Les numéros 5 et 6 de la distribution français Auchan et Système U ont annoncé jeudi qu'ils allaient désormais s'allier pour acheter leurs produits en commun auprès de leurs fournisseurs et ainsi peser davantage dans la guerre des prix entre enseignes.
Ce partenariat prendra la forme d'un "accord de coopération à l'achat" lors des négociations commerciales qui vont s'ouvrir en octobre en vue de fixer les tarifs pour 2015, ont indiqué les deux groupes dans un communiqué commun. Concrètement un mandat de négociation sera confié à Eurauchan (centrale d'achats d'Auchan, ndlr) par Système U pour discuter les tarifs des produits de marques nationales et internationales "à l'exception des produits frais traditionnels" et des produits de marque distributeur de chacune des enseignes. Ce mandat est assorti d'un "droit de participation aux négociations" qui permettra aux acheteurs de Système U de participer aux discussions aux côtés d'Auchan. Les deux groupes conserveront toutefois leurs propres centrales d'achats, et des politiques commerciales et stratégiques sur les assortiments, les prix et les promotions "totalement indépendantes", est-il précisé.
Cette alliance entre un groupe intégré (Auchan) et un indépendant (Système U) devrait permettre aux deux distributeurs de peser d'un poids plus important face aux géants de l'agroalimentaire. En effet, une fois réunis, les deux groupes auront une part de marché (PDM) supérieure aux deux ténors de la distribution en France, Carrefour et Leclerc. Selon les dernières estimations de KantarWorldPanel, Carrefour dispose d'une PDM de 20,6%, Leclerc de 20%, Auchan de 11,3% et Système U de 10,6%.
Mouvement inévitable
L'alliance de ces deux derniers acteurs va donc leur permettre de disposer d'un moyen de pression non négligeable pour inciter les fournisseurs à leur accorder des tarifs plus avantageux en faisant valoir auprès d'eux les débouchés et les volumes importants que cela pourrait leur permettre d'obtenir. Selon Yves Marin, expert consommation au cabinet Kurt Salmon, Auchan et Système U pourraient ainsi conjointement obtenir des réductions "de l'ordre de 0,5% à 1%". Si l'effet de ces baisses devrait être assez peu ressenti sur le porte-monnaie des consommateurs, il permettra à ces deux groupes de redorer un peu leur image-prix. Auchan et Système U sont aujourd'hui en moyenne entre 4 et 6% plus chers que leurs principaux concurrents.Depuis deux ans, les distributeurs français, notamment Leclerc, Carrefour et Casino, ont entamé une guerre des prix féroce pour tenter de s'attirer les faveurs des consommateurs au pouvoir d'achat contraint, et tenter ainsi de conserver voir d'améliorer leurs chiffres d'affaires malgré une consommation morose. Conséquence: le niveau des prix alimentaires recule de 0,8% depuis le début de l'année, selon le dernier relevé de l'Insee. Et les performances de certaines distributeurs s'en ressentent, avec soit des baisses de fréquentation et de volumes, les clients filant vers la concurrence, soit des marges en berne. Dans ce contexte, "il n'y a pas d'autres choix pour les distributeurs français que de participer à un phénomène de concentration, comme l'illustre le rachat en cours de Dia par Carrefour, soit de s'allier dans une massification des achats pour peser dans les discussions commerciales", analyse Rodolphe Bonnasse, directeur de CA Com.
Serge Papin, le président de Système U, avait d'ailleurs plusieurs fois déclaré qu'il fallait aujourd'hui atteindre le "seuil critique des 15%" de PDM pour véritablement peser dans les négociations et s'assurer une activité pérenne et rentable. Par le passé, certains groupes français avaient déjà noué de telles alliances pour des achats en commun (Système U et Leclerc dans les années 90, Cora et Casino), mais celles-ci n'étaient pas de même ampleur et n'avaient guère duré. En effet, estime M. Bonnasse, "l'équation va être assez fine à monter et à faire perdurer dans la mesure où, pour l'instant, Auchan et U vont être alliés dans les achats, mais rester concurrents dans le commerce". A supposer que les deux groupes en restent là. Car pour les analystes, il n'est pas exclu que cette alliance conjoncturelle sur les achats préfigure un rapprochement plus important sur le plan stratégique entre les deux enseignes. En dehors du premier effet de cette alliance sur le niveau des prix et les discussions avec les fournisseurs, "il n'est pas impossible dans un deuxième temps de voir apparaitre des synergies plus poussées, avec par exemple une globalisation des assortiments ou des temps forts promotionnels communs", estime Yves Marin. Mais si cela devait intervenir, "ce ne sera pas avant au moins l'an prochain", ajoute-t-il.