Dans une exposition qui aura lieu du 15 décembre à la mi-avril 2015, Anna, une lilloise d'une quarantaine d'années, et 600 tricoteuses du monde entier, rendent compte de ce qu'a été la Grande Guerre via 750 petits soldats en laine.
Des kilomètres de fil pour habiller une armée de 750 petits soldats en laine : depuis début janvier, 600 tricoteuses et un tricoteur, qui ont répondu présent dans le monde entier, croisent leurs aiguilles pour raconter la Grande Guerre et ses ravages, avant une exposition à La Piscine de Roubaix (Nord).
Derrière cet ambitieux projet nommé "Wool War One", Anna, petit bout de femme d'une quarantaine d'années originaire de la banlieue lilloise : elle s'illustre depuis mai 2011 et l'affaire DSK, à New York, en tricotant des personnages représentant des vedettes de l'actualité, accompagnés de textes caustiques, pour son blog "Délit Maille".
Quand le musée La Piscine lui donne carte blanche pour réaliser une exposition avec de petits bonhommes de laine sur le thème de la guerre, Anna hésite, de "peur qu'il y ait un décalage entre la gravité du sujet traité et le caractère un peu dérisoire du tricot".
Mais après s'être promenée dans les cimetières militaires de la Somme, la quadragénaire change d'avis. "Quand on y entre, on a une énorme claque, on se dit "mais il y a combien de tombes ?" Et quand on s'approche, on voit l'âge des soldats, c'étaient des gamins. Je me suis dit qu'il y avait matière à traduire l'idée de nombre, en faisant une armée la plus longue possible (750 soldats répartis sur 17 mètres de long, ndlr), et avec les petits personnages en laine montrer leur vulnérabilité".
Pour que cela ne tourne pas "à la commémoration patriotique", Anna prend soin de sélectionner, parmi les 600 réponses qu'elle reçoit en trois jours, des tricoteuses dans le monde entier. Et si son armée sera constituée majoritairement de Poilus de la guerre de 1914-18, il y aura aussi des tirailleurs sénégalais, des Belges, Allemands, Russes, Américains, Brésiliens ou encore Chinois.
"L'impression qu'ils sont vivants"
Chaque tricoteuse - ainsi que l'unique tricoteur, un Breton, "le premier à s'être inscrit" - a déjà reçu sa pelote de laine et s'est vu assigner sa pièce de vêtement à confectionner, de la vareuse au casque, de la ceinture à la chaussure. Après six mois de tricot intensif, les petits corps nus commencent à être habillés, lors de "Woolstocks", des rassemblements un petit peu partout en France permettant à Anna de rencontrer ses petites mains."On a tous dans la famille quelqu'un qui a fait cette guerre. Et pour moi, en tant qu'Alsacienne, ça me touche encore plus parce que mon grand-père était Allemand à l'époque", témoigne Agnès, lors d'une séance d'assemblage à la Manufacture des Flandres de Roubaix, base arrière du projet.
"C'est un témoignage pour nos enfants, un devoir de mémoire. Et en même temps, c'est un projet super gai, ça dédramatise tout ça. Entre nous, on s'envoie des photos de famille, des cartes postales, c'est magique", s'enthousiasme Beatriz, une Bruxelloise d'origine espagnole, venue aider aux finitions.
En passant entre les tables recouvertes d'aiguilles, de pelotes et de pièces de vêtement, Anna, des boîtes remplies de gâteaux maison dans les mains, se réjouit que "ce projet ait créé des liens, sans le caractère plombant de la guerre". "Le fil pour faire du lien, il n'y a pas mieux. Et là, il y a le lien entre les
femmes qui tricotaient des pulls et des chaussettes pour les soldats au front, et ces femmes de la deuxième, troisième, quatrième voire cinquième générations", souligne-t-elle.
Sur une petite table, tout près des métiers à tisser de la Manufacture des Flandres, quelques dizaines de "poupées en laine" de quinze centimètres de haut fourrées de ouate attendent d'être exposées, à partir du 15 décembre et jusqu'au 12 avril 2015, à La Piscine. Encore de longues heures de tricot en perspective et des journées d'angoisse pour Anna, qui n'assemblera son oeuvre "que quelques jours avant l'exposition".
"Cette colonie de bonhommes est incroyable. On a les mêmes patrons, mais chacun est différent, a sa personnalité. Et quand on les regarde, on a l'impression qu'ils sont vivants", confie Agnès, l'une des tricoteuses.