Score du Rassemblement National en Corse : "j'ai voté Marine, mais je ne vous dirai pas pourquoi"

Comme en 2017, Marine Le Pen est arrivée en tête en Corse au premier tour de la présidentielle 2022, avec 28,6 % des suffrages. Nous sommes allés à la rencontre des insulaires qui ont choisi le Rassemblement National.

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A l'entrée du hameau de Barchetta, sur la RN 193, le panneau signalétique qui indique le chemin à suivre pour rejoindre Volpajola a été bombé, pour que n'apparaisse plus que le nom de la commune en langue corse, A Vulpaiola. Sur la route, les tags à la gloire de la lutte clandestine, et les inscriptions réclamant le départ de la France ne manquent pas. 

56 % des voix à l'extrême-droite

Quatre kilomètres plus loin, on entre dans le village. En ce week-end de Pâques, rien ne bouge, ou presque, mais les voitures garées devant les maisons sont nombreuses. A une demi-heure de Bastia, Volpajola est loin d'être abandonné par les siens. La commune compte un peu plus de 350 habitants. Et dimanche dernier, pour le premier tour de la Présidentielle, 210 d'entre eux se sont déplacés jusqu'à la mairie, pour glisser leur bulletin dans l'urne. 

Au sortir du dépouillement, Marine Le Pen affichait un score spectaculaire de 37,37 %. Eric Zemmour enregistrait 16,84 % des voix. Nicolas Dupont-Aignan fermait la marche avec 2,11 % des votes. En tout, ce sont 107 personnes, soit 56,37 % des votants, qui ont choisi de donner leur voix au RN, dont les slogans, sur les affiches qui tapissent l'île, sont "La France qu'on M", et "Rendre aux Français leur pays"... 

Sans surprise, les rares personnes que nous croisons, marchant sur le bord de la route, rechignent à nous parler de leur vote. Hervé*, qui fait partie des 24 personnes qui ont voté Macron, s'en amuse. "Plus grand monde ne se cache d'avoir voté Le Pen, au bar ou en famille. Mais avec les journalistes, c'est différent. Pour eux, vous êtes contre Marine, et vous allez les juger"

Ils ont peur des migrants, ils n'en dorment plus la nuit.

Hervé

Un septuagénaire, devant la supérette de Barchetta, l'avoue pourtant sans peine. Avant d'éclater de rire : "vous voulez savoir pourquoi, c'est ça ? Eh ben je vous le dirai pas !" Hervé hausse les épaules. "Moi je vais vous le dire, pourquoi... Ici comme ailleurs, ils ont peur des migrants, ils en dorment plus la nuit. On n'en a pas un, de migrant, à Volpajola, mais bon..."

Contestation ou conviction

Maurice Vescovacci, élu de la municipalité, a un avis plus nuancé. "Ce score ne m'interpelle pas vraiment. C'est plus un vote contestataire qu'un vote de conviction. Beaucoup de jeunes du village qui ont voté Marine Le Pen voteront nationaliste aux prochaines Législatives. Il n'y a pas vraiment de conscience politique. Beaucoup de ces votes sont des votes d'entraînement, après des discussions de comptoir..." Une position qui rejoint celle d'Andria Fazi, que nous avions interrogé au lendemain du premier tour.

Même si, pour le politologue, il convient d'analyser cet effet de balancier avec prudence : "la porosité existe, on connaît tous des gens qui font ce double vote. Le problème, c'est de quantifier cette porosité. Et quand on regarde les 360 communes de Corse, on s'aperçoit qu'il n'y a pas de corrélation statistique entre le vote Le Pen, ou d'extrême droite, à la présidentielle, et le vote nationaliste aux territoriales".

Néanmoins, une chose est sûre. L'époque où Jean-Marie Le Pen était interdit de séjour en Corse semble bien lointaine. 

A Volpajola, la popularité de Marine Le Pen n'est pas nouvelle. En 2017, elle avait recueilli 37 % des suffrages au premier tour. Et en 2012, 40 %. La principale différence, c'est l'effondrement du vote de droite, et la poussée d'une nouvelle figure de l'extrême-droite. En 2022, dans les urnes, Eric Zemmour a remplacé Nicolas Sarkozy ou François Fillon. Et le courant de pensée de ce que l'on appelle désormais "la droite radicale" progresse.  "C'est lié à ce qu'on voit à la télévision, ça ne repose pas vraiment sur une réflexion. On oublie l'Histoire, quand on vote pour ce courant politique". 

On fait miroiter aux gens je ne sais quoi...

Maurice Vescovacci

Maurice Vescovacci est aujourd'hui deuxième adjoint au maire. Il a été premier édile de la commune entre 2014 et 2020. Et s'il s'est présenté sans étiquette, il ne cache pas qu'il est de sensibilité de gauche :  "ça me fait du mal, de voir les résultats des élections. J'aimerais bien que les gens réfléchissent plus aux conséquences, mais ils se focalisent sur la baisse de leur pouvoir d'achat. Et on leur fait miroiter je ne sais quoi..."

Ruraux ou urbains, jeunes ou vieux

La déferlante Bleu marine ne s'est pas abattue uniquement sur Volpajola. A Murraciole, ce sont 42,86 % des suffrages qui se sont portés sur Marine Le Pen. A Olmeta-di-Tuda, c'est 37,70 %. A Piazzole, 39,47 %. à Appietto, 35,72 %, à Poggio-Mezzana, 35,48 %, à Fozzano 35,92 %, à Arbellara, 45,45 %. La série est sans fin.

