussi vient de là", continue Paul-Antoine Luciani.
En 2010, la gauche remporte les élections territoriales avec près de 37 % des voix. Un résultat rendu possible grâce à l'alliance formée, notamment, entre la liste du Parti socialiste menée par Paul Giacobbi et la liste PCF menée par Dominique Bucchini. Les élus de gauche occupent alors 24 sièges à l'assemblée. Sa présidence est confiée à la tête de liste communiste jusqu'en 2015. À cette date, l'union de la gauche perd sa majorité aux élections territoriales (28.49 % des voix) et la laisse, lors d'une première historique, à la liste nationaliste menée par Gilles Simeoni (35.34 % des voix).
Deux ans plus tard, pourtant, tout s'arrête. Aux élections territoriales, la liste commune PCF-France Insoumise ne dépasse pas les 6 %. Les élus communistes disparaissent de l'Assemblée de Corse. Une première depuis 1982. "Un tel recul n'est jamais facile, pas pour nous, mais pour les idées que nous portons, pour l'intérêt général et tout ce que ça implique", raconte Michel Stefani.
Pour Paul-Antoine Luciani, la faute revient entièrement à Jean-Luc Mélenchon qui s'est opposé à l'alliance. "Nous l'avons très mal vécu. Mélenchon a désavoué la liste de la France Insoumise et a tout fait pour que les gens ne votent pas pour elle. On a essayé de faire face à cette défaite, mais on a pris un sacré coup", lâche-t-il sévèrement.
La "trahison" de Jean Zuccarelli
Après cet échec, le parti communiste doit faire face à une nouvelle déconvenue. En 2020, lors des dernières élections municipales, le parti radical de gauche, son allié historique depuis 40 ans à Bastia, rompt le pacte. Au second tour, Jean Zuccarelli, tête de liste "Choisir Bastia" où figurent des communistes, décide de s'allier à Jean-Sébastien de Casalta, leader d'une liste de gauche, et Jean-Martin Mondoloni, de la droite régionaliste. Ils forment l'alliance : "Unione per Bastia". Opposés à union, les colistiers communistes de Jean Zuccarelli se retirent de la campagne. Michel Stefani fustige une "trahison" et décrit cet accord de "pantalonnade". Il appelle au vote blanc ou au boycott du second tour.
Un an plus tard, l'amertume est toujours vive pour le secrétaire fédéral du parti communiste. Sa fierté : "avoir su garder une cohérence et une constance" dans son engagement politique. Des qualités dont il souligne l'absence au sein du parti radical de gauche dont quelques-uns se lancent cette année dans la course aux territoriales sur la liste de Jean-Charles Orsucci, "Corse, terre de progrès". Contacté, Jean Zuccarelli n'a pas donné suite à nos sollicitations. Le vice-président du mouvement radical de gauche, Jean-François Paoli, présent sur la liste du maire de Bonifacio, préfère quant à lui faire appel à son droit de réserve.
Malgré ces déroutes, Michel Stefani, n'en démord pas. "Toutes les conquêtes sociales se sont faites lorsque le parti communiste avait de l'importance. On parle souvent de 1936, mais il y a aussi eu 1945 avec la sécurité sociale ou encore 1981 avec notamment la retraite à 60 ans. Et notre objectif aujourd'hui est d'amener une vraie réponse de gauche en Corse, et redonner un espoir", détaille-t-il.
Le communiste se lance donc une nouvelle fois dans la bataille. Son vœu : faire revenir les préoccupations quotidiennes des Corses au centre des débats.