Alors que nouvelle DSP de desserte aérienne entre en application le 25 mars, avec une baisse notable des tarifs résidents, une polémique enfle sur les réseaux sociaux : les modalités de contrôles de la qualité de "résident" Corse empêcheraient les insulaires issus de la diaspora d'en profiter.
"C'est comme si on venait me voir et qu'on me disait : voilà, c'est fini, tu n'es plus Corse." Marina ne décolère pas. Depuis 3 ans, cette Ajaccienne d'origine réside et travaille en région parisienne. Un choix pris "un peu à contre-coeur" pour rejoindre son compagnon, qu'elle arrivait jusqu'ici "à assumer" à raison de plusieurs retours annuels sur l'île de beauté.
Je suis rayée du tarif résident. Et plutôt que de profiter des baisses de prix qu'ils annoncent, je vais devoir payer le double ou le triple pour pouvoir rentrer.
Un luxe qu'elle ne pourra peut-être bientôt plus se permettre : avec l'entrée en application de la nouvelle DSP (délégation de service public) de desserte aérienne de la Corse le 25 mars prochain, la trentenaire ne sera plus éligible au tarif résident préférentiel. "Jusqu'ici, il me suffisait de montrer mon lieu de naissance sur ma carte d'identité et c'était bon. [ndlr : c'est plus précisement le lieu de résidence principale, qui, pour l'heure, donne droit au tarif] Sauf qu'à présent, on nous indique que ça dépendra de l'adresse indiquée sur notre déclaration d'impôts seulement."
Problème, Marina perçoit l'intégralité de ses revenus dans la capitale française. "Résultat : je suis rayée du tarif résident. Et plutôt que de profiter des baisses de prix qu'ils annoncent, je vais devoir payer le double ou le triple pour pouvoir rentrer."
Tarifs "excessifs"
Une frustration partagée par de nombreux Corses de la diaspora, habitant sur le continent ou à l'étranger. Et si ces changements de lieu résidence peuvent être volontaires, comme c'est le cas pour Marina, pour d'autres, ils sont contraints.
Ainsi, de nombreux professeurs formés et éduqués en Corse seraient mutés contre leur gré sur le continent, et ce pour plusieurs années avant de pouvoir revenir travailler en Corse. Isabelle* est ainsi en poste à l'académie de Créteil depuis 5 ans. Son époux, lui dans la même situation, s'y trouve depuis 12 ans maintenant. Tous deux professeurs et respectivement originaires d'Ajaccio et de Bastia, ils affirment ne pas avoir choisi cette domiciliation.
Je travaille à Créteil, mais ma famille, mes amis, tout est en Corse
"Je travaille à Créteil, mais ma famille, mes amis, tout est en Corse" argue-t-elle. Sauf qu'avec la perte du tarif résident, couplé d'une augmentation récente du prix des billets reliant la Corse à l'Hexagone, "ça devient presque impossible pour nous de rentrer". Le couple a récemment effectué une simulation pour démontrer les prix "excessifs" : ainsi, pour un aller-retour Bastia-Paris planifié durant les vacances d'avril et sans tarif préférentiel, il leur faudrait débourser plus de 900€, contre 250€ auparavant.
"Assurer le lien imprescriptible que tous les Corses ont avec leur terre"
Une analyse que confirme Jean-Baptiste Santini dans une lettre datée du 19 février et adressée au président du conseil exécutif de la collectivité de Corse. Avocat basé à Paris, il se dresse dans cette dernière contre les "effets pervers et profondément injuste d'une telle mesure pour un grand nombre de Corses qui se verront ainsi privés du bénéfice de la solidarité nationale". "Concrètement, analyse-t-il, cela signifie qu'un Corse résident fiscal sur le continet ou a l'étranger devra s'acquitter de 500, 600 voire 700€ (les tarifs non compensés ayant augmenté) pour rentrer chez lui".
Rien à ajouter de plus ??? On attend votre réponse @IsulaCorsica @Gilles_Simeoni pic.twitter.com/CmORA89Mv2
— Stéphane Berti (@sberti2b) February 20, 2020
"Votre majorité souhaite-t-elle créer des Corses "fiscaux", des Corses "administratifs", des Corses de "papier" en somme, ou des Corses de mémoire, d'esprit, de valeurs, et d'ambition ?" interroge l'avocat.
Si Jean-Baptiste Santini reconnaît les "dérives" existantes autour du tarif résident - le "détounement du tarif résident par des "résidents" secondaires liés à la Corse par les considérations d'ensoleillement"-, il estime en être de la responsabilité politique de Gilles Simeoni, et dans l'ensemble, des élus corses, de "mobiliser des solutions innovantes [...] afin d'assurer le lien imprescriptible que tous les Corses ont avec leur terre."
"Les Corses de la diaspora ne doivent pas être pénalisés"
Des complaintes auxquelles Jean-Guy Talamoni a répondu jeudi 20 février. Dans un communiqué, le président de l'Assemblée de Corse explique avoir saisi Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de Corse, et Vanina Borromei, présidente de l'Office des transports de la Corse, sur la "nécessité d'adapter sans tarder le dispositif afin qu'il ne soit pas pénalisant pour les Corses de la diaspora".
Tarifs dans l'aérien : les Corses de la diaspora ne doivent pas être pénalisés ⤵️ pic.twitter.com/of5jq7akMG
— Jean-Guy Talamoni (@JeanGuyTalamoni) February 20, 2020
Jean-Guy Talamoni propose ainsi de "réintégrer ces derniers parmi les bénéficiaires du tarif préférentiel à travers le dispositif du « centre des intérêts matériels et moraux », lequel existe déjà en droit français et comporte un certain nombre de critères permettant de prouver le lien avec le territoire : lieu de naissance, lieu de naissance des ascendants, lieu de scolarité obligatoire, lieu de sépulture des ascendants." Des critères déjà appliqués en Outre-Mer depuis plusieurs dizaines d’années.
Une annonce qui rassure au sein de la diaspora corse. Mais la prudence reste cependant de mise : "C'est une nouvelle que j'accueille positivement, bien sûr, mais j'attends encore de voir ce que ça va donner" indique ainsi George Attard.
Né à Corte, ce quinquagénaire, qui se considère comme un "Corse expatrié", réside depuis six mois à Toulouse pour des raisons professionnelles. Depuis son départ, George Attard revient régulièrement sur l'île de beauté. Notamment pour rendre visite à sa fille, en situation de handicap, et qui ne peut donc pas faire le déplacement seule.
Aujourd'hui les tarifs ne sont pas abordables, et pénalisent vraiment les familles qui sont séparées
"Je rentre toutes les vacances scolaires pour la voir, l'aider, et soulager un peu sa mère qui s'en occupe le reste du temps. Mais c'est un budget conséquent qui fait que je ne peux pas le faire aussi souvent que je le voudrais. Si je pouvais avoir accès au tarif préférentiel, ce serait une autre histoire." Un tarif minoré qui lui permettrait aussi d'emmener avec lui son fils dans ses visites. "Aujourd'hui les tarifs ne sont pas abordables, et me contraignent à faire des choix économiques et donc partir seul. C'est quelque chose qui pénalise vraiment les familles qui sont séparées. On se sent exclus de ces nouvelles mesures, comme stigmatisés. Moi je ne viens pas en Corse en vacances et pour le soleil, mais pour venir aider ma fille."
George Attard a déjà pris son prochain billet pour la Corse. Un trajet qu'il effectuera en bateau plutôt qu'en avion, budget oblige. En espérant pouvoir bientôt à nouveau bénéficier de tarifs minorés.
*le prénom a été modifié