Certains tentent de minimiser ces chiffres, arguant de la petite taille des communes, et du nombre d'inscrits réduit qui fait vite monter les pourcentages. C'est un argument recevable, mais qui semble un peu court lorsque l'on jette un coup d'œil aux résultats dans les villes. 

A Ajaccio, le RN réunit 6.717 voix, soit 30,56 % des suffrages. A Porto-Vecchio, le parti a convaincu 27,92 % des votants, 23,65 % à Corte, 30,99 à Calvi, 29,30 % à Bastia. Et dans chacune de ces communes, Marine le Pen a viré en tête, et parfois très largement. 

Sur le plan régional, c'est donc logiquement le cas aussi. Le Rassemblement National, fort de 28,59 % des suffrages, surpasse nettement son score de 23,1 % dans l'ensemble de la France, confirmant son statut de première force politique nationale sur une île dirigée par les nationalistes.

Préférence Nationale

Sur le chemin du retour, nous traversons les communes du sud de Bastia, bien plus urbanisées. Et qui se sont tournées, dans les mêmes proportions, vers Marine Le Pen. A Lucciana, à 38 %. A Borgo, à 30 %. A Biguglia, à 39,99 %. Et à Furiani, 35,59 %.

Nous avons rendez-vous à Biguglia, dans un café, avec Antoine, 46 ans. Lorsque nous arrivons, le cadre supérieur fait défiler l'écran de son smartphone avec un sourire narquois : "en 2002 ils étaient un million et demi, vingt ans plus tard ils sont quelques milliers à manifester, dans toute la France" . Lorsque le pays était descendu dans la rue, entre les deux tours, pour faire barrage à Jean-Marie Le Pen, qui avait accédé au second tour face à Jacques Chirac, Antoine avait une vingtaine d'années. Il était étudiant et il avait voté pour ce que l'on appelait alors le Front National. Deux décennies plus tard, le nom sur le bulletin a changé, mais pas son vote. 

Y en a marre, de cette diabolisation.

Antoine

"Y en a marre, de cette diabolisation. Là où je travaille, celles et ceux qui votent à gauche, ou écolo, ou Macron, le disent en permanence, commentent tout ce qu'il se passe, et on n'entend jamais personne dire haut et fort qu'il vote à droite, et même à l'extrême-droite. Et après y a la moitié de la Corse qui vote pour elle". Antoine en est sûr, il connaît même des gens qui affirment vouloir faire barrage au RN, et qui, dimanche, voteront pour Marine Le Pen. 

Quand on lui demande pourquoi il a choisi ce camp, le quadragénaire répond sans user de faux-fuyants. "L'immigration, déjà. Y en a trop, c'est comme ça. Tout le monde le sait, et personne n'ose le dire. A part elle". Les moyens mis en place, les propositions, les conséquences possibles, Antoine n'en a que faire. Ce qu'il veut, lui, se résume à une chose : qu'il y ait moins  "d'Arabes". "La Sécu, les allocs, les aides dans tous les sens, c'est de l'argent qu'on brûle, et qui ne revient pas aux gens de chez nous". Notre interlocuteur tape du plat de la main sur la table. "La préférence nationale. C'est tout. Et je ne comprend même pas que ça choque"

Précarité

Dans ces communes urbaines, les langues se délient plus facilement qu'à Volpajola. Avec une seule condition, presqu'incontournable. Pas de photo, et pas de prénom. Nous ne sommes pas parvenus, en revanche, à obtenir le témoignage d'une électrice ou d'un électeur assumant à la fois ses votes nationaliste et RN...

Chez la plupart des électrices et des électeurs de Marine Le Pen, une constante : l'envie de changer. Cathy*, cheffe de rayon dans une grande surface, le confirme : "ils sont tous pareils, Hollande, Macron, Sarkozy...Ils me dégoûtent. On a tout essayé, et ça sert à rien. Les gilets jaunes, les manifestations, il [Emmanuel Macron -NDLR] n'écoute rien. Marine, elle, elle nous entend". Alors ils espèrent, à toute force, que dimanche prochain, la candidate du RN, cette fois-ci, transformera l'essai.

Les gens votent selon leur intérêt, et leurs priorités.

André

A Lupino, quartier populaire de Bastia à la forte population d'origine étrangère, les résultats du Rassemblement National interpellent. Dans la plupart des bureaux de vote, le parti rassemble entre 38 et 45 % des suffrages. Mais, assure André, membre d'une association qui œuvre dans le quartier, ce n'est pas uniquement lié à la peur de l'immigration. "Ce sont les pauvres, qui votent pour Le Pen. Et en Corse, des pauvres, on en a. Les gens sont au chômage, le niveau de vie est au ras du sol, celles et ceux qui travaillent ne veulent pas partir à la retraite à 100 ans... Les gens votent selon leur intérêt, et leurs priorités. Qu'ils votent Mélenchon, Jadot ou Macron. C'est pareil pour Le Pen. Et son discours, il séduit beaucoup de monde, c'est comme ça". 

Lorsque nous avons évoqué les pans du programme de Marine Le Pen qui animent les débats de cet entre-deux-tours, sur l'Europe, les éoliennes, les rapports avec la Russie, la guerre en Ukraine, et la composition d'un possible gouvernement, les réponses se sont souvent résumées à de simples haussements d'épaule. Apparemment, ce n'est pas sur ces questions-là, en Corse comme ailleurs, que se jouera le vote des électeurs et des électrices du Rassemblement National, dimanche prochain. 

*Les prénoms ont été modifiés

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