Le crime a été prescrit en 2005, laissant la mort de Brigitte Dewèvre, en 1972, inexpliquée. Aujourd'hui, un ancien de la Police Judiciaire publie un livre dans lequel il reprend l'enquête, sur la base d'éléments nouveaux. Il pense connaître l'identité du meurtrier.
L'enquête ne sera jamais rouverte, le crime a été prescrit. Pourtant, avec la publication de son livre Brigitte, histoire d’une contre-enquête, Daniel Bourdon espère "faire bouger les lignes", trouver la vérité sur la mort de Brigitte Dewèvre, en avril 1972. "Il y a eu des erreurs, des oublis dans l'enquête", explique l'auteur. "Très rapidement j'ai trouvé de nouveaux élements."
Pas de miracle pourtant, l'ancien de la PJ n'est pas un "super-flic", prévient-il. Mais le fils de Bruay-en-Artois, qui avait 12 ans au moment du crime, a pu, en quelques mois, reprendre l'enquête et pense avoir trouvé de nouveaux témoignages clés. Retour sur les faits.
La mort d'une adolescente
Printemps 1972. En ce petit matin, le corps d'une adolescente, fille de mineur, est retrouvé sans vie. Il s'agit de Brigitte Dewèvre, 15 ans. Grande, mince, la jeune fille est dite un peu sauvage. Avec ses parents, elle habite le coron de la fosse 4, à Bruay. La veille, elle est partie dans l'après-midi rejoindre sa grand-mère, sans jamais revenir.
Rapidement, ce crime fait la Une des journaux et devient une affaire médiatique. Jour après jour, les journalistes relatent les avancées de l'enquête tel un feuilleton policier. "Je la connaissais de vue, je n'habitais pas loin", explique Daniel Bourdon. "Mais il y avait ce partage, entre les enfants de bourgeois et les enfants de mineurs."
L'affaire dite de Bruay-en-Artois prend en effet un tournant social. La vie des mineurs redevient un sujet de débat sur la place publique, et les gueules noires de la région s'associent au parents de Brigitte pour réclamer justice. Quelques jours après le drame, un reportage met en avant la lutte de classes qui se joue alors à Bruay :
Un notaire arrêté, puis relâché
Si l'affaire prend à ce point une tournure sociale, c'est surtout à cause de l'arrestation d'un notaire, justement, de Bruay-en-Artois. Il s'appelle Pierre Leroy, habite dans les maisons bourgeoises, un peu plus loin. Sa Peugeot 504 a été trouvée non loin du lieu du meurtre.
Membre du Rotary Club, habitué des lieux de prostitution lillois, il est vite désigné comme le coupable et est incarcéré. Face à lui, le juge Pascal défend une "justice à ciel ouvert" et dévoile des éléments de l'enquête. Des reconstitutions ont lieu, on trouve des contradictions dans les dépositions.
Mais le 18 juillet 1972, la cour d'appel d'Amiens retire l'affaire au juge Pascal et fait relâcher Pierre Leroy, faute de preuves. "Le notaire ne peut mécaniquement pas être le criminel, mais ce n'est pas pour autant que tout est clair dans son récit", ajoute Daniel Bourdon, l'auteur du livre.
6 avril 1972 : l'affaire de Bruay-en-Artois éclate par France3Nord-Pas-de-Calais
L'enquête parallèle
Suite à ça, un deuxième homme, Jean-Pierre Flahaut, se dénonce à la police. Il a 17 ans, est orphelin et prétend détenir les lunettes de Brigitte, que personne, même les membres de sa famille, ne reconnaît. Il est relâché et reconnu innocent.
L'enquête est au point mort. L'affaire est classée sans suite en 1981.
C'était sans compter la patience de Daniel Bourdon. Après 35 ans passés dans la police, à Paris, l'auteur fait une rencontre décisive et décide de revenir sur les lieux du drame, les lieux de son enfance : Bruay-en-Artois. "C'est une dame que j'ai connu quand j'étais enfant et qui m'a subitement apporté un élement nouveau, décisif", explique l'écrivain.
Guidé par ces nouvelles indications, il part à la rencontre des habitants de Bruay, parfois sans liens apparents avec l'affaire. Pendant 17 mois, il recueille ainsi des éléments nouveaux. "Certaines preuves, certains témoignages, sont de notoriété publique, mais ont été mis de côté. Quand on les met ensemble, ça donne quelquechose", ajoute-t-il sans plus donner de précisions.
L'assassin évaporé dans la nature ?
Une enquête, à nouveau, qui lui permet d'arriver à une conclusion : il pense connaître l'identité de l'assassin. "Dans mon livre, j'ai utilisé un pseudonyme mais son nom apparaît dans l'enquête et tout le monde va le trouver. C'était quelqu'un d'anonyme, de bonne famille. Il était gardien de nuit dans une église, très intéressé par la religion", précise l'ancien policier.
D'après l'auteur, le jeune homme en question s'est évaporé dans la nature, au lendemain de l'arrestation de Jean-Pierre Flahaut. Signe de culpabilité ? C'est ce que pense Daniel Bourdon, même si alors on pense qu'il est simplement parti faire une retraite religieuse. Depuis, personne n'a eu la moindre nouvelle, "il est introuvable".
Et après ?
Pour se protéger juridiquement, Daniel Bourdon a modifié certains noms, notamment ceux des personnes qu'il met au cause. Officiellement, c'est un roman. Un roman dont la suite est déjà en cours de préparation. "Depuis la sortie du livre, plusieurs personnes m'ont contacté pour livrer leur version des faits", explique l'auteur. "Pour moi Brigitte Dewèvre est la victime collatérale d'un système qui s'est développé dans la ville de Bruay."
Système qu'il entend bien expliquer dans un nouveau tome, toujours d'après lui avec le soutien de la famille. "L'objectif de ce livre, ce n'était pas tant de rappeler les faits que de faire sortir de nouveaux témoignages", conclut Daniel Bourdon. L'auteur sera en dédicace ce vendredi dans un supermarché de Bruay. Son livre est également en vente sur internet.
Prescription : ce que dit la justice
Les délais de prescription varient en fonction des délits et des crimes. Pour un crime, il est en théorie de 10 ans, même si les délais peuvent être allongés, notamment pour les crimes sur mineurs.Jusqu'en 2008, le délai général de prescription en matière civile était de 30 ans, raison pour laquelle le crime de Bruay-en-Artois a été prescrit en 2005.
Peut-on revenir sur un crime prescrit ?
Non. Lorsqu'il y a prescription, l'action publique s'arrête. En clair, le juge ne peut pas, même si la personne avoue, ni la déclarer coupable, ni lui infliger une peine.
Seuls certains crimes échappent au système de prescription : les crimes contre l’humanité, le crime de génocide et les crimes de guerres